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04/04/2023 | FRANCE | N°453598

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 04 avril 2023, 453598


Vu la procédure suivante :

Mme E... A... a porté plainte contre M. D... F... et

M. B... C... devant la chambre de discipline de la région

Provence-Alpes-Côte d'Azur-Corse de l'ordre des vétérinaires. Par une décision du

18 avril 2014, la chambre de discipline a prononcé à l'encontre de chacun des praticiens la sanction de l'interdiction d'exercer la médecine vétérinaire sur tout le territoire national pour une durée de quatre mois dont deux mois assortis du sursis.

Par une décision du 10 juillet 2015, la chambre supérieure de discipline de

l'ordre des vétérinaires a, sur appel de M. F... et M. C..., ramené la durée de l'interdicti...

Vu la procédure suivante :

Mme E... A... a porté plainte contre M. D... F... et

M. B... C... devant la chambre de discipline de la région

Provence-Alpes-Côte d'Azur-Corse de l'ordre des vétérinaires. Par une décision du

18 avril 2014, la chambre de discipline a prononcé à l'encontre de chacun des praticiens la sanction de l'interdiction d'exercer la médecine vétérinaire sur tout le territoire national pour une durée de quatre mois dont deux mois assortis du sursis.

Par une décision du 10 juillet 2015, la chambre supérieure de discipline de l'ordre des vétérinaires a, sur appel de M. F... et M. C..., ramené la durée de l'interdiction d'exercer leur profession sur tout le territoire national à une durée de deux mois dont un mois et demi assorti du sursis.

Par une décision n° 393436 du 24 mai 2017, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé pour excès de pouvoir la décision du 10 juillet 2015 de la chambre supérieure de discipline du conseil de l'ordre des vétérinaires et a renvoyé l'affaire devant cette chambre.

Par une décision du 14 avril 2021, la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires a prononcé à l'encontre de M. F... et M. C... la sanction de l'interdiction d'exercice de la profession de vétérinaire sur tout le territoire national pour une durée de deux mois dont un mois et quinze jours assortis du sursis.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 juin 2021, 14 septembre 2021 et 10 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. F... et M. C... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 14 avril 2021 de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Cabrera, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Bouthors, avocat de

M. F... et de M. C... et à la SCP Poupet et Kacenelenbogen, avocat de

Mme E... A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 18 avril 2014, la chambre régionale de discipline de

Provence-Alpes-Côte d'Azur-Corse de l'ordre des vétérinaires, saisie d'une plainte de

Mme E... A..., a infligé à M. D... F... et M. B... C..., vétérinaires, la sanction de l'interdiction d'exercer la médecine vétérinaire sur tout le territoire national pour une durée de quatre mois, dont deux mois assortis du sursis, au motif qu'ils avaient manqué à leur obligation d'assurer et de faire assurer, au sein de leur dispensaire d'exercice, la gratuité des soins prodigués aux animaux dont les propriétaires sont dépourvus de ressources. Par une décision du 10 juillet 2015 rendue sur l'appel de M. F... et M. C..., la chambre supérieure de discipline de l'ordre des vétérinaires a ramené la sanction de l'interdiction d'exercer leur profession sur tout le territoire national à la durée de deux mois, dont un mois et demi avec sursis. Par une décision n° 393436 du 24 mai 2017, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé cette décision et a renvoyé l'affaire devant la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires. M. F... et M. C... se pourvoient en cassation contre la décision du 14 avril 2021 par laquelle la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires a prononcé à l'encontre de M. F... et M. C... la sanction de l'interdiction d'exercice de la profession de vétérinaire sur tout le territoire national pour une durée de deux mois, dont un mois et quinze jours assortis du sursis.

Sur la régularité de la décision de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " S'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d'Etat peut (...) renvoyer l'affaire devant la même juridiction statuant, sauf impossibilité tenant à la nature de la juridiction, dans une autre formation (...) ". Aux termes de l'article R. 242-103 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée, rendu applicable à la procédure devant la chambre nationale de discipline par l'article R. 242-113 du même code : " Le délibéré est secret. Il a lieu hors la présence des parties, du rapporteur, du président (...) et du public ".

