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28/04/2023 | FRANCE | N°460471

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 28 avril 2023, 460471


Vu la procédure suivante :

M. A... B... et l'association La Prairie Libre ont demandé à la cour administrative d'appel de Lyon d'annuler l'arrêté du 14 mars 2019 et l'arrêté modificatif du 21 mars 2019 par lesquels la préfète de la Nièvre a délivré à la société WP France 26 une autorisation d'exploiter un parc éolien, dit projet éolien "Châtaignier", composé de six éoliennes et de deux postes de livraison, sur le territoire de la commune de Bazolles.

Par un arrêt n° 19LY02700 du 18 novembre 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté leur requête

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Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, en...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... et l'association La Prairie Libre ont demandé à la cour administrative d'appel de Lyon d'annuler l'arrêté du 14 mars 2019 et l'arrêté modificatif du 21 mars 2019 par lesquels la préfète de la Nièvre a délivré à la société WP France 26 une autorisation d'exploiter un parc éolien, dit projet éolien "Châtaignier", composé de six éoliennes et de deux postes de livraison, sur le territoire de la commune de Bazolles.

Par un arrêt n° 19LY02700 du 18 novembre 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté leur requête.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 janvier et 31 mars 2022, et 13 janvier 2023, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... et autre demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur demande ;

3°) de mettre à la charge de la société WP France 26 et de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage ;

- la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages ;

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- le décret n° 2014-450 du 2 mai 2014 ;

- l'arrêté du 26 août 2011 relatif à la remise en état et à la constitution des garanties financières pour les installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Juliette Mongin, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de M. B... et autre et à la SARL cabinet Briard, avocat de la société WP France 26 ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par un arrêté du 14 mars 2019, modifié par un arrêté du 21 mars 2019, la préfète de la Nièvre a délivré à la société WP France 26 une autorisation d'exploiter un parc composé de six éoliennes et deux postes de livraison, sur le territoire de la commune de Bazolles. M. B... et l'association La Prairie Libre se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 18 novembre 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté leur demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.

2. Aux termes de l'article 12 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive " Habitats " : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l'annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant : / a) toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ; / b) la perturbation intentionnelle de ces espèces notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d'hibernation et de migration ; / c) la destruction ou le ramassage intentionnels des œufs dans la nature ; / d) la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos ". Aux termes de l'article 16 de la même directive : " 1. A condition qu'il n'existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les Etats membres peuvent déroger aux dispositions des articles 12, 13, 14 et de l'article 15 points a) et b) : / a) dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; / c) dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques, ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; / d) à des fins de recherche et d'éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes; / e) pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d'une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d'un nombre limité et spécifié par les autorités nationales compétentes de certains spécimens des espèces figurant à l'annexe IV (...) ". Aux termes de l'article 5 de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages : " Sans préjudice des articles 7 et 9, les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un régime général de protection de toutes les espèces d'oiseaux visées à l'article 1er et comportant notamment l'interdiction : /a) de les tuer ou de les capturer intentionnellement, quelle que soit la méthode employée ; (...) / d) de les perturber intentionnellement, notamment durant la période de reproduction et de dépendance, pour autant que la perturbation ait un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive ".

3. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits: / 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; (...) / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " I. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : (...) / 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; / d) A des fins de recherche et d'éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ; / e) Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d'une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d'un nombre limité et spécifié de certains spécimens (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant, d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.

5. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus, qui concerne les espèces de mammifères terrestres et d'oiseaux figurant sur les listes fixées par les arrêtés du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection et du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection, impose d'examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes.

6. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".

7. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que le projet n'emportait aucune destruction d'espèce, ni altération ou dégradation de leurs habitats au sens des dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement, la cour administrative d'appel a notamment pris en compte la mise en place de mesures de compensation, dont il ressort des pièces du dossier, en particulier de l'étude d'impact versée au dossier de demande de la société pétitionnaire et de l'avis de la mission régionale d'autorité environnementale, qu'elles sont en partie destinées à remédier à des destructions partielles ou totales d'habitats d'espèces protégées. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de prendre en compte les seules mesures d'évitement et de réduction, et non les mesures de compensation, pour déterminer si les risques résiduels induits par le projet sur les espèces protégées ou leurs habitats étaient suffisamment caractérisés, la cour a commis une erreur de droit.

8. Il résulte de ce qui précède que M. B... et autre sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon qu'ils attaquent.

9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat et de la société WP France 26, chacun, la somme de 1 500 euros à verser à M. B... et autre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions du même article font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. B... et autres, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 18 novembre 2021 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Lyon.

Article 3 : L'Etat et la société WP France 26 verseront chacun une somme de 1 500 euros à M. B... et autre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la société WP France 26 présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B..., représentant unique, à la société WP France 26 et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré à l'issue de la séance du 30 mars 2023 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et Mme Juliette Mongin, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 28 avril 2023.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

La rapporteure :

Signé : Mme Juliette Mongin

La secrétaire :

Signé : Mme Marie-Adeline Allain


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 28 avr. 2023, n° 460471
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Juliette Mongin
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SARL CABINET BRIARD ; SCP MARLANGE, DE LA BURGADE

Origine de la décision
Formation : 6ème chambre
Date de la décision : 28/04/2023
Date de l'import : 07/05/2023

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 460471
Numéro NOR : CETATEXT000047523872 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2023-04-28;460471 ?
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