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28/04/2023 | FRANCE | N°460553

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 28 avril 2023, 460553


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 18 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération Forestiers privés de France (Fransylva) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé de prendre le décret mentionné à l'article L. 421-4 du code de l'urbanisme dans sa rédaction résultant de l'article 81 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages ;

2°) d'enjoindre au Premi

er ministre d'édicter ce décret dans un délai de trois mois à compter de la notificati...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 18 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération Forestiers privés de France (Fransylva) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé de prendre le décret mentionné à l'article L. 421-4 du code de l'urbanisme dans sa rédaction résultant de l'article 81 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'édicter ce décret dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

Vu les autres pièces du dossier ;

- la Constitution ;

- le code de l'urbanisme ;

- la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Par une lettre du 13 janvier 2022, la fédération Forestiers privés de France a demandé au Premier ministre de prendre les mesures réglementaires permettant d'assurer la mise en œuvre de l'article L. 421-4 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de l'article 81 de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Elle demande l'annulation pour excès de pouvoir du refus implicite qui lui a été opposé, résultant du silence gardé pendant plus de deux mois sur sa demande.

2. En vertu de l'article 21 de la Constitution, le Premier ministre " assure l'exécution des lois " et " exerce le pouvoir réglementaire " sous réserve de la compétence conférée au Président de la République pour les décrets en conseil des ministres par l'article 13 de la Constitution. L'exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit mais aussi l'obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi, hors le cas où le respect d'engagements internationaux de la France y ferait obstacle.

3. En premier lieu, d'une part, l'article L. 421-4 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de l'article 81 de la loi du 8 août 2016, prévoit que : " Un décret en Conseil d'Etat arrête la liste des constructions, aménagements, installations et travaux qui, en raison de leurs dimensions, de leur nature ou de leur localisation, ne justifient pas l'exigence d'un permis et font l'objet d'une déclaration préalable. / (...) / Ce décret arrête également la liste des cas dans lesquels il est fait exception à l'obligation de déclaration préalable à laquelle sont soumises les coupes et abattages d'arbres dans les bois, forêts ou parcs situés sur le territoire de communes où l'établissement d'un plan local d'urbanisme a été prescrit ainsi que dans tout espace boisé identifié en application des articles L. 113-1, L. 151-19 ou L. 151-23 ou classé en application de l'article L. 113-1 ". Aux termes de l'article L. 151-19 du même code : " Le règlement peut identifier et localiser les éléments de paysage et identifier, localiser et délimiter les quartiers, îlots, immeubles bâtis ou non bâtis, espaces publics, monuments, sites et secteurs à protéger, à mettre en valeur ou à requalifier pour des motifs d'ordre culturel, historique ou architectural et définir, le cas échéant, les prescriptions de nature à assurer leur préservation. Lorsqu'il s'agit d'espaces boisés, il est fait application du régime d'exception prévu à l'article L. 421-4 pour les coupes et abattages d'arbres ". Aux termes de l'article L. 151-23 de ce code : " Le règlement peut identifier et localiser les éléments de paysage et délimiter les sites et secteurs à protéger pour des motifs d'ordre écologique, notamment pour la préservation, le maintien ou la remise en état des continuités écologiques et définir, le cas échéant, les prescriptions de nature à assurer leur préservation. Lorsqu'il s'agit d'espaces boisés, il est fait application du régime d'exception prévu à l'article L. 421-4 pour les coupes et abattages d'arbres (...) ". D'autre part, l'article R. 421-23 du code de l'urbanisme prévoit que doivent être précédés d'une déclaration préalable les travaux, installations et aménagements suivants : " (...) g) Les coupes et abattages d'arbres dans les bois, forêts ou parcs situés sur le territoire de communes où l'établissement d'un plan local d'urbanisme a été prescrit, ainsi que dans tout espace boisé classé en application de l'article L. 113-1 (...) ". Aux termes de l'article R. 421-23-2 du même code : " Par exception au g de l'article R. 421-23, une déclaration préalable n'est pas requise pour les coupes et abattages : / 1° Lorsque le propriétaire procède à l'enlèvement des arbres dangereux, des chablis et des bois morts ; / 2° Lorsqu'il est fait application des dispositions du livre II du code forestier ; / 3° Lorsqu'il est fait application d'un plan simple de gestion agréé conformément aux articles L. 312-2 et L. 312-3 du code forestier, d'un règlement type de gestion approuvé conformément aux articles L. 124-1 et L. 313-1 du même code ou d'un programme des coupes et travaux d'un adhérent au code des bonnes pratiques sylvicoles agréé en application de l'article L. 124-2 de ce code ; / 4° Lorsque les coupes entrent dans le cadre d'une autorisation par catégories définies par arrêté préfectoral, après avis du Centre national de la propriété forestière (...) ".

4. Les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 421-4 du code de l'urbanisme, dans leur rédaction résultant de la loi du 8 août 2016, ne sont pas suffisamment précises pour permettre leur entrée en vigueur. Il est ainsi nécessaire qu'un décret d'application précise la liste des cas dans lesquels il est fait exception à l'obligation de déclaration préalable à laquelle sont soumis les coupes et abattages d'arbres situés dans un espace boisé identifié comme devant être protégé soit pour des motifs d'ordre culturel, historique ou architectural, soit pour des motifs d'ordre écologique en application des articles L. 151-19 ou L. 151-23 du code de l'urbanisme.

5. En second lieu, à la date de la présente décision, il s'est écoulé plus de six ans depuis l'entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Le retard dans l'adoption des dispositions réglementaires nécessaires à l'application du troisième alinéa de l'article L. 421-4 du code de l'urbanisme, issu de cette loi, excède ainsi le délai raisonnable qui était imparti au pouvoir réglementaire pour prendre le décret prévu à cet article.

6. Il résulte de ce qui précède que la Fédération Forestiers privés de France est fondée à soutenir que la décision du Premier ministre refusant de prendre les dispositions réglementaires nécessaires à l'application de L. 421-4 du code de l'urbanisme dans sa rédaction résultant de l'article 81 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 est illégale et doit être annulée.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ". Aux termes de l'article L. 911-3 du même code : " La juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite (...) d'une astreinte (...) dont elle fixe la date d'effet ".

8. L'annulation de la décision refusant prendre les dispositions réglementaires nécessaires à l'application de L. 421-4 du code de l'urbanisme dans sa rédaction résultant de l'article 81 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 implique nécessairement l'édiction de ces dispositions. Il y a donc lieu pour le Conseil d'Etat d'enjoindre à la Première ministre de prendre ces dispositions réglementaires dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé de prendre les dispositions réglementaires nécessaires à l'application de L. 421-4 du code de l'urbanisme dans sa rédaction résultant de l'article 81 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre de prendre les dispositions réglementaires nécessaires à l'application de L. 421-4 du code de l'urbanisme dans sa rédaction résultant de l'article 81 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Fédération Forestiers privés de France, à la Première ministre et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée à la section du rapport et des études.

Délibéré à l'issue de la séance du 30 mars 2023 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 28 avril 2023.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

La rapporteure :

Signé : Mme Catherine Moreau

La secrétaire :

Signé : Mme Marie-Adeline Allain


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 460553
Date de la décision : 28/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 avr. 2023, n° 460553
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Catherine Moreau
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux

Origine de la décision
Date de l'import : 07/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:460553.20230428
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