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07/04/2023 | FRANCE | N°461211

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 07 avril 2023, 461211


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 février et 23 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme E... N..., Mme AC... R..., M. C... Y..., Mme AG... Y..., Mme S... AD..., Mme M... Z..., Mme D... X..., Mme A... AA..., Mme AB... G..., M. Q... P..., Mme H... W..., Mme AF... J..., Mme K... AE..., Mme F... I..., Mme L... U..., M. V... T... et Mme B... O... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le 3° de l'article 1er du décret n° 2021-1585 du 7 décembre 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er

juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 février et 23 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme E... N..., Mme AC... R..., M. C... Y..., Mme AG... Y..., Mme S... AD..., Mme M... Z..., Mme D... X..., Mme A... AA..., Mme AB... G..., M. Q... P..., Mme H... W..., Mme AF... J..., Mme K... AE..., Mme F... I..., Mme L... U..., M. V... T... et Mme B... O... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le 3° de l'article 1er du décret n° 2021-1585 du 7 décembre 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire en tant qu'il modifie le II de l'article 36 du décret du 1er juin 2021 pour imposer le port d'un masque de protection par les élèves des écoles élémentaires dans les espaces extérieurs des établissements de type R ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'éducation nationale de réaliser une étude d'impact permettant d'évaluer le rapport bénéfices-risques du port du masque pour les enfants des écoles élémentaires dans l'enceinte des établissements au regard des risques sanitaires encourus par ces derniers face au virus de la Covid-19, du retard d'apprentissage de la langue et des conséquences physiques et psychologiques causées par la saturation d'oxygène, afin de vérifier que la mesure est nécessaire, adaptée et proportionnée au but poursuivi ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

Sur le cadre du litige :

1. A l'expiration, le 1er juin 2021, de l'état d'urgence sanitaire qui avait été déclenché en octobre 2020 pour faire face à une reprise de l'épidémie de covid-19, l'évolution de la situation sanitaire a conduit à une modification des mesures prises pour lutter contre l'épidémie. Aux termes du I de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, dans sa rédaction applicable au litige : " le Premier ministre peut, par décret pris sur le rapport du ministre de la santé, dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 (...) réglementer l'ouverture au public, y compris les conditions d'accès et de présence, d'une ou de plusieurs catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, à l'exception des locaux à usage d'habitation, en garantissant l'accès des personnes aux biens et aux services de première nécessité ".

2. L'article 36 du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, dans sa version antérieure au décret du 7 décembre 2021 attaqué, imposait le port du masque en milieu scolaire dans les seuls espaces clos. Le 3° de l'article 1er du décret du 7 décembre 2021 a complété le II de l'article 36 pour prévoir qu'à compter de son entrée en vigueur, " Les personnels des écoles maternelles, les personnels et élèves des écoles élémentaires, les personnels des structures mentionnées au II de l'article 32 lorsqu'elles accueillent des enfants de six à dix ans, ces mêmes enfants et leurs représentants légaux portent également un masque de protection dans les espaces extérieurs de ces établissements. ". Par ailleurs, aux termes du second alinéa du I de l'article 2 du décret du 1er juin 2021, dont la rédaction n'a pas été modifiée par le décret attaqué : " Les obligations de port du masque prévues au présent décret ne s'appliquent pas aux personnes en situation de handicap munies d'un certificat médical justifiant de cette dérogation et qui mettent en œuvre les mesures sanitaires de nature à prévenir la propagation du virus ".

3. Les requérants demandent l'annulation des dispositions du 3° de l'article 1er du décret du 7 décembre 2021 en ce qu'elles modifient le II de l'article 36 du décret du 1er juin 2021 pour imposer, aux enfants de six à dix ans, le port d'un masque de protection dans les espaces extérieurs des écoles maternelles, des écoles élémentaires et des structures mentionnées au II de l'article 32 du décret du 1er juin 2021.

4. En premier lieu, la circonstance que le mémoire en défense présenté au nom de l'Etat devant le Conseil d'Etat, qui conclut au rejet de la requête, comporte des notes en bas de page renvoyant à des documents en langue anglaise est sans incidence sur sa recevabilité.

5. En deuxième lieu, ni les dispositions du premier alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, en vertu desquelles toute décision prise par une administration doit comporter la signature de son auteur, ni aucun autre texte ou aucun principe n'imposent que, lorsqu'une telle décision fait l'objet d'une publication, cette signature figure sur le document tel qu'il est publié. Les requérants ne sont par suite pas fondés à soutenir que le décret attaqué serait irrégulier faute de comporter, dans sa version publiée au Journal officiel de la République française, la signature de ses auteurs.

6. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'à la date à laquelle les dispositions attaquées ont été adoptées, les différents indicateurs sanitaires évoluaient négativement avec une progression rapide de l'épidémie de covid-19, qui s'était considérablement accentuée à partir de la fin du mois d'octobre 2021. Les données de suivi de l'épidémie démontraient ainsi une augmentation exponentielle du taux d'incidence dans la population générale sur l'ensemble du territoire, passant de 91 pour 100 000 début novembre 2021 à 448 pour 100 000 le 5 décembre 2021, à l'issue d'une semaine durant laquelle ce taux avait augmenté de 44 %. Au sein des classes d'âge scolaire, les enfants de six à dix ans présentaient le taux d'incidence le plus élevé depuis le mois de septembre 2021, ce taux étant passé de 72 pour 100 000 à la fin du mois d'octobre 2021 à 988 pour 100 000 au cours de la semaine du 29 novembre au 5 décembre 2022, soit une hausse de 48 % au cours de cette seule semaine, laissant craindre une augmentation du nombre des formes sévères de la maladie et des hospitalisations touchant des enfants sans comorbidité. Ces différents taux d'incidence étaient supérieurs à ceux des pics constatés lors des troisième et quatrième vagues de l'épidémie. Par ailleurs, au cours de cette même semaine, le taux de positivité des tests dans la population générale était également en hausse, à 6,4 %, tandis que les hospitalisations augmentaient de 27 % et les nouvelles admissions en services de soins critiques de 33 % par rapport à la semaine précédente.

