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21/04/2023 | FRANCE | N°456081

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 21 avril 2023, 456081


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et six nouveaux mémoires, enregistrés les 27 août 2021, 13 octobre, 15, 16 et 29 décembre 2022, 20 janvier, 22 et 27 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication et la Fédération française des industries jouet - puériculture demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-835 du 29 juin 2021 relatif à l'information des consommateurs sur la règle de tri des déchet

s issus des produits soumis au principe de responsabilité élargie du producteur ;

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Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et six nouveaux mémoires, enregistrés les 27 août 2021, 13 octobre, 15, 16 et 29 décembre 2022, 20 janvier, 22 et 27 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication et la Fédération française des industries jouet - puériculture demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-835 du 29 juin 2021 relatif à l'information des consommateurs sur la règle de tri des déchets issus des produits soumis au principe de responsabilité élargie du producteur ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à chacune des requérantes de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2006/66/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 septembre 2006 ;

- la directive 2012/19/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 ;

- la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 ;

- le code de l'environnement ;

- la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 541-9-3 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de l'article 17 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire : " Tout produit mis sur le marché à destination des ménages soumis au I de l'article L. 541-10, à l'exclusion des emballages ménagers de boissons en verre, fait l'objet d'une signalétique informant le consommateur que ce produit fait l'objet de règles de tri. / Cette signalétique est accompagnée d'une information précisant les modalités de tri ou d'apport du déchet issu du produit. Si plusieurs éléments du produit ou des déchets issus du produit font l'objet de modalités de tri différentes, ces modalités sont détaillées élément par élément. Ces informations figurent sur le produit, son emballage ou, à défaut, dans les autres documents fournis avec le produit, sans préjudice des symboles apposés en application d'autres dispositions. L'ensemble de cette signalétique est regroupé de manière dématérialisée et est disponible en ligne pour en faciliter l'assimilation et en expliciter les modalités et le sens. / L'éco-organisme chargé de cette signalétique veille à ce que l'information inscrite sur les emballages ménagers et précisant les modalités de tri ou d'apport du déchet issu du produit évolue vers une uniformisation dès lors que plus de 50 % de la population est couverte par un dispositif harmonisé. / Les conditions d'application du présent article sont précisées par décret en Conseil d'Etat. "

2. Pour l'application de ces dispositions, le décret du 29 juin 2021 relatif à l'information des consommateurs sur la règle de tri des déchets issus des produits soumis au principe de responsabilité élargie du producteur a introduit ou procédé à la réécriture des articles R. 541-12-17 à R. 541-12-24 du code de l'environnement, qui précisent les obligations posées à l'article L. 541-9-3 du même code et en définissent les modalités et calendrier de mise en œuvre. La Fédération des industries électriques, électroniques et de communication (FIEEC), union de syndicats professionnels, et la Fédération française des industries Jouet-Puériculture (" FJP "), syndicat professionnel, demandent l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.

3. En premier lieu, le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière faute d'avoir été soumis à l'avis du Conseil d'Etat manque en fait. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier, en particulier de la copie de la minute de la section des travaux publics du Conseil d'Etat, telle qu'elle a été versée au dossier par la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, que le décret attaqué ne contient pas de dispositions qui diffèreraient à la fois du projet initial du Gouvernement et du texte adopté par la section des travaux publics. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des règles qui gouvernent l'examen par le Conseil d'Etat des projets de décret doit être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information : " 1. Sous réserve de l'article 7, les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s'il s'agit d'une simple transposition intégrale d'une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit ; ils adressent également à la Commission une notification concernant les raisons pour lesquelles l'établissement d'une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet. / Le cas échéant, et à moins qu'il n'ait été transmis en liaison avec une communication antérieure, les États membres communiquent à la Commission en même temps le texte des dispositions législatives et réglementaires de base principalement et directement concernées, si la connaissance de ce texte est nécessaire pour l'appréciation de la portée du projet de règle technique. / Les États membres procèdent à une nouvelle communication du projet de règle technique à la Commission, dans les conditions énoncées au premier et deuxième alinéas du présent paragraphe, s'ils apportent à ce projet, d'une manière significative, des changements qui auront pour effet de modifier son champ d'application, d'en raccourcir le calendrier d'application initialement prévu, d'ajouter des spécifications ou des exigences, ou de rendre celles-ci plus strictes. / (...) "