3. La circonstance que le rapporteur de l'affaire devant la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires ayant rendu la décision du 14 avril 2021, après renvoi par le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, avait participé à la formation de jugement ayant rendu la décision du 10 juillet 2015 qui avait été annulée par le Conseil d'Etat ne méconnaît en tout état de cause ni le principe d'impartialité applicable à toutes les juridictions ni l'article

L. 821-2 du code de justice administrative, dès lors que le rapporteur devant la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires ne fait pas partie de la formation de jugement.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 242-112 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction applicable au litige : " Dès que l'appel est interjeté, le président de la chambre nationale de discipline désigne un rapporteur choisi au sein du conseil national. / Le rapporteur exécute sa mission conformément aux règles fixées aux I, III et IV de l'article R. 242-95. Lorsqu'il a terminé son instruction, il transmet le dossier accompagné de son rapport écrit au secrétaire général en charge du greffe de la chambre nationale de discipline, qui l'adresse au président de la chambre nationale de discipline et au président du conseil national de l'ordre des vétérinaires ". Il ressort des pièces de la procédure suivie devant la chambre nationale de discipline que si le rapporteur a remis un rapport unique concernant les agissements reprochés à M. F... et à M. C..., son rapport traite distinctement des faits reprochés à chacun des praticiens et de l'instruction à laquelle ils ont respectivement donné lieu. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la procédure a été entachée d'irrégularité en raison de ce qu'un seul rapport a été transmis à la chambre nationale de discipline.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 242-102 du code rural et de la pêche maritime, rendu applicable à la procédure devant la chambre nationale de discipline par l'article R. 242-113 du même code : " (...) L'auteur de la plainte est entendu ainsi que le président du conseil de l'ordre en ses demandes de peines disciplinaires (...) ". Il en résulte que la circonstance que le président de l'ordre ait en l'espèce, comme le permettent ces dispositions, formulé des demandes de peines disciplinaires à l'audience qui s'est tenue devant la chambre nationale de discipline n'est pas de nature à entacher la procédure suivie d'irrégularité. Le moyen présenté à ce titre ne peut, dès lors, qu'être écarté.

Sur le bien-fondé de la décision de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires :

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 214-6 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction applicable au litige : " (...) VI. Seules les associations de protection des animaux reconnues d'utilité publique ou les fondations ayant pour objet la protection des animaux peuvent gérer des établissements dans lesquels les actes vétérinaires sont dispensés gratuitement aux animaux des personnes dépourvues de ressources suffisantes. / La gestion de ces établissements est subordonnée à une déclaration auprès du préfet du département où ils sont installés. / Les conditions sanitaires et les modalités de contrôle correspondantes sont fixées par décret ". Aux termes de l'article R. 242-50 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Il est interdit de donner des consultations gratuites ou payantes dont peut tirer un bénéfice moral ou matériel une personne physique ou morale non habilitée légalement à exercer la profession vétérinaire et extérieure au contrat de soin. / Seules font exception aux dispositions du précédent alinéa les associations dont l'objet est la protection des animaux et qui sont habilitées par les dispositions du VI de l'article L. 214-6 à gérer des établissements dans lesquels les actes vétérinaires sont dispensés aux animaux des personnes dépourvues de ressources suffisantes. Ces actes sont gratuits. Les vétérinaires exerçant dans ces établissements ne peuvent être rétribués que par ceux-ci ou par l'association qui les gère, à l'exclusion de toute autre rémunération. Ils doivent obtenir des engagements pour le respect des dispositions qui précédent sous la forme d'un contrat qui garantit en outre leur complète indépendance professionnelle. / Ce contrat doit être communiqué au conseil régional de l'ordre qui vérifie sa conformité avec les prescriptions de la présente section ". Ces dispositions, qui figurent dans le code de déontologie des vétérinaires, dans sa sous-section relative aux devoirs des vétérinaires envers leurs clients, imposent à tout praticien exerçant dans une structure relevant du VI de l'article L. 214-6 du code rural et de la pêche maritime, quel que soit son mode d'exercice, de respecter et de s'assurer du respect de la gratuité des soins y étant dispensés aux animaux des personnes dépourvues de ressources suffisantes.

7. Il résulte des énonciations de la décision attaquée que M. F... et

M. C..., vétérinaires salariés, étaient employés lors des faits litigieux par la

Fondation Assistance Aux Animaux, habilitée à dispenser des soins gratuits aux animaux des personnes dépourvues de ressources suffisantes en application des dispositions du VI de l'article L. 214-6 du code rural et de la pêche maritime, respectivement dans les dispensaires de Marseille et de Toulon, dans lesquels des participations financières étaient demandées aux clients, tant à leur arrivée qu'à l'issue de la consultation, une grille de tarification des actes étant à cet égard affichée dans la salle d'attente. La chambre nationale de discipline a en outre relevé que

