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14/04/2023 | FRANCE | N°470546

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 14 avril 2023, 470546


Vu la procédure suivante :

Par deux mémoires, enregistrés le 17 janvier et le 13 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, l'association Alter Corpus demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 novembre 2022 fixant les règles de bonnes pratiques de prise en charge des enfants présentant des variations du développement génital en application de l'article L. 2131-6 du code de la santé publique, de renvoyer au Conseil constituti

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Vu la procédure suivante :

Par deux mémoires, enregistrés le 17 janvier et le 13 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, l'association Alter Corpus demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 novembre 2022 fixant les règles de bonnes pratiques de prise en charge des enfants présentant des variations du développement génital en application de l'article L. 2131-6 du code de la santé publique, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 2131-6 du code de la santé publique.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- le code civil ;

- le code de la santé publique, notamment son article L. 2131-6 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article L. 2131-6 du code de la santé publique : " La prise en charge d'un enfant présentant une variation du développement génital est assurée après concertation des équipes pluridisciplinaires des centres de référence des maladies rares spécialisés, dans les conditions prévues à l'article L. 1151-1. Cette concertation établit le diagnostic ainsi que les propositions thérapeutiques possibles, y compris d'abstention thérapeutique, et leurs conséquences prévisibles, en application du principe de proportionnalité mentionné à l'article L. 1110-5. Ces informations et l'avis issus de la concertation sont portés au dossier médical de l'enfant. L'équipe du centre de référence chargée de la prise en charge de l'enfant assure une information complète et un accompagnement psychosocial approprié de l'enfant et de sa famille et veille à ce que ces derniers disposent du temps nécessaire pour procéder à un choix éclairé. / Lors de l'annonce du diagnostic, un membre de l'équipe pluridisciplinaire du centre assurant la prise en charge de l'enfant informe les titulaires de l'autorité parentale de l'existence d'associations spécialisées dans l'accompagnement des personnes présentant une variation du développement génital et, le cas échéant, de la possibilité d'accéder à un programme de préservation de la fertilité en application de l'article L. 2141-11. / Le consentement du mineur doit être systématiquement recherché s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. "

3. L'association Alter Corpus demande au Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 2131-6 du code de la santé publique.

4. En premier lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article 16-1 du code civil : " Le corps humain est inviolable ". L'article 16-3 du même code dispose que : " Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui. / Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir. " Le premier alinéa de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique énonce que : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. (...) " Aux termes de l'article L. 1111-2 du même code : " I. - Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) / II. - Les droits des mineurs mentionnés au présent article sont exercés par les personnes titulaires de l'autorité parentale ou par le tuteur, qui reçoivent l'information prévue par le présent article (...). Les mineurs ont le droit de recevoir eux-mêmes une information et de participer à la prise de décision les concernant, d'une manière adaptée à leur degré de maturité. (...) " En vertu de l'article L. 1111-4 du même code : " Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. / Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement. (...) / Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. / (...) Le consentement (...) du mineur (...) doit être systématiquement recherché s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. (...) "

5. D'une part, les dispositions de l'article L. 2131-6 du code de la santé publique se bornent à prévoir les conditions selon lesquelles est assurée, lorsqu'elle est envisagée, la prise en charge des enfants présentant une variation du développement génital. Elle doit, dans ce cas, avoir lieu après concertation des équipes pluridisciplinaires des centres de référence spécialisés établissant le diagnostic. Les propositions thérapeutiques possibles, lesquelles incluent celle d'abstention thérapeutique, mentionnent leurs conséquences prévisibles et sont formulées lors de cette concertation en application du principe de proportionnalité mentionné à l'article L. 1110-5 du code de santé publique, en vertu duquel les actes de traitements et de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, faire courir à la personne qui les reçoit des risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. Ces dispositions n'ont ni pour objet, ni pour effet, contrairement à ce que soutient l'association requérante, de poser un principe d'intervention thérapeutique sur ces enfants ou d'autoriser des interventions qui ne répondraient pas à une nécessité médicale.

6. D'autre part, les dispositions de l'article L. 2131-6 du code de la santé publique assortissent cette prise en charge de garanties procédurales particulières. Celle-ci est ainsi réalisée, comme il a été dit, après concertation des équipes pluridisciplinaires des centres de référence des maladies rares spécialisés. Elle donne lieu à une information complète et un accompagnement psychosocial approprié de l'enfant et de sa famille, lesquels doivent disposer du temps nécessaire pour procéder à un choix éclairé. Les titulaires de l'autorité parentale doivent être informés de l'existence d'associations spécialisées dans l'accompagnement des personnes présentant une variation du développement génital. Enfin, le consentement du mineur doit être systématiquement recherché s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision.

7. L'ensemble de ces dispositions, qui doivent se lire en combinaison avec les dispositions de l'article 16-3 du code civil relatives aux conditions de nécessité médicale et de consentement et avec les dispositions des articles L. 1111-2 et L. 1111-4 du code de la santé publique citées au point 4, sont de nature à garantir le respect des principes d'inviolabilité et d'intégrité du corps humain, qui figurent aux articles 16-1 et 16-3 du code civil, et tendent ainsi à assurer le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, lequel n'implique pas que des associations de patients participent à la concertation des équipes pluridisciplinaires établissant le diagnostic et le cas échéant les propositions thérapeutiques prévue par l'article législatif en litige.

8. En second lieu, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

9. Les enfants présentant des variations du développement génital sont dans une situation différente de ceux qui ne présentent pas de telles variations. Dès lors, en prévoyant un parcours de prise en charge spécifique à ces enfants, incluant en particulier une concertation des équipes pluridisciplinaires des centres de référence des maladies rares spécialisés, et en assortissant cette prise en charge de garanties particulières, le législateur a institué une différence de traitement en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. L'association requérante n'est par ailleurs pas fondée à soutenir que le législateur aurait méconnu sa compétence dans des conditions qui porteraient atteinte au principe d'égalité faute d'avoir donné une définition des variations du développement génital.

10. Le principe d'égalité n'oblige pas à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes. Dès lors, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que le législateur aurait méconnu ce principe en ne distinguant pas la prise en charge des enfants selon le type de variation du développement génital qu'ils présentent.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que l'article L. 2131-6 du code de la santé publique méconnaît les droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association Alter Corpus.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Alter Corpus et au ministre de la santé et de la prévention.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 29 mars 2023 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre ; M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, conseillers d'Etat et M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 14 avril 2023.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

Le rapporteur :

Signé : M. Eric Buge

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 470546
Date de la décision : 14/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 14 avr. 2023, n° 470546
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Eric Buge
Rapporteur public ?: M. Thomas Janicot

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:470546.20230414
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