7. De plus, il est constant que le virus responsable de la covid-19 peut se transmettre par gouttelettes respiratoires, par contacts et par voie aéroportée et que les personnes peuvent être contagieuses sans le savoir, notamment pendant la phase pré-symptomatique. En particulier, la transmission de ce virus est favorisée par le brassage de population, la densité de population et le temps de contact avec des personnes potentiellement contaminées. En outre, il n'est pas sérieusement contesté que, s'il est certes moins élevé que dans les espaces clos, le risque de contamination persiste en plein air, notamment en cas de forte concentration de personnes ou lorsque la distanciation physique n'est pas maintenue. L'Organisation mondiale de la santé recommandait ainsi le port du masque à l'extérieur lorsqu'il n'est pas possible de respecter la distanciation physique dans ses orientations du 1er décembre 2020 produites par les requérants. Il n'est par ailleurs pas sérieusement contesté que le virus responsable de la covid-19 est susceptible d'être diffusé par l'intermédiaire des enfants de six à dix ans et que les établissements accueillant ce public sont des lieux de fort brassage, alors que leur configuration et le jeune âge des enfants rendent difficile le maintien de la distanciation physique. Enfin, il ressort des pièces du dossier que l'Organisation mondiale de la santé ne déconseillait pas le port du masque pour les enfants de cette tranche d'âge, que son intérêt au sein des établissements tels que ceux visés par le décret avaient été scientifiquement mis en évidence et que le Haut conseil de la santé publique l'avait recommandé en cours de récréation lors de la deuxième vague de l'épidémie.

8. Dans ce contexte, et alors que cette tranche d'âge n'était pas encore concernée par la campagne de vaccination, le Gouvernement a souhaité maintenir l'accueil des enfants de six à dix ans dans les établissements visés par le décret attaqué, en dépit de la persistance de l'épidémie tout en renforçant les précautions à prendre. Bien que contraignantes et pouvant s'avérer contre-indiquées à la situation médicale d'enfants souffrant de certaines pathologies, les dispositions contestées, qui tiennent compte de l'âge et de la maturité des enfants, et dont la mise en œuvre est placée sous le contrôle des adultes, ne font pas obstacle à ce que les situations particulières soient prises en compte et l'obligation qu'elles prévoient ne s'applique pas aux enfants en situation de handicap. De plus, il ne ressort pas des éléments invoqués par les requérants que le port du masque en extérieur, y compris lors des récréations se déroulant sous la supervision d'adultes aptes à inviter les enfants à adapter, le cas échéant, leur comportement au port du masque, aurait entraîné des risques importants pour la santé des enfants de six à dix ans, excédant les avantages avérés de cette mesure dans le contexte sanitaire rappelé ci-dessus. Enfin, il ressort des éléments qui précèdent que les enfants de six à dix ans étaient, face à l'épidémie de covid-19, dans une situation spécifique à leur tranche d'âge, tandis que leur accueil dans les établissements visés par le décret attaqué représentait les mêmes risques sur tout le territoire national, qui était d'ailleurs touché de façon générale par la dégradation des indices sanitaires rappelée ci-dessus. Les dispositions attaquées pouvaient donc légalement être appliquées sur l'ensemble du territoire aux enfants de cette tranche d'âge sans porter atteinte au principe d'égalité et sans que cette circonstance, qui en assurait au surplus la simplicité et la lisibilité, nécessaires à leur bonne connaissance et à leur correcte application, soit disproportionnée aux circonstances de temps et de lieu. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que les dispositions attaquées ne seraient pas nécessaires, adaptées et proportionnées et qu'elles porteraient une atteinte illégale aux droits et libertés, tels que la liberté d'aller et venir, la liberté personnelle, le droit à la vie privée et la primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant, n'est pas fondé.

9. En dernier lieu, les requérants ne sauraient utilement invoquer ni des changements de circonstances postérieurs au décret attaqué, ni le refus allégué du Gouvernement de procéder aux études qu'ils évoquent, ni des pratiques locales, ni l'articulation d'un protocole sanitaire publié par le ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports avec le décret attaqué pour soutenir que ce décret, qui ne présente en tout état de cause aucune difficulté d'interprétation, méconnaîtrait le principe de sécurité juridique ou l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité des normes.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de Mme N... et autres doit être rejetée, y compris, par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de Mme N... et autres est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme E... N..., première dénommée pour l'ensemble des requérants, au ministre de la santé et de la prévention et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Copie en sera adressée à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 9 mars 2023 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et M. David Moreau, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 7 avril 2023.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

Le rapporteur :

Signé : M. David Moreau

La secrétaire :

Signé : Mme Naouel Adouane


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 461211
Date de la décision : 07/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 07 avr. 2023, n° 461211
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Moreau
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:461211.20230407
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