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14/04/2023 | FRANCE | N°464869

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 14 avril 2023, 464869


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 464869, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 10 juin et 12 septembre 2022 et les 8 février et 21 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a rejeté sa réclamation tendant à la rectification de sa civilité, de son prénom et de son

nom figurant dans le fichier AGDREF ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la som...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 464869, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 10 juin et 12 septembre 2022 et les 8 février et 21 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a rejeté sa réclamation tendant à la rectification de sa civilité, de son prénom et de son nom figurant dans le fichier AGDREF ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP de Nervo et Poupet, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

2° Sous le n° 464873, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 10 juin et 12 septembre 2022 et le 21 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle la présidente de la CNIL a rejeté ses réclamations tendant à la rectification de sa civilité, de son prénom et de son nom figurant sur le titre de séjour qui lui a été délivré par le préfet de la Moselle et des données de même nature conservées par l'administration fiscale ;

3°) de mettre à la charge de la CNIL la somme de 3 000 euros à verser à la SCP de Nervo et Poupet, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

....................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

- le décret n° 2019-536 du 29 mai 2019 ;

- l'arrêté du 17 janvier 2008 du ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique relatif à la mise en service par la direction générale des finances publiques d'un traitement automatisé d'identification des personnes physiques et morales dénommé " PERS " ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Poupet et Kacenelenbogen, avocat de Mme C... ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes susvisées présentent à juger des questions analogues. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces des dossiers que ... a sollicité d'un tribunal de l'Etat de Virginie, aux Etats-Unis, qu'il ordonne de remplacer ce prénom et ce nom par ceux de B... C.... A la suite de l'ordonnance rendue le 23 décembre 2019 par cette juridiction faisant droit à cette demande, Mme B... C... a, d'une part, demandé au service des impôts des particuliers de Neuilly-sur-Seine la mise à jour des données à caractère personnel la concernant détenues par l'administration fiscale et, d'autre part, adressé au préfet de la Moselle une demande tendant à ce que lui soit délivré un titre de séjour modifié. Par un courrier en date du 16 juillet 2020, la préfecture de la Moselle a demandé à Mme C... de lui transmettre, aux fins de modification de son titre de séjour, l'ordonnance de changement de nom traduite par un traducteur assermenté auprès des tribunaux français, dans un délai de quinze jours. Mme C... a, par deux courriers en date des 14 août et 14 septembre 2020, saisi la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) de réclamations tendant à ce que ces deux administrations soient mises en demeure de procéder aux rectifications demandées. Mme C... demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 21 septembre 2021 par laquelle la CNIL a implicitement refusé de l'informer de l'état d'avancement de la procédure ou de son issue et a clôturé sa plainte.

3. En outre, par un autre courrier du 13 octobre 2021, Mme C... a demandé à la CNIL d'enjoindre au préfet de la Moselle de rectifier les données à caractère personnel la concernant figurant dans le fichier AGDREF2. Elle demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet née du silence opposé par la CNIL à cette réclamation.

Sur l'information de la requérante quant à l'état d'avancement de ses procédures ou leur issue :

4. L'article 77 du règlement 2016/680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement de données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE, dit RGPD, dispose que : " 1. (...) toute personne concernée a le droit d'introduire une réclamation auprès d'une autorité de contrôle (...) si elle considère que le traitement de données à caractère personnel la concernant constitue une violation du présent règlement. / 2. L'autorité de contrôle auprès de laquelle la réclamation a été introduite informe l'auteur de la réclamation de l'état d'avancement et de l'issue de la réclamation, y compris de la possibilité d'un recours juridictionnel en vertu de l'article 78 ". Aux termes du 2 de l'article 78 du même règlement : " (...) toute personne concernée a le droit de former un recours juridictionnel effectif lorsque l'autorité de contrôle qui est compétente en vertu des articles 55 et 56 ne traite pas une réclamation ou n'informe pas la personne concernée, dans un délai de trois mois, de l'état d'avancement ou de l'issue de la réclamation qu'elle a introduite au titre de l'article 77 ". En vertu du second alinéa de l'article 10 du décret du 29 mai 2019 susvisé : " Le silence gardé pendant trois mois par la commission sur une réclamation vaut décision de rejet ".