5. Il ressort des pièces du dossier que le Gouvernement français a notifié le projet de décret litigieux à la Commission européenne le 30 janvier 2020 sur le fondement de l'article 5 de la directive du 9 septembre 2015 précitée et que cette notification a conduit la Commission à émettre un avis circonstancié le 20 octobre 2020. A la suite de cet avis, le projet a été amendé, principalement pour adapter le calendrier de mise en œuvre des dispositions prévues et prévoir des dispositions spécifiques aux produits ou emballages de petites dimensions afin d'alléger les exigences qui leur sont applicables. Pour autant, les modifications apportées, qui n'ont pas pour effet de modifier le champ d'application des mesures prévues, d'en raccourcir le calendrier de mise en œuvre ou de prévoir des spécifications ou exigences supplémentaires à l'égard des produits ou emballages concernés, n'ont pas affecté de manière significative le projet initialement transmis. Par suite, les fédérations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le décret litigieux aurait dû faire l'objet d'une nouvelle notification à la Commission européenne en application du troisième alinéa du paragraphe 1 de l'article 5 de la directive et serait illégal faute qu'il ait été procédé à cette nouvelle notification.

6. En troisième lieu, d'une part, aux termes du paragraphe 1 de l'article 21 de la directive 2006/66/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 septembre 2006 relative aux piles et accumulateurs ainsi qu'aux déchets de piles et accumulateurs : " 1. Les États membres veillent à ce que toutes les piles, tous les accumulateurs et assemblages en batterie soient marqués du symbole figurant à l'annexe II. / (...) ". Le paragraphe 5 du même article précise toutefois que : " 5. Si la taille de la pile, de l'accumulateur ou de l'assemblage en batterie est telle que la surface du symbole serait inférieure à 0,5 cm × 0,5 cm, le marquage de la pile, de l'accumulateur ou de l'assemblage en batterie n'est pas exigé mais un symbole d'au moins 1 cm × 1 cm est imprimé sur l'emballage. " Par ailleurs, aux termes de l'article 14 de la directive 2012/19/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relative aux déchets d'équipements électriques et électroniques : " 2. Les États membres veillent à ce que les utilisateurs d'EEE dans les ménages obtiennent les informations nécessaires sur : / (...) e) la signification du symbole figurant à l'annexe IX. / (...) 4. Pour réduire au minimum l'élimination des DEEE avec les déchets municipaux non triés et faciliter leur collecte séparée, les États membres veillent à ce que les producteurs apposent d'une manière adéquate - de préférence conformément à la norme européenne EN 50419 (8) - le symbole figurant à l'annexe IX sur les EEE mis sur le marché. Dans des cas exceptionnels où cela s'avère nécessaire en raison de la taille ou de la fonction du produit, ce symbole est imprimé sur l'emballage, sur la notice d'utilisation et sur le certificat de garantie de l'EEE concerné. " Pour la transposition de ces dispositions, l'article R. 543-127 du code de l'environnement, relatif aux piles et accumulateurs, dispose que : " Si la taille de la pile, de l'accumulateur ou de l'assemblage en batterie est telle que la surface du symbole serait inférieure à 0, 5 cm × 0, 5 cm, le marquage de la pile, de l'accumulateur ou de l'assemblage en batterie n'est pas exigé, mais un symbole d'au moins 1 cm × 1 cm est imprimé sur l'emballage " et l'article R. 543-177 du même code, relatif aux équipements électriques et électroniques, dispose que : " Les producteurs doivent (...) apposer sur chacun des équipements électriques et électroniques ménagers mis sur le marché après le 13 août 2005 le pictogramme figurant à l'annexe au présent article. Si les dimensions de l'équipement ne le permettent pas, ce pictogramme figure sur l'emballage et sur les documents de garantie et notices d'utilisation qui l'accompagnent. "

