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21/04/2023 | FRANCE | N°465683

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 21 avril 2023, 465683


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 11 juillet 2022, 9 décembre 2022, 9 février 2023 et 21 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire demande au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-919 du 21 juin 2022 prolongeant la durée de validité de l'arrêté de la ministre de la transition écologique et de la cohésion du territoire du 3 juillet 2019 modifié, pris pour

l'application de l'article R. 427-6 du code de l'environnement et fixant la list...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 11 juillet 2022, 9 décembre 2022, 9 février 2023 et 21 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire demande au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-919 du 21 juin 2022 prolongeant la durée de validité de l'arrêté de la ministre de la transition écologique et de la cohésion du territoire du 3 juillet 2019 modifié, pris pour l'application de l'article R. 427-6 du code de l'environnement et fixant la liste, les périodes et les modalités de destruction des espèces susceptibles d'occasionner des dégâts ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler pour excès de pouvoir ce décret en tant qu'il reconduit pour une année l'inscription du renard roux sur la liste des espèces susceptibles d'occasionner des dégâts dans le département de Saône-et-Loire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- l'arrêté du 3 juillet 2019 du ministre de la transition écologique et solidaire pris pour l'application de l'article R. 427-6 du code de l'environnement et fixant la liste, les périodes et les modalités de destruction des espèces susceptibles d'occasionner des dégâts ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Juliette Mongin, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la Fédération nationale des chasseurs ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article R. 427-6 du code de l'environnement : " I. - Après avis du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage, le ministre chargé de la chasse fixe par arrêté trois listes d'espèces d'animaux classées susceptibles d'occasionner des dégâts : / 1° La liste des espèces d'animaux non indigènes classées susceptibles d'occasionner des dégâts sur l'ensemble du territoire métropolitain, précisant les périodes et les modalités de leur destruction / 2° La liste des espèces d'animaux indigènes classées susceptibles d'occasionner des dégâts dans chaque département, établie sur proposition du préfet après avis de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage réunie en sa formation spécialisée mentionnée au II de l'article R. 421-31, précisant les périodes et les territoires concernés, ainsi que les modalités de destruction. Cette liste est arrêtée pour une période de trois ans, courant du 1er juillet de la première année au 30 juin de la troisième année ; / 3° La liste complémentaire des espèces d'animaux classées susceptibles d'occasionner des dégâts par un arrêt annuel du préfet qui prend effet le 1er juillet jusqu'au 30 juin de l'année suivante. Cette liste précise les périodes et les modalités de destruction de ces espèces. / II. - Le ministre inscrit les espèces d'animaux sur chacune de ces trois listes pour l'un au moins des motifs suivants : / 1° Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ; / 2° Pour assurer la protection de la flore et de la faune ; / 3° Pour prévenir des dommages importants aux activités agricoles, forestières et aquacoles ; / 4° Pour prévenir les dommages importants à d'autres formes de propriété. / Le 4° ne s'applique pas aux espèces d'oiseaux. / Le préfet détermine les espèces d'animaux susceptibles d'occasionner des dégâts en application du 3° du I du présent article pour l'un au moins de ces mêmes motifs. / Les listes des espèces d'animaux classées susceptibles d'occasionner des dégâts ne peuvent comprendre d'espèces dont la capture ou la destruction est interdite en application de l'article L. 411-1 ". Il résulte de ces dispositions que le ministre chargé de la chasse inscrit une espèce sur la liste des animaux classés susceptibles d'occasionner des dégâts dans un département soit lorsque cette espèce est répandue de façon significative dans ce département et que, compte tenu des caractéristiques géographiques, économiques et humaines de celui-ci, sa présence est susceptible de porter atteinte aux intérêts protégés par ces dispositions, soit lorsqu'il est établi qu'elle est à l'origine d'atteintes significatives aux intérêts protégés par ces mêmes dispositions.

2. Le décret attaqué du 21 juin 2022, pris sur le rapport de la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, énonce que par dérogation aux dispositions précitées du 2° du I de l'article R. 427-6 du code de l'environnement, la durée de validité de l'arrêté du 3 juillet 2019 modifié pris pour l'application de ce même article et fixant la liste, les périodes et les modalités de destruction des espèces susceptibles d'occasionner des dégâts est prolongée jusqu'au 30 juin 2023. L'association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire demande l'annulation pour excès de ce pouvoir de ce décret.

