Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
1° La société anonyme Electricité de France (EDF) a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2008 et de lui accorder le versement d'intérêts moratoires. Par un jugement n° 1606804 du 5 octobre 2017, ce tribunal a prononcé la décharge de ces impositions supplémentaires et des intérêts de retard afférents à hauteur de 354 196 859 euros et a rejeté le surplus des conclusions de cette demande.
Par un arrêt n° 18VE00387 du 28 janvier 2020, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le ministre de l'action et des comptes publics contre l'article 1er de ce jugement.
Par une décision n° 439666 du 11 décembre 2020, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, faisant droit au pourvoi en cassation présenté par le ministre de l'action et des comptes publics, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Versailles.
2° La société EDF a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2010 et de lui accorder le versement d'intérêts moratoires. Par un jugement n° 1708048 du 14 février 2019, ce tribunal après avoir constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer à hauteur d'un dégrèvement prononcé en cours d'instance, a prononcé la décharge de ces impositions supplémentaires et des intérêts de retard afférents à hauteur de 20 144 537 euros, et a rejeté le surplus des conclusions de cette demande.
3° Par un arrêt nos 19VE02071, 20VE03247 du 17 juin 2021, la cour administrative d'appel de Versailles, statuant sur renvoi dans la première affaire et sur appel dans la seconde, a annulé l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Montreuil du 5 octobre 2017 et l'article 2 de son jugement du 14 février 2019, et remis à la charge de la société EDF les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt, ainsi que les intérêts de retard, dont le tribunal avait prononcé la décharge par ces deux jugements.
Procédure devant le Conseil d'Etat :
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 3 août et 3 novembre 2021 et le 13 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société EDF demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant les affaires au fond, de rejeter les appels du ministre ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 ;
- le plan comptable général ;
- l'avis n° 2005-H du 6 décembre 2005 du comité d'urgence du Conseil national de la comptabilité ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Claude Hassan, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société EDF ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 mars 2023, présentée par la société EDF ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond qu'à compter de l'exercice clos en 2002, la société EDF a constaté à son passif une provision visant à couvrir l'ensemble des charges futures actualisées de démantèlement des centrales nucléaires qu'elle exploite et, en contrepartie, un actif d'un montant équivalent, qu'elle a amorti suivant le mode linéaire de manière rétroactive depuis la date de mise en service de chaque centrale. Au sein de ce passif, elle a notamment comptabilisé une provision dite de " dernier cœur " correspondant à la totalité des charges liées à l'arrêt du dernier cœur du ou des réacteurs des centrales à démanteler, et comprenant une part " amont ", correspondant à la mise au rebut du combustible nucléaire qui n'aura pas été totalement irradié au moment de l'arrêt des réacteurs, ainsi qu'une part " aval ", correspondant aux coûts de retraitement, d'évacuation et de stockage de ce combustible.
2. Il ressort également des pièces des dossiers soumis aux juges du fond qu'à la suite de vérifications de comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause, au titre des exercices clos en 2008 et 2010, la déduction des charges correspondant à l'amortissement de l'actif constaté en contrepartie de la " part amont " de la provision de " dernier cœur ". Elle a en effet estimé que cette part ne se rattachait pas aux coûts de démantèlement visés par l'article 39 ter C du code général des impôts. La société EDF se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 17 juin 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat en ce qui concerne le premier des deux exercices en litige et sur appel en ce qui concerne le second, a, d'une part, annulé l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Montreuil du 5 octobre 2017 et l'article 2 du jugement de ce même tribunal du 14 février 2019 faisant droit, respectivement pour l'exercice clos en 2008 et celui clos en 2010, aux demandes de la société EDF de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt qui en sont résultées et, d'autre part, remis à la charge de la société EDF ces impositions supplémentaires.
3. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, rendu applicable à l'impôt sur les sociétés par l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : / (...) 2° (...) les amortissements réellement effectués par l'entreprise, dans la limite de ceux qui sont généralement admis d'après les usages de chaque nature d'industrie, de commerce ou d'exploitation et compte tenu des dispositions de l'article 39 A, sous réserve des dispositions de l'article 39 B. / (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice. (...) ". Aux termes de l'article 38 quater de l'annexe III à ce code : " Les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt ".