M. F... et M. C... étaient informés de ces pratiques, auxquelles ils ne s'étaient pas opposés et que M. C... y contribuait en recourant à des gestes codés pour informer les personnels administratifs des actes qu'il avait pratiqués, en vue de leur tarification. En déduisant que ces praticiens avaient, en l'espèce, méconnu leurs obligations déontologiques découlant des dispositions citées au point 6, la circonstance qu'ils aient le statut de salarié n'étant pas, compte tenu des termes mêmes de l'article R. 242-50 du code rural et de la pêche maritime, susceptible de les exonérer du respect des règles énoncées au point 6, la chambre disciplinaire nationale n'a pas entaché sa décision d'erreur de droit et a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

8. En deuxième lieu, la chambre disciplinaire nationale n'ayant pas retenu de manquement relatif à la méconnaissance de l'article R. 243-33 du code rural et de la pêche maritime, relatif aux devoirs généraux du vétérinaire, les moyens tirés de ce qu'elle ne pouvait régulièrement se fonder sur ces dispositions ou qu'elle aurait commis une erreur de droit en se fondant sur elles pour retenir un manquement ne peuvent qu'être écartés.

9. En dernier lieu, il appartient au juge de cassation de vérifier que la sanction retenue n'est pas hors de proportion avec la faute commise et qu'elle a pu dès lors être légalement prise. En l'espèce, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins, en estimant que les fautes déontologiques reprochées à M. F... et à M. C... justifiaient, eu égard à leur nature et à leur caractère récurrent, la sanction de l'interdiction du droit d'exercer la profession de vétérinaire sur le territoire national pendant une période de deux mois, dont un mois et quinze jours avec sursis, n'a pas prononcé une sanction hors de proportion avec les fautes qu'elle avait retenues.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de M. F... et

M. C... doit être rejeté. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de Mme A... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. F... et M. C... la somme de 1 500 euros à verser chacun à Mme A... au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de M. F... et M. C... est rejeté.

Article 2 : M. F... et M. C... verseront chacun à Mme A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. D... F..., à M. B... C... et à Mme E... A....

Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des vétérinaires.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 453598
Date de la décision : 04/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

55-03-042 PROFESSIONS, CHARGES ET OFFICES. - CONDITIONS D'EXERCICE DES PROFESSIONS. - VÉTÉRINAIRES. - 1) VÉTÉRINAIRES EXERÇANT DANS UNE ASSOCIATION OU UNE FONDATION DE PROTECTION DES ANIMAUX – OBLIGATION DE RESPECTER ET DE S’ASSURER DU RESPECT DE LA GRATUITÉ DES SOINS DISPENSÉS AUX ANIMAUX DES PERSONNES DÉPOURVUES DE RESSOURCES SUFFISANTES (ART. R. 242-50 DU CRPM) – EXISTENCE, QUEL QUE SOIT LE MODE D’EXERCICE – 2) ILLUSTRATION – VÉTÉRINAIRES SALARIÉS [RJ1].

55-03-042 1) L’article R. 242-50 du code rural et de la pêche maritime (CRPM), qui figure dans le code de déontologie des vétérinaires, dans sa sous-section relative aux devoirs des vétérinaires envers leurs clients, impose à tout praticien exerçant dans une association de protection des animaux reconnue d'utilité publique ou une fondation ayant pour objet la protection des animaux, mentionnées au VI de l'article L. 214-6 du CRPM, quel que soit son mode d’exercice, de respecter et de s’assurer du respect de la gratuité des soins y étant dispensés aux animaux des personnes dépourvues de ressources suffisantes....2) Vétérinaires salariés d’une fondation habilitée à dispenser des soins gratuits aux animaux des personnes dépourvues de ressources suffisantes, pratiquant dans un dispensaire dans lequel des participations financières étaient demandées aux clients, une grille de tarification des actes y étant affichée, sans qu’ils se soient opposés à ces pratiques, auxquelles l’un d’eux contribuait en recourant à des gestes codés en vue de leur tarification. ...Ces praticiens ont, en l’espèce, méconnu leurs obligations déontologiques, la circonstance qu’ils aient le statut de salarié n’étant pas de nature à les exonérer du respect des règles qui découlent de l’article R. 242-50 du CRPM.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, 5 novembre 2001, M. Bonifacio, n° 214204, aux Tables sur un autre point ;

Rappr., s’agissant d’un dentiste, CE, 18 novembre 2020, M. Dalla Gharbi, n° 431554, aux Tables sur un autre point.


Publications
Proposition de citation : CE, 04 avr. 2023, n° 453598
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Laurent Cabrera
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : BOUTHORS ; SCP POUPET et KACENELENBOGEN ; CABINET ROUSSEAU, TAPIE

Origine de la décision
Date de l'import : 07/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:453598.20230404
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