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07/04/2023 | FRANCE | N°461416

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 07 avril 2023, 461416


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 février et 30 novembre 2022 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat des médecins Aix et région demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-51 du 22 janvier 2022 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire ;

2°) d'enjoindre sous astreinte au Premier ministre d'adopter un décret autorisant de nouveau

l'accès à certains établissements, lieux, services ou évènements énumérés aux II et II...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 février et 30 novembre 2022 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat des médecins Aix et région demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-51 du 22 janvier 2022 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire ;

2°) d'enjoindre sous astreinte au Premier ministre d'adopter un décret autorisant de nouveau l'accès à certains établissements, lieux, services ou évènements énumérés aux II et III de l'article 47-1 du décret du 1er juin 2021 modifié à la présentation du résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;

- la loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2022-835 DC du 21 janvier 2022 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. La loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a précisé les mesures de lutte contre l'épidémie de covid-19 à la suite de l'expiration, le 1er juin 2021, de l'état d'urgence sanitaire qui avait été déclenché en octobre 2020. Face à une situation sanitaire marquée par une circulation active du virus responsable de la covid-19 sur l'ensemble du territoire, cette loi a été modifiée par la loi du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique afin d'autoriser le Premier ministre à prendre de nouvelles mesures dans l'intérêt, ainsi que le précisait le A du II de son article 1er, " de la santé publique, aux seules fins de lutter contre l'épidémie de covid-19 et si la situation sanitaire le justifie au regard de la circulation virale ou de ses conséquences sur le système de santé, appréciées en tenant compte des indicateurs sanitaires tels que le taux de vaccination, le taux de positivité des tests de dépistage, le taux d'incidence ou le taux de saturation des lits de réanimation ". Cette loi a ainsi permis au Premier ministre de subordonner, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, à la présentation, par les personnes âgées d'au moins 16 ans, d'un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, l'accès aux activités de loisirs, de restauration commerciale ou de débit de boissons, à l'exception de la restauration collective, de la vente à emporter de plats préparés et de la restauration professionnelle routière et ferroviaire, aux foires, séminaires et salons professionnels, aux déplacements de longue distance par transports publics interrégionaux, sauf motif impérieux d'ordre familial ou de santé, ainsi que, sur décision motivée du représentant de l'Etat dans le département, lorsque leurs caractéristiques et la gravité des risques de contamination le justifient, aux grands magasins et centres commerciaux, et dans des conditions garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité ainsi, le cas échéant, qu'aux moyens de transport. Cette mesure a été mise en œuvre par le décret du 22 janvier 2022 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire.

2. Le syndicat des médecins Aix et région demande l'annulation du décret du 22 janvier 2022 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire en tant en tant qu'il subordonne l'accès à certains lieux à la présentation d'un certificat de vaccination contre la covid-19, dit " passe vaccinal ".

3. En premier lieu, il ressort d'une ampliation certifiée conforme à l'original par la directrice, adjointe à la secrétaire générale du gouvernement, que le décret attaqué a été signé par le Premier ministre et contresigné par le ministre des solidarités et de la santé, le ministre de l'intérieur et le ministre des outre-mer. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué ne serait pas revêtu des signatures requises ne peut qu'être écarté.

4. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'à la date du décret attaqué, la circulation du virus connaissait un contexte de forte reprise épidémique, le taux d'incidence sur le territoire national s'élevant à 3 098 pour 100 000 habitants, en augmentation de 9 % par rapport à la semaine précédente, la tension hospitalière demeurant à un niveau élevé avec 13 787 nouvelles hospitalisations et 1 844 nouvelles hospitalisations en services de soins critiques, et le nombre de décès étant en augmentation de 2 % par rapport à la semaine précédente, avec 1 460 nouveaux décès. En outre, les 8 % des personnes non vaccinées dans la population française de 20 ans ou plus représentaient, dans les semaines précédant l'adoption du décret attaqué, 54 % des entrées en soins critiques avec covid-19 et 46 % des décès après hospitalisation avec covid-19. Enfin, il ressort des données scientifiques alors disponibles que la vaccination, la limitation des rassemblements de personnes et le respect des gestes barrière étaient des mesures adaptées pour lutter contre la propagation du virus afin de réduire les hospitalisations et de diminuer le risque de développer des formes graves de la covid-19.

5. Les dispositions attaquées du 5° de l'article 1er du décret, qui subordonnaient l'accès à certains lieux à la présentation d'un " passe vaccinal ", ont fait application de l'habilitation donnée au Premier ministre par la loi du 31 mai 2021 telle que modifiée par la loi du 22 janvier 2022, et dont le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2022-835 DC du 21 janvier 2022, a jugé qu'elle reposait sur une conciliation équilibrée entre, d'une part, les droits et libertés constitutionnellement garantis, et notamment le droit au respect de la vie privée, et, d'autre part, l'objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé. Par ailleurs, elles étaient justifiées par la situation sanitaire rappelée au point 4 et elles ont permis de maintenir l'accès à certains lieux malgré la reprise de l'épidémie. Elles ont ainsi pris fin le 14 mars 2022. Enfin, les personnes autorisées à contrôler le " passe vaccinal " étaient limitativement énumérées et si elles avaient accès aux nom, prénom et date de naissance de la personne concernée ainsi qu'au résultat positif ou négatif de détention d'un justificatif conforme, elles ne pouvaient savoir si ce résultat résultait d'une vaccination ou d'une contamination par la covid-19. Les données collectées n'étaient par ailleurs pas conservées. Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, les dispositions du décret attaqué subordonnant l'accès à certains lieux à la présentation d'une " passe vaccinal " ne portaient pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, au secret médical, à la protection des données personnelles de santé et à la dignité humaine.

6. En dernier lieu, eu égard aux caractéristiques des lieux, établissements, services ou évènements dont l'accès était subordonné à la présentation d'un " passe vaccinal ", les personnes qui souhaitaient y accéder étaient exposées à un risque accru de transmission du virus responsable de la covid-19, notamment en raison de la levée des autres mesures barrières. Il s'ensuit que les personnes non vaccinées n'étaient pas, s'agissant de l'accès à ces lieux, dans la même situation que les personnes vaccinées. Par suite les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions du décret attaqué méconnaîtraient le principe d'égalité et le principe de non-discrimination.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la requête du syndicat des médecins Aix et région doit être rejetée, y compris, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête du syndicat des médecins Aix et région est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au syndicat des médecins Aix et région et au ministre de la santé et de la prévention.

Copie en sera adressée à la Première ministre et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 9 mars 2023 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et M. David Moreau, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 7 avril 2023.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

Le rapporteur :

Signé : M. David Moreau

La secrétaire :

Signé : Mme Naouel Adouane


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 461416
Date de la décision : 07/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 07 avr. 2023, n° 461416
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Moreau
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:461416.20230407
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