7. D'autre part, l'article R. 541-12-17 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue du décret attaqué, définit la signalétique mentionnée au premier alinéa de l'article L. 541-9-3 du même code par renvoi à une annexe retenant le pictogramme dit du " triman ", représentant un homme, associé à trois flèches et entouré d'une flèche circulaire, triant ses déchets. Ce logo signifie que le produit ou l'emballage relève d'un " geste de tri ", dont la teneur est explicitée par l'information qui l'accompagne. A cet égard, les articles R. 541-12-18 et R. 541-12-19 du même code, également dans leur rédaction issue du décret attaqué, précisent pour leur part les modalités selon lesquelles l'information précisant le geste de tri approprié, dite " info-tri ", mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 541-9-3, est définie, selon que le producteur relevant d'une filière de responsabilité élargie du producteur a recours à un éco-organisme agréé ou a mis en place un système individuel. L'article R. 541-12-20 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue du décret attaqué, prévoit toutefois que : " Les producteurs de produits soumis à un dispositif de responsabilité élargie en France peuvent remplacer la signalétique définie à l'annexe de l'article R. 541-12-17 par une autre signalétique commune encadrée réglementairement par l'Union européenne ou par un autre Etat membre de l'Union européenne, conformément au principe de reconnaissance mutuelle prévu par les articles 34 et 36 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, dès lors que cette autre signalétique informe le consommateur que les produits concernés font l'objet de règles de tri et qu'elle est d'application obligatoire. De même, les producteurs peuvent également remplacer l'information définie à l'article R. 541-12-18 par une autre information commune encadrée réglementairement par l'Union européenne ou par un autre Etat membre de l'Union européenne, dès lors que cette autre information présente les mêmes caractéristiques que celle mise en place en application du premier alinéa de l'article R. 541-12-18, et qu'elle est d'application obligatoire. " Par ailleurs, l'article R. 541-12-21 du même code, également dans sa rédaction issue du décret attaqué, précise que la signalétique mentionnée au premier alinéa de l'article L. 541-9-3 du même code et l'information mentionnée au deuxième alinéa du même article doivent être accolées. Néanmoins, le quatrième alinéa de l'article R. 541-12-21 prévoit un aménagement du dispositif pour les produits considérés comme " petits " ou " très petits ", en disposant que : " Lorsque la surface du plus grand des côtés d'un produit ou de son emballage est inférieure à dix centimètres carrés et qu'aucun autre document n'est fourni avec le produit, la signalétique et l'information peuvent figurer sur un support dématérialisé. Lorsque la surface est comprise entre dix centimètres carrés et vingt centimètres carrés, seule l'information peut figurer sur un support dématérialisé. "

8. Il résulte de ces dernières dispositions que, si elles autorisent les producteurs à recourir à un support dématérialisé, par dérogation à l'obligation posée au deuxième alinéa de l'article L. 541-9-3 du code de l'environnement de faire figurer la signalétique et l'information prévues par cet article " sur le produit, son emballage ou, à défaut, dans les autres documents fournis ", pour tout ou partie de la signalétique et de l'information devant figurer sur les produits de petites dimensions ou de très petites dimensions, elles n'ont ni pour objet, ni pour effet d'exonérer les producteurs de leurs éventuelles obligations spécifiques en vertu de la filière de responsabilité élargie du producteur dont ils relèvent et en particulier, s'agissant des filières piles et accumulateurs et équipements électriques et électroniques, des obligations découlant, respectivement des articles R. 543-127 et R. 543-177 du code de l'environnement, adoptés pour la transposition des directives du 6 septembre 2006 et du 4 juillet 2012 précitées. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article R. 541-12-21 méconnaîtraient les exigences de ces directives, en ayant pour effet de contraindre les producteurs concernés à ne pas respecter les dispositions des articles R. 543-127 ou R. 543-177 du code de l'environnement, doit, en tout état de cause, être écarté.