4. En outre, aux termes de l'article 39 ter C du même code : " Par exception aux dispositions du premier alinéa du 5° du 1 de l'article 39, la provision constituée en vue de couvrir les coûts de démantèlement, d'enlèvement d'installations ou de remise en état d'un site, qui résultent d'une obligation légale, réglementaire ou contractuelle ou d'un engagement de l'entreprise, et encourue ou formalisée soit dès l'acquisition ou la mise en service, soit en cours d'utilisation de cette installation ou de ce site, n'est pas déductible. A hauteur des coûts pris en charge directement par l'entreprise, cette provision a pour contrepartie la constitution d'un actif amortissable d'un montant équivalent. L'amortissement de cet actif est calculé suivant le mode linéaire et réparti sur la durée d'utilisation du site ou des installations. / Les dispositions du premier alinéa ne s'appliquent pas aux provisions destinées à faire face à des dégradations progressives de site résultant de son exploitation. / (...) ". Par sa décision n° 439666 du 11 décembre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a jugé que la perte du combustible non irradié d'un réacteur nucléaire mis à l'arrêt constitue un coût qui est une conséquence directe de cet arrêt définitif et non des opérations de démantèlement et que, dès lors, ce coût ne peut pas donner lieu à la constatation, en application de l'article 39 ter C du code général des impôts, d'une provision au titre des coûts futurs de démantèlement et d'un actif de contrepartie amortissable.
5. La société EDF soutient toutefois que le coût du combustible non irradié d'un réacteur nucléaire mis à l'arrêt aurait comptablement le caractère d'un passif, existant dès la mise en service du réacteur, et devant en conséquence être comptabilisé pour son montant estimé puis, conformément à une approche économique et ainsi que le prévoiraient les règles comptables, en particulier l'article 321-10 du plan comptable général, donner lieu à l'inscription en contrepartie d'un actif amortissable, dont il conviendrait ensuite de tirer les conséquences fiscales, quand même elles ne seraient pas conformes à la lettre des seules dispositions de l'article 39 ter C du code général des impôts.
6. Aux termes de l'article 321-10 du plan comptable général dans sa rédaction applicable aux exercices en cause : " 1 - Le coût d'acquisition d'une immobilisation corporelle est constitué de : / son prix d'achat (...) ; / de l'estimation initiale des coûts de démantèlement, d'enlèvement et de restauration du site sur lequel elle est située, en contrepartie de l'obligation encourue, soit lors de l'acquisition, soit en cours d'utilisation de l'immobilisation pendant une période donnée à des fins autres que de produire des éléments de stocks. Dans les comptes individuels, ces coûts font l'objet d'un plan d'amortissement propre tant pour la durée que le mode (...) ". Comme le précise l'avis n° 2005-H du 6 décembre 2005 du comité d'urgence du Conseil national de la comptabilité, ces coûts sont " la contrepartie de la provision pour démantèlement, enlèvement ou remise en état de site constatée au passif et constituée en application des dispositions de l'article 212-1 ". Aux termes de l'article 212-1 du plan comptable général dans sa rédaction applicable aux exercices en cause : " 1. - Un passif est un élément du patrimoine ayant une valeur économique négative pour l'entité, c'est-à-dire une obligation de l'entité à l'égard d'un tiers dont il est probable ou certain qu'elle provoquera une sortie de ressources au bénéfice de ce tiers, sans contrepartie au moins équivalente attendue de celui-ci. (...) / 2. - Cette obligation peut être d'ordre légal, réglementaire ou contractuel. Elle peut également découler des pratiques passées de l'entité, de sa politique affichée ou d'engagements publics suffisamment explicites qui ont créé une attente légitime des tiers concernés sur le fait qu'elle assumera certaines responsabilités. / 3. - Le tiers peut être une personne physique ou morale, déterminable ou non. / 4. - L'estimation du passif correspond au montant de la sortie de ressources que l'entité doit supporter pour éteindre son obligation envers le tiers. / 5. - La contrepartie éventuelle est constituée des avantages économiques que l'entité attend du tiers envers lequel elle a une obligation ". Aux termes de l'article 312-1 du plan comptable général dans sa rédaction applicable aux exercices en cause : " 1. - A l'exception des cas prévus aux articles 312-3 et 312-4, un passif est comptabilisé lorsque l'entité a une obligation à l'égard d'un tiers, et qu'il est probable ou certain que cette obligation provoquera une sortie de ressources au bénéfice de ce tiers sans contrepartie au moins équivalente attendue de celui-ci. (...) / 2. - A la clôture de l'exercice, un passif est comptabilisé si l'obligation existe à cette date et s'il est probable ou certain, à la date d'établissement des comptes, qu'elle provoquera une sortie de ressources au bénéfice de tiers sans contrepartie au moins équivalente attendue de ceux-ci après la date de clôture ".