3. La Fédération nationale des chasseurs, qui ne constitue pas une partie à l'instance, justifie d'un intérêt suffisant au maintien du décret attaqué. Son intervention est donc recevable.

4. En premier lieu, l'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a été prise pour l'application du premier acte ou s'il en constitue la base légale. Le décret attaqué, qui a pour seul objet, ainsi qu'il a été dit au point 2, de déroger aux dispositions du 2° du I de l'article R. 427-6 du code de l'environnement en prolongeant d'une année la durée de validité de l'arrêté du 3 juillet 2019 modifié, ne constitue pas une mesure d'application de cet arrêté et ne trouve pas sa base légale dans cet arrêté. Par suite, l'exception d'illégalité de l'arrêté du 3 juillet 2019 invoquée par l'association requérante à l'appui de son recours contre le décret attaqué, y compris le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure d'édiction de cet arrêté, ne peut qu'être écartée.

5. En second lieu, aux termes de l'article L. 110-1 du code de l'environnement : " I - Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sons et odeurs qui les caractérisent, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l'air, la qualité de l'eau, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation. Ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d'usage. (....). II - Leur connaissance, leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu'ils fournissent sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants : ... 2° Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Ce principe implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d'en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées ; / Ce principe doit viser un objectif d'absence de perte nette de biodiversité, voire tendre vers un gain de biodiversité (...) ".

6. Si l'association requérante soutient que la prolongation jusqu'au 30 juin 2023 de la durée de validité de l'arrêté du 3 juillet 2019, par dérogation aux dispositions de l'article R. 427-6 du code de l'environnement d'après lesquelles elle est de trois ans, n'est pas justifiée par l'insuffisance des données disponibles et méconnaît le principe d'action préventive énoncé par l'article L. 110-1 du code de l'environnement, il ressort des pièces du dossier qu'en raison des circonstances exceptionnelles ayant prévalu pendant la crise sanitaire liée à l'épidémie de covid-19, l'autorité administrative n'a pas été en mesure de recueillir, en temps utile pour la préparation d'un nouvel arrêté triennal, des données suffisamment fiables et précises sur les dégâts occasionnés par les espèces, nonobstant la poursuite de prélèvements pendant cette période, alors que de telles données sont nécessaires au classement d'une espèce en tant qu'espèce susceptible d'occasionner des dégâts sur certains territoires, notamment pour respecter le principe de prévention des atteintes à l'environnement. Dans ces circonstances, c'est sans erreur manifeste d'appréciation que le décret attaqué a prolongé pour un an la durée de validité de l'arrêté du 3 juillet 2019. Quant à la circonstance alléguée que les espèces classées par cet arrêté, notamment le renard roux, feraient également l'objet d'autres prélèvements, en application notamment du régime de la chasse, elle n'est pas non plus de nature à entacher d'illégalité le décret attaqué, qui ne fait que prolonger d'une année les effets de l'arrêté du 3 juillet 2019.

7. Il résulte de ce qui précède que l'association requérante n'est pas fondée à demander l'annulation du décret qu'elle attaque, ni son annulation en tant qu'il reconduit pour une année l'inscription du renard roux sur la liste des espèces susceptibles d'occasionner des dégâts dans le département de Saône-et-Loire. Par suite, sa requête doit être rejetée.

8. La Fédération nationale des chasseurs n'étant pas partie à la présente instance, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme qu'elle sollicite au titre des frais qu'elle a exposés pour son intervention soit mise à la charge de l'association requérante.

D E C I D E :

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Article 1er : L'intervention de la Fédération nationale des chasseurs est admise.

Article 2 : La requête de l'association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de la Fédération nationale des chasseurs tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association ornithologique et mammologique de Saône-et-Loire, à la Première ministre, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la Fédération nationale des chasseurs.

Délibéré à l'issue de la séance du 22 mars 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et Mme Juliette Mongin, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 21 avril 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :

Signé : Mme Juliette Mongin

La secrétaire :

Signé : Mme Laïla Kouas


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 465683
Date de la décision : 21/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 avr. 2023, n° 465683
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Juliette Mongin
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:465683.20230421
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