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29/03/2023 | FRANCE | N°461399

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 29 mars 2023, 461399


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, enregistrée le 11 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 19 janvier 2022 accordant son extradition aux autorités russes.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 ;

- le code pénal ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Clément Ton...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, enregistrée le 11 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 19 janvier 2022 accordant son extradition aux autorités russes.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 ;

- le code pénal ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Clément Tonon, auditeur,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Par décret du 19 janvier 2022, le Premier ministre a accordé aux autorités russes l'extradition de M. B... A..., ressortissant russe, sur le fondement d'un mandat d'arrêt décerné le 18 juillet 2019 par le tribunal de district de la ville de Moscou pour des faits qualifiés de double meurtre commis en réunion avec préméditation par contrat, détention, transport et port illégaux d'armes à feu et de munitions, commis entre le 24 et le 25 juillet 2016 à Moscou.

2. En premier lieu, il ressort des mentions de l'ampliation du décret attaqué, certifiée conforme par le secrétaire général du Gouvernement, que le décret a été signé par le Premier ministre et contresigné par le garde des sceaux, ministre de la justice. L'ampliation notifiée à l'intéressé n'avait pas à être revêtue de ces signatures.

3. En deuxième lieu, le décret attaqué comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement. Il satisfait ainsi à l'exigence de motivation prévue par les articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.

4. En troisième lieu, si M. A... se prévaut d'irrégularités qui entacheraient certains des actes de la procédure menée en Russie, il n'appartient pas au Conseil d'Etat statuant au contentieux d'apprécier la régularité des actes des autorités judiciaires étrangères pour l'exécution desquels l'extradition a été sollicitée.

5. En quatrième lieu, aux termes de l'article 12 de la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 : " (...) / 2- Il sera produit à l'appui de la requête : / a) L'original ou l'expédition authentique soit d'une décision de condamnation exécutoire, soit d'un mandat d'arrêt ou de tout autre acte ayant la même force, délivré dans les formes prescrites par la loi de la Partie requérante / b) Un exposé des faits pour lesquels l'extradition est demandée. Le temps et le lieu de leur perpétration, leur qualification légale et les références aux dispositions légales qui leur sont applicables seront indiqués le plus exactement possible ; et / c) Une copie des dispositions légales applicables ou, si cela n'est pas possible, une déclaration sur le droit applicable, ainsi que le signalement aussi précis que possible de l'individu réclamé et tous autres renseignements de nature à déterminer son identité et sa nationalité ". Aux termes de l'article 23 de la même convention : " Les pièces à produire seront rédigées soit dans la langue de la Partie requérante, soit dans celle de la Partie requise. Cette dernière pourra réclamer une traduction dans la langue officielle du Conseil de l'Europe qu'elle choisira ". Par déclaration annexée à la convention, la France a indiqué qu'elle choisissait le français. Ces stipulations sont, s'agissant des pièces à produire à l'appui de la demande d'extradition, seules applicables en l'espèce, à l'exclusion des dispositions de l'article 696-8 du code de procédure pénale, qui n'ont qu'un caractère supplétif.

6. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite du premier supplément d'instruction diligenté par la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, les autorités russes ont transmis de nouvelles traductions de l'ordonnance de mise en détention provisoire du 18 juillet 2019 et de l'acte d'accusation du 8 août 2019, une note authentifiant les copies de ces pièces, un exposé des faits et un exposé des procédures de la cause. Les copies, ainsi authentifiées par les autorités de l'Etat requérant, constituent des expéditions authentiques au sens des stipulations du paragraphe 2 de l'article 12 de la convention européenne d'extradition. En dépit de certaines imperfections dans la traduction des pièces, les documents ainsi produits, dans leur version en français, sont de nature à permettre de comprendre la situation factuelle et juridique à l'origine de la demande d'extradition. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que les stipulations de l'article 12 § 2 de la convention européenne d'extradition n'imposaient nullement que les éléments produits permettent d'apprécier la régularité des actes des autorités judiciaires étrangères pour l'exécution desquels l'extradition a été sollicitée. Enfin, contrairement à ce qui est soutenu, ces stipulations n'imposaient pas la production de la décision du 29 janvier 2019 du tribunal de district de Timiryazevski, qui concerne un complice du requérant. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 12 de la convention européenne d'extradition ne peut qu'être être écarté.