7. Le coût de la " part amont " du " dernier cœur " correspond à la valeur comptable résiduelle du combustible non totalement irradié présent dans le réacteur à la date de son arrêt définitif. La mise au rebut de ce combustible est en général rendue nécessaire par des exigences techniques s'appliquant à la suite de la mise à l'arrêt, laquelle résulte d'une obligation prévisible dès la mise en service du réacteur, même si sa date est fixée par une décision ultérieure de l'autorité administrative, après, le cas échéant, demande de la société et avis de l'Autorité de sûreté nucléaire. Cette mise au rebut est comptablement matérialisée par la sortie de la valeur du " dernier cœur " de l'actif via une charge, ainsi d'ailleurs que la société en reconnaît la " nécessité " dans les dossiers soumis à l'examen des juges du fond. Il ne saurait par suite être analysé que comme un accroissement des charges d'exploitation de la dernière période du cycle d'exploitation - débutant à la date à laquelle ont été chargés dans le réacteur les plus anciens des éléments de combustible non totalement irradiés encore présents à la date de son arrêt définitif.
8. Cet accroissement des charges d'exploitation, d'une part, correspond à une dépense engagée et financée, au moins en partie, avant le début des dernières périodes du cycle d'exploitation mentionnées au point précédent et, pour le reste, au plus tard au cours de ces périodes et n'entraîne ainsi aucune sortie concomitante de trésorerie qui serait postérieure à la fin du cycle d'exploitation du réacteur. D'autre part, il n'est pas établi, ni même allégué, que les produits d'exploitation attendus au cours des dernières périodes précédant la mise à l'arrêt du réacteur ne constitueraient pas une contrepartie au moins équivalente aux charges d'exploitation ainsi majorées. Il résulte de ce qui précède que la " part amont " du " dernier cœur " ne saurait être regardée, ainsi qu'il est allégué, comme une sortie de ressources sans contrepartie au moins équivalente, qui résulterait de la réalisation de l'obligation de mise à l'arrêt des réacteurs nucléaires née dès la date de leur mise en service. La cour administrative d'appel n'a par suite pas commis d'erreur de droit en refusant de qualifier la perte finale du combustible non totalement irradié de passif, susceptible d'être comptabilisé pour son montant estimé et, le cas échéant, de donner lieu à l'amortissement d'un actif comptabilisé en contrepartie, pour un montant égal, dès la date de mise en service du réacteur.
9. Il y a par suite lieu d'écarter également le moyen tiré des erreurs de droit que la cour administrative d'appel aurait commises en ce qui concerne le traitement fiscal des amortissements de l'actif de contrepartie que la société aurait été conduite à comptabiliser pour un montant égal au passif allégué.
10. Les énonciations de l'instruction 4 E-2-07 du 30 mars 2007 par lesquelles la directrice de la législation fiscale a fait observer que les coûts de démantèlement, d'enlèvement et de remise en état de site au sens de l'article 39 ter C du code général des impôts sont identiques à ceux appréhendés par l'avis n° 2005-H du 6 décembre 2005 du comité d'urgence du Conseil national de la comptabilité ne donnant pas des dispositions mentionnées aux points 3 et 4 une interprétation autre que celle appliquée par l'administration, c'est sans erreur de droit que la cour, dont l'arrêt est suffisamment motivé, a jugé que la société EDF n'était pas fondée à se prévaloir de cette instruction sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de la société EDF doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société EDF est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme Electricité de France et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 8 mars 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Pierre Collin, M. Stéphane Verclytte, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier et M. Frédéric Gueudar Delahaye, Mme Françoise Tomé, conseillers d'Etat et M. Jean-Claude Hassan, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 31 mars 2023.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Claude Hassan
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle