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07/04/2023 | FRANCE | N°467776

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 07 avril 2023, 467776


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct, enregistré le 28 janvier 2023, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 août 2022 relatif au consentement à la proposition à l'accueil d'un ou plusieurs embryons, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 342-9 du

code civil, dans sa version résultant de la loi n° 2021-1017 du 2 août...

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct, enregistré le 28 janvier 2023, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 août 2022 relatif au consentement à la proposition à l'accueil d'un ou plusieurs embryons, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 342-9 du code civil, dans sa version résultant de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 ;

- la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Alexandra Bratos, auditrice,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 29 août 2022, le ministre de la santé et de la prévention a défini les modèles de formulaires applicables au recueil du consentement des couples ou des femmes non mariées souhaitant proposer leurs embryons à l'accueil par un couple tiers ou une femme non mariée. Par un mémoire distinct, présenté à l'appui du recours pour excès de pouvoir qu'il a formé contre cet arrêté, M. B... soutient que les dispositions de l'article 342-9 du code civil, dont l'arrêté du 29 août 2022 vient faire application, portent atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article 311-19 du code civil, devenu l'article 342-9 du code civil depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021, figurant au titre VII " De la filiation " du Livre Ier du code civil : " En cas d'assistance médicale à la procréation nécessitant l'intervention d'un tiers donneur, aucun lien de filiation ne peut être établi entre l'auteur du don et l'enfant issu de l'assistance médicale à la procréation. / Aucune action en responsabilité ne peut être exercée à l'encontre du donneur ".

4. Par sa décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions de l'article 311-19 du code civil issues de l'article 10 de la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994. Toutefois, depuis cette décision, le législateur a ouvert le bénéfice de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes non mariées et a consacré le droit d'accès aux origines pour les enfants conçus par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur. Ces modifications apportées au champ de l'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur constituent, par leur incidence sur le nombre de bénéficiaires de cette assistance et par la possibilité désormais ouverte aux enfants nés d'un don de gamètes ou d'un accueil d'embryon d'accéder à l'identité et aux données non identifiantes du tiers donneur à leur majorité, un changement des circonstances justifiant, en l'espèce, que le Conseil constitutionnel puisse être ressaisi de la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 311-19 devenu 342-9 du code civil, qui sont applicables au litige.

5. Le moyen tiré de ce que ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale, en ce qu'elles excluraient la possibilité, pour le tiers donneur, d'établir un lien de filiation avec l'enfant né du don par la voie de l'adoption, soulève, eu égard aux évolutions du cadre juridique applicable aux dons de gamètes et à l'accueil d'embryons, une question nouvelle au sens de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.

6. Il y a lieu, par suite, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions de l'article 342-9 du code civil est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de M. B... jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., à la Première ministre, au garde des sceaux, ministre de la justice et au ministre de la santé et de la prévention.

Délibéré à l'issue de la séance du 27 mars 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et Mme Alexandra Bratos, auditrice-rapporteure.

Rendu le 7 avril 2023.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Alexandra Bratos

La secrétaire :

Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 467776
Date de la décision : 07/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 07 avr. 2023, n° 467776
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Alexandra Bratos
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:467776.20230407
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