9. En quatrième lieu, le principe de légalité des délits et des peines, qui s'étend à toute sanction ayant le caractère d'une punition, fait obstacle à ce que l'administration inflige une sanction si, à la date des faits litigieux, la règle en cause n'est pas suffisamment claire, de sorte qu'il n'apparaît pas de façon raisonnablement prévisible par les professionnels concernés que le comportement litigieux est susceptible d'être sanctionné.

10. Aux termes de l'article L. 541-9-4 du code de l'environnement : " Tout manquement aux obligations d'information mentionnées aux articles L. 541-9-2 et L. 541-9-3 est passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale. / Cette amende est prononcée dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre V du code de la consommation. " Si les fédérations requérantes soutiennent que, compte tenu des dispositions de l'article R. 541-12-21 du code de l'environnement dans leur rédaction issue du décret attaqué, le comportement attendu des producteurs n'est pas suffisamment clair, en ce que le respect des dispositions de cet article conduit à une méconnaissance des exigences des directives du 6 septembre 2006 et du 4 juillet 2012 précitées, ainsi qu'il a été dit au point 8, tel n'est pas l'effet des dispositions litigieuses. Par suite, ces dispositions ne sauraient être regardées, pour ce motif, comme méconnaissant les exigences de clarté et d'intelligibilité de la norme.

11. En cinquième lieu, les articles 34 et 35 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne interdisent les restrictions quantitatives à l'importation et à l'exportation entre les États membres, ainsi que toutes mesures d'effet équivalent. Aux termes de l'article 36 du même traité, ces dispositions ne font cependant pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit " justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres. " Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, d'une part, que la notion de " mesure d'effet équivalent " inclut toute réglementation commerciale des Etats membres susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire, et, d'autre part, qu'une réglementation nationale qui constitue une mesure d'effet équivalent à des restrictions quantitatives est autorisée lorsqu'elle est indistinctement applicable aux produits nationaux et importés et qu'elle est nécessaire pour satisfaire à l'une des raisons d'intérêt général qu'elle retient ou à des exigences impératives, comme la protection de l'environnement. Les dispositions en cause doivent être propres à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour qu'il soit atteint.

12. Les dispositions de l'article L. 541-9-3 du code de l'environnement imposent aux producteurs relevant d'une filière de responsabilité élargie du producteur, telle que définie à l'article L. 541-10 du même code, d'apposer sur le produit, son emballage ou dans les documents fournis avec le produit, d'une part, une signalétique indiquant au consommateur que ce produit relève d'un geste de tri, d'autre part, une information quant aux modalités de ce geste de tri, le cas échéant, élément par élément. Or, les obligations ainsi prévues conduisent, de fait, à interdire sur le marché français la commercialisation de produits ne comportant pas la signalétique et l'information précisées par les dispositions du décret attaqué, alors même qu'ils peuvent être légalement fabriqués et commercialisés dans d'autres Etats membres. Par suite, ces dispositions doivent être regardées comme instituant une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

13. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'en adoptant la mesure contestée, le législateur a poursuivi un objectif d'amélioration de la gestion des déchets issus des produits dans une perspective de renforcement de la protection de l'environnement. A cette fin, les dispositions introduites à l'article L. 541-9-3 du code de l'environnement et précisées par le décret attaqué entendent imposer de façon systématique l'information du consommateur sur les modalités de tri ou d'apport de ces déchets, en évitant le risque de confusion susceptible d'être induit par l'apposition de différents symboles ou marquages ayant une signification environnementale et, de façon générale, les erreurs de tri, afin d'améliorer la proportion de déchets valorisés. Il ressort à cet égard des éléments produits dans le cadre du supplément d'instruction qu'aucune des quatre principales filières de responsabilité élargie du producteur, portant sur les emballages ménagers, les équipements électriques et électroniques, le textile et l'ameublement, n'avait atteint ses objectifs de collecte séparée en 2020. Il résulte également des pièces du dossier qu'une étude menée par un éco-organisme de la filière emballages ménagers a mis en évidence en 2019 que près des trois quarts des consommateurs avaient des doutes quant au geste de tri approprié, s'agissant de certains produits.