5. En premier lieu, il ressort des pièces des dossiers, d'une part, qu'à la suite de la réclamation relative aux données à caractère personnel en possession de l'administration fiscale, qu'elle a introduite devant la CNIL par un courrier en date du 14 septembre 2020, la Commission a informé Mme C... le 9 avril 2021 qu'elle avait saisi le délégué à la protection des données du ministère chargé des finances. Elle a ensuite, le 21 septembre 2021, adressé un courrier à l'intéressée pour lui indiquer, en réponse à sa demande en date du 21 juillet 2021, que sa réclamation était toujours en cours d'instruction, puis l'a informée le 27 septembre suivant des suites qui avaient été données à sa demande par l'administration fiscale. D'autre part, à la suite de la réclamation relative à la mise à jour de sa carte de séjour introduite devant la CNIL par courrier en date du 14 août 2020, la Commission a, par un premier courrier adressé le 2 septembre 2020, confirmé à Mme C... que la rectification de sa carte de séjour nécessitait la production par ses soins de son acte d'état civil étranger traduit par un traducteur assermenté. Elle a ensuite, par courrier en date du 21 septembre 2021, fait savoir à Mme C... que sa réclamation était toujours en cours d'instruction. Dans ces conditions, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que la CNIL a méconnu les articles 77 et 78 du RGPD en s'abstenant de l'informer de l'état d'avancement ou de l'issue de ses plaintes.

6. En second lieu, dès lors que le courrier du 13 octobre 2021 de Mme C... tendait à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Moselle de rectifier les données à caractère personnel la concernant figurant dans le fichier AGDREF, et non à ce que la CNIL l'informe de l'état d'avancement ou de l'issue d'une procédure en cours, la requérante ne peut utilement invoquer la méconnaissance des articles 77 et 78 du RGPD à l'encontre de la décision implicite de la CNIL rejetant cette demande.

Sur la clôture des plaintes :

7. Le point 1 de l'article 5 du RGPD dispose que : " Les données à caractère personnel doivent être : / d) exactes et, si nécessaire, tenues à jour ; toutes les mesures raisonnables doivent être prises pour que les données à caractère personnel qui sont inexactes, eu égard aux finalités pour lesquelles elles sont traitées, soient effacées ou rectifiées sans tarder (...) ". Aux termes de l'article 16 du même règlement : " La personne concernée a le droit d'obtenir du responsable du traitement, dans les meilleurs délais, la rectification des données à caractère personnel la concernant qui sont inexactes ". En vertu des dispositions combinées des articles 57 et 58 de ce règlement, l'autorité de contrôle nationale, qu'est la CNIL en France, a pour mission de contrôler l'application du règlement et de veiller au respect de celui-ci, le cas échéant en ordonnant au responsable du traitement ou au sous-traitant de satisfaire aux demandes présentées par la personne concernée en vue d'exercer ses droits.

8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que l'administration fiscale a informé la CNIL, par un courrier électronique en date du 15 juin 2021, des suites qu'elle avait données à cette demande et en particulier, qu'elle avait procédé à la mise à jour du numéro d'identification au répertoire (NIR) de la requérante dans le système d'information de la direction générale des finances publiques, afin de tenir compte de sa civilité féminine, et rectifié les données à caractère personnel la concernant figurant sur son espace personnel sur le site impôts.gouv.fr., sous réserve de son nom d'usage antérieur figurant dans la messagerie sécurisée, lequel n'avait pu être techniquement modifié dès lors que cette donnée, issue du référentiel " PERS ", était transmise par les services de l'institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). D'une part, Mme C... ne précise pas en quoi ces diligences seraient insuffisantes au regard des dispositions de l'article 16 du RGPD. D'autre part, il résulte de l'arrêté du ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique du 17 janvier 2008 visé ci-dessus que le nom d'usage des personnes physiques, conservé dans le traitement de données à caractère personnel dénommé " PERS " de la direction générale des finances publiques, est communiqué à cette dernière par l'INSEE et le droit de rectification de cette donnée s'exerce auprès de cet institut. Si l'administration fiscale est réputée avoir transmis la demande de Mme C... à l'INSEE en tant qu'elle ne pouvait elle-même y répondre dans cette mesure, la requérante ne s'est pas plainte auprès de la CNIL, ni devant le juge, de ce que l'INSEE n'a pas procédé à la rectification de la donnée litigieuse dans son propre traitement. Dans ces conditions, la CNIL n'a pas méconnu les articles 16 et 57 du RGPD en s'abstenant d'user de ses pouvoirs pour que les données soient rectifiées.

9. En deuxième lieu, il résulte de l'article 2 de la Constitution que la langue de la République est le français. En vertu du premier alinéa de l'annexe 10 de la partie réglementaire du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui énumère la liste des pièces justificatives à fournir par les personnes sollicitant un titre de séjour : " Toutes les pièces produites doivent être rédigées en français ou traduites par un traducteur assermenté près une cour d'appel ". Saisi de la demande de Mme C..., fondée sur l'ordonnance du tribunal de l'Etat de Virginie mentionnée au point 2, tendant à la rectification de la civilité, du prénom et du nom de la requérante sur le titre de séjour dont elle bénéficiait et dans le traitement dénommé " Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France " (AGDREF2), dont la finalité est notamment de permettre aux services centraux et locaux du ministère de l'intérieur d'assurer l'instruction des demandes et la fabrication des titres de séjour des ressortissants étrangers, ainsi que la gestion de leurs dossiers, le préfet de la Moselle a pu légalement subordonner une telle rectification à la présentation d'une traduction de cette ordonnance par un traducteur assermenté près une cour d'appel et, en l'absence de production de ce document, s'abstenir de procéder à la rectification demandée. Par suite, en refusant de mettre en demeure le préfet de la Moselle de procéder à cette rectification tant sur le titre de séjour de la requérante que dans le fichier AGDREF2, la présidente de la CNIL n'a, en tout état de cause, pas méconnu les articles 16 et 57 du RGPD.

10. En troisième et dernier lieu, contrairement à ce qui est soutenu, le rejet de la réclamation introduite par Mme C... le 13 octobre 2021 ne place nullement la requérante dans l'impossibilité d'obtenir la rectification des données à caractère personnel la concernant figurant dans le fichier AGDREF2, celle-ci étant seulement subordonnée à la production d'une traduction de l'ordonnance mentionnée au point 2 par un traducteur assermenté, permettant de s'assurer de la portée exacte de cette décision de justice rendue par une juridiction étrangère. Eu égard à la nécessité de garantir l'exactitude des données figurant dans le fichier AGDREF2 et alors que Mme C... ne soutient pas se trouver dans l'impossibilité de fournir la traduction demandée, le moyen tiré de ce que la CNIL a porté une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en s'abstenant de mettre en demeure le préfet de la Moselle de procéder à la rectification demandée doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes doivent être rejetées, y compris les conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les requêtes de Mme C... sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B... C... et à la Commission nationale de l'informatique et des libertés.

Délibéré à l'issue de la séance du 23 mars 2023 où siégeaient : M. Alexandre Lallet, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 14 avril 2023.

Le président :

Signé : M. Alexandre Lallet

Le rapporteur :

Signé : M. Philippe Bachschmidt

La secrétaire :

Signé : Mme Naouel Adouane


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 464869
Date de la décision : 14/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 14 avr. 2023, n° 464869
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Philippe Bachschmidt
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier
Avocat(s) : SCP POUPET et KACENELENBOGEN

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:464869.20230414
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