7. En cinquième lieu, si M. A... soutient que les pièces du dossier de demande d'extradition ne justifient pas sa mise en cause, il résulte des principes généraux du droit applicables à l'extradition qu'il n'appartient pas aux autorités françaises, sauf en cas d'erreur évidente, de statuer sur le bien-fondé des charges retenues contre la personne recherchée. En l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une erreur évidente ait été commise en ce qui concerne les faits qui lui sont reprochés.

8. En sixième lieu, il ressort de la partie 2.1 de l'article 59 du code pénal de la Fédération de Russie que la peine de mort n'est pas applicable aux personnes extradées vers la Fédération de Russie par un Etat étranger en vertu d'un accord international, notamment si la législation de cet Etat ne prévoit pas la peine de mort pour les faits incriminés ou si la non-application de la peine de mort est une condition de l'extradition. Le procureur général de la Fédération de Russie a déclaré dans sa lettre du 6 juillet 2020 qu'en vertu de cette disposition du code pénal, la peine de mort n'était pas applicable à l'encontre de M. A.... Ainsi, le requérant n'est pas fondé à soutenir que son extradition ne serait pas assortie de garanties suffisantes et serait, par suite, contraire à l'article 11 de la convention européenne d'extradition.

9. En septième lieu, le décret attaqué accorde l'extradition de M. A... pour des faits qualifiés de double meurtre commis en réunion avec préméditation par contrat, détention, transport et port illégaux d'armes à feu et de munitions. Cette infraction n'est pas une infraction politique par sa nature et ne peut être regardée, compte tenu de sa gravité, comme ayant un caractère politique. En outre, il ne ressort pas des éléments versés au dossier que l'extradition aurait été demandée par les autorités russes dans un but autre que la répression, par les juridictions russes, des infractions de droit commun qui sont reprochées à l'intéressé. M. A... n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que son extradition aurait été demandée dans un but politique. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne d'extradition ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

10. En huitième lieu, le moyen tiré de ce qu'en cas d'exécution du décret attaqué, M. A... risquerait d'être exposé à des traitements inhumains ou dégradants n'est assorti d'aucun élément permettant d'en apprécier le bien-fondé.

11. En neuvième lieu, si une décision d'extradition est susceptible de porter atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, cette mesure trouve, en principe, sa justification dans la nature même de la procédure d'extradition, qui est de permettre, dans l'intérêt de l'ordre public et sous les conditions fixées par les dispositions qui la régissent, tant le jugement de personnes se trouvant en France qui sont poursuivies à l'étranger pour des crimes ou des délits commis hors de France que l'exécution, par les mêmes personnes, des condamnations pénales prononcées contre elles à l'étranger pour de tels crimes ou délits. Si M. A... fait valoir qu'il est marié et père de quatre enfants et que son épouse s'est vu accorder la protection subsidiaire, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces circonstances ne permettraient pas aux membres de sa famille de lui rendre visite sur son lieu de détention en Russie. Par suite, elles ne sont pas de nature à faire obstacle, dans l'intérêt de l'ordre public, à l'exécution de son extradition. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 19 janvier 2022 accordant son extradition aux autorités russes. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 9 mars 2023 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; Mme Anne Courrèges, conseillère d'Etat et M. Clément Tonon, auditeur-rapporteur.

Rendu le 29 mars 2023.

Le président :

Signé : M. Nicolas Boulouis

Le rapporteur :

Signé : M. Clément Tonon

La secrétaire :

Signé : Mme Eliane Evrard


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 461399
Date de la décision : 29/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 29 mar. 2023, n° 461399
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Clément Tonon
Rapporteur public ?: M. Clément Malverti

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:461399.20230329
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