14. Si les fédérations requérantes font valoir que l'application de ces dispositions est de nature à entraîner des coûts disproportionnés par rapport aux résultats des professionnels concernés et par rapport à leur contribution effective à l'objectif poursuivi, voire pourrait s'avérer contre-productive au regard de la production supplémentaire de produits, d'emballages ou d'étiquettes supplémentaires que ces dispositions sont susceptibles de générer, les éléments produits à l'instance, notamment dans le cadre du supplément d'instruction réalisé, ne permettent pas d'établir que, compte tenu des différentes modalités de mise en œuvre des obligations prévues ouvertes aux producteurs, les coûts supplémentaires induits par la mesure litigieuse entraîneraient une charge disproportionnée pour les professionnels qu'elles représentent. De même, si les requérantes font valoir les montants importants d'ores et déjà consacrés à l'information des consommateurs et l'existence de sites internet et d'applications dédiés aux gestes de tri, ces éléments ne permettent pas de considérer que le recours à d'autres procédés moins contraignants tels un support dématérialisé ou la mise en œuvre de campagnes d'information serait, en l'état, et alors que l'audience des sites et procédés précités demeure à ce jour limitée, susceptible d'avoir la même efficacité auprès des consommateurs qu'une signalétique et une information explicite directement portées sur le produit, son emballage ou les documents l'accompagnant.

15. Par ailleurs, afin d'éviter que le dispositif ne conduise à augmenter la taille des emballages et/ou des notices accompagnant les produits, le quatrième alinéa de l'article R. 541-12-21 du code de l'environnement dans sa rédaction issue du décret attaqué, cité au point 7, prévoit des dérogations aux obligations posées à l'article L. 541-9-3 du même code afin que la signalétique et l'information concernant les gestes de tri appropriés puissent figurer en tout ou partie sur un support dématérialisé s'agissant des petits produits et des très petits produits. Les requérantes n'établissent pas, à cet égard, que les dérogations prévues seraient inadaptées.

16. Enfin, si les dispositions de l'article L. 541-9-3 du code de l'environnement et du décret attaqué conduisent à faire évoluer la signification du pictogramme dit du " triman ", désormais défini à l'annexe de l'article R. 541-12-17 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue du décret attaqué, par rapport à la signification qu'il avait dans l'état antérieur du droit, le risque de confusion pour les consommateurs invoqué par les fédérations requérantes apparaît limité, dès lors qu'une information explicite concernant le geste de tri approprié sera désormais systématiquement adossée à ce pictogramme, sauf, le cas échéant, dans le cas des petits produits. Alors que le législateur a, en outre, prévu une entrée en vigueur différée du dispositif au 1er janvier 2022 en vertu de l'article 130 de la loi du 10 février 2020 précitée, il résulte de tout ce qui précède que les obligations ainsi imposées aux producteurs par l'article L. 541-10-3 du code de l'environnement, qui sont justifiées par l'objectif de protection de l'environnement poursuivi, ne peuvent être regardées comme allant au-delà des contraintes strictement nécessaires à l'atteinte de cet objectif. Il suit de là que le moyen tiré de ce que l'obligation d'apposer la signalétique de tri constituerait une entrave injustifiée à la libre circulation des marchandises, en méconnaissance des articles 34, 35 et 36 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, doit être écarté.

17. En sixième lieu, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". Les stipulations de cet article ne font pas obstacle à l'édiction, par l'autorité compétente, d'une réglementation de l'usage des biens, dans un but d'intérêt général, ayant pour effet d'affecter les conditions d'exercice du droit de propriété. Il appartient au juge compétent, pour apprécier la conformité d'une telle réglementation aux stipulations de cet article, d'une part, de tenir compte de l'ensemble de ses effets, d'autre part, et en fonction des circonstances de l'espèce, d'apprécier s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les limitations constatées à l'exercice du droit de propriété et les exigences d'intérêt général qui sont à l'origine de cette décision.

18. Les fédérations requérantes soutiennent que les nouvelles obligations imposées aux producteurs par l'article L. 541-9-3 du code de l'environnement, telles que précisées par le décret attaqué, vont induire des coûts considérables à l'échelle des filières de responsabilité élargie des producteurs concernées et disproportionnés par rapport au bénéfice qui peut en être attendu au regard de l'objectif de protection de l'environnement poursuivi, de nature à caractériser une atteinte au droit au respect des biens des professionnels qu'elles représentent. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit au point 16 que les dispositions litigieuses, eu égard à l'objectif de protection de l'environnement poursuivi, n'impliquent pas d'atteintes disproportionnées au droit au respect des biens de ces professionnels. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, dès lors, en tout état de cause être écarté. Il suit de là que le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article L. 541-9-3 du code de l'environnement instaureraient une distinction injustifiée entre les emballages ménagers de boissons en verre et les autres emballages en verre, en méconnaissance des dispositions combinées de l'article 1er du premier protocole à la convention cité ci-dessus et de l'article 14 de cette même convention, ne peut également qu'être écarté.

19. En dernier lieu, en vertu des dispositions de l'article L. 541-10-18 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de l'article 72 de la loi du 10 février 2020 précitée, un dispositif harmonisé de règles de tri sur les emballages ménagers doit être progressivement mis en place " avec pour objectif un déploiement effectif de ce dispositif sur l'ensemble du territoire national au plus tard le 31 décembre 2022 ". Par ailleurs, dans sa rédaction issue du décret attaqué, l'article R. 541-12-18 du même code dispose que : " Tout éco-organisme mis en place en application de l'article L. 541-10 élabore, dans un délai de trois mois à compter de la date de son premier agrément, l'information mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 541-9-3, laquelle précise les modalités de tri ou d'apport du déchet issu du produit. Il transmet sa proposition motivée aux ministres chargés de l'environnement et de la consommation après consultation de son comité des parties prenantes. La proposition est réputée acquise à compter de son acceptation par les ministres ou, à défaut, si aucun des deux ministres ne s'y est opposé, à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la plus tardive des deux dates de réception. Dans le cas contraire, ou sur demande motivée de l'un au moins des ministres, l'éco-organisme transmet une proposition révisée prenant en compte leurs observations dans le délai d'un mois à compter de leur réception. / (...) L'éco-organisme publie cette information sur son site internet et en informe ses adhérents à compter de la date à laquelle celle-ci est acquise. Sous réserve qu'ils décident de l'appliquer avant cette échéance, les producteurs qui ont transféré l'obligation de responsabilité élargie à un éco-organisme appliquent la signalétique et cette information au plus tard douze mois après la date à laquelle celle-ci est acquise. Cette information peut également prévoir que les produits fabriqués ou importés avant cette échéance bénéficient d'un délai d'écoulement des stocks n'excédant pas six mois à compter de celle-ci. " Pour les producteurs ayant mis en place un système individuel, l'article R. 541-12-19 du même code, dans sa rédaction issue du décret attaqué, prévoit qu'ils proposent l'information précisant les modalités de tri ou d'apport du déchet issu du produit qui est mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 541-9-3 dans le cadre de leur demande d'agrément et qu'ils appliquent " la signalétique et l'information au plus tard douze mois à compter de la date à laquelle son agrément a été délivré. Cette information peut également prévoir que les produits fabriqués ou importés par le producteur avant cette échéance bénéficient d'un délai d'écoulement des stocks n'excédant pas six mois à compter de celle-ci. " Enfin, l'article 2 du décret attaqué prévoit que : " Les producteurs, qu'ils aient transféré leur obligation de responsabilité élargie à un éco-organisme ou mis en place un système individuel, peuvent, s'ils le souhaitent, appliquer les dispositions du présent décret avant le 1er janvier 2022. Dans le cas contraire, les produits soumis à un dispositif de responsabilité élargie qui sont mis sur le marché à destination des ménages avant cette date restent régis jusqu'au 31 décembre 2021 par les dispositions des articles R. 541-12-17 et R. 541-12-18 du code de l'environnement, dans leur rédaction en vigueur à la date de publication du présent décret. "

20. D'une part, si les dispositions de l'article L. 541-10-18 du code de l'environnement ont fixé l'échéance du 31 décembre 2022 pour qu'un dispositif harmonisé de règles de tri sur les emballages ménagers soit mis en place sur l'ensemble du territoire, alors que les dispositions de l'article 130 de la loi du 10 février 2020 précitée ont fixé l'entrée en vigueur des dispositions de l'article L. 541-9-3 du même code au 1er janvier 2022, il résulte des dispositions des articles R. 541-12-18 et R. 541-12-19 du code de l'environnement, dans leur rédaction issue du décret attaqué, ainsi que des dispositions de l'article 2 de ce même décret que les éco-organismes agréés ou les producteurs ayant mis en place un système individuel disposent d'un délai de trois mois à compter de la publication du décret attaqué pour proposer aux ministres chargés de l'environnement et de la consommation une formalisation de l'information mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 541-9-3 du même code. Sauf en cas d'opposition ou de demande de modification, cette proposition est réputée acceptée au terme d'un délai de deux mois. A compter de la date à laquelle la formalisation de l'information a ainsi été acquise, les producteurs concernés disposent ensuite d'un délai d'un an pour appliquer la signalétique et l'information prévues par cet article L. 541-9-3. Dans ces conditions, et alors que, selon les données communiquées par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui ne sont pas contestées par les requérants, le dispositif harmonisé de règles de tri sur les emballages ménagers couvrait plus de 60 % de la population en décembre 2021 et devait couvrir 95 % de la population au 1er janvier 2023, le pouvoir règlementaire a prévu des modalités d'entrée en vigueur de l'obligation d'apposer l'information mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 541-9-3 du code de l'environnement sur les produits, leurs emballages ou les documents les accompagnant qui permettent une coordination avec le calendrier de mise en place du dispositif harmonisé de règles de tri sur les emballages ménagers prévu à l'article L. 541-10-18 du même code.

21. D'autre part, compte tenu de la date d'entrée en vigueur des dispositions de l'article L. 541-9-3, fixée au 1er janvier 2022 par l'article 130 de la loi du 10 février 2020 précitée, il ne saurait être reproché au pouvoir règlementaire de ne pas avoir prévu un calendrier de mise en œuvre des obligations posées par cet article tenant compte de l'absence de coordination des calendriers d'adoption de leur dispositif par les différentes filières de responsabilité élargie du producteur ainsi que de l'entrée en vigueur ultérieure de certaines filières s'agissant des producteurs susceptibles de relever de plusieurs de ces filières pour un même produit, par exemple les filières équipements électriques et électroniques et emballages, ou jouets et emballages. Par ailleurs, les articles R. 541-12-18 et R. 541-12-19 du code de l'environnement, dans leur rédaction issue du décret attaqué, ainsi que l'article 2 de ce même décret prévoient un délai d'un an entre la date à laquelle la formalisation de l'information mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 541-9-3 du même code propre à chaque filière de responsabilité élargie du producteur est acquise et la date à laquelle elle doit être appliquée par les producteurs relevant de cette filière, avec en outre une possibilité d'écoulement des stocks pendant une période supplémentaire n'excédant pas six mois.

22. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait entaché d'erreurs manifestes d'appréciation faute de prendre en compte le calendrier de mise en place du dispositif harmonisé de règles de tri sur les emballages ménagers prévu à l'article L. 541-10-18 du code de l'environnement, et eu égard aux modalités d'entrée en vigueur des obligations prévues à l'article L. 541-9-3 du code de l'environnement qu'il retient, doit être écarté.

23. Il résulte de tout ce qui précède que les fédérations requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation du décret qu'elles attaquent. Leurs conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent par suite qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication et autre est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication, première requérante dénommée, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 22 mars 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 21 avril 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :

Signé : Mme Rozen Noguellou

La secrétaire :

Signé : Mme Laïla Kouas


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 456081
Date de la décision : 21/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 avr. 2023, n° 456081
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Rozen Noguellou
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:456081.20230421
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