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27/03/2023 | FRANCE | N°463421

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 27 mars 2023, 463421


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 avril et 14 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B..., Mme C... D... et Mme E... F... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir, à titre principal, le décret n° 2022-466 du 31 mars 2022 portant attribution d'une indemnité pour l'exercice des fonctions de membre associé de la formation nationale et des missions régionales d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable, à

titre subsidiaire, les articles 1er, 2 et 3 de ce décret et, à titre infinimen...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 avril et 14 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B..., Mme C... D... et Mme E... F... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir, à titre principal, le décret n° 2022-466 du 31 mars 2022 portant attribution d'une indemnité pour l'exercice des fonctions de membre associé de la formation nationale et des missions régionales d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable, à titre subsidiaire, les articles 1er, 2 et 3 de ce décret et, à titre infiniment subsidiaire, l'article 2 et le second alinéa de l'article 3 de ce même décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à chacun des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, faite à Aarhus le 25 juin 1998 ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la charte sociale européenne ;

- la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne ;

- le code de l'environnement ;

- le code général de la fonction publique ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 2011-142 du 3 février 2011 ;

- le décret n° 2015-1229 du 2 octobre 2015 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 11 du décret du 2 octobre 2015 relatif au Conseil général de l'environnement et du développement durable : " La formation d'autorité environnementale est composée de membres permanents et de membres associés du conseil, désignés par le ministre chargé de l'environnement en raison de leurs compétences en matière d'environnement, sur proposition du vice-président formulée après concertation avec le commissaire général au développement durable et avis du bureau. Son président est désigné dans les mêmes conditions parmi les membres permanents. Sauf circonstances exceptionnelles, l'effectif des membres associés de cette formation est au plus égal au tiers de l'effectif des membres qui la composent. / Les missions régionales d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable sont composées, chacune, de membres permanents et de membres associés du conseil, désignés dans les conditions fixées au premier alinéa. Elles peuvent également comprendre des chargés de mission visés à l'article 7, désignés dans les mêmes conditions. Les membres associés sont choisis en raison de leurs compétences en matière d'environnement et de leur connaissance des enjeux environnementaux de la région concernée. Sauf circonstances exceptionnelles, dans chaque mission régionale, l'effectif des membres associés est au plus égal à l'effectif des membres permanents augmenté, le cas échéant, de l'effectif des chargés de mission. / (...) / Les fonctions de membre associé de la formation nationale et des missions régionales donnent lieu à indemnité ".

2. M. A... B..., Mme C... D... et Mme E... F... demandent l'annulation, pour excès de pouvoir, du décret du 31 mars 2022 portant attribution d'une indemnité pour l'exercice des fonctions de membres associés de la formation nationale et des missions régionales d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable. L'article 1er de ce décret prévoit que les membres associés de la formation d'autorité environnementale du Conseil perçoivent une indemnité d'exercice mensuelle. Son article 2 dispose que : " Les membres associés, fonctionnaires et agents contractuels de droit public, des missions régionales d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable perçoivent une indemnité d'exercice forfaitaire, liée à leur présence effective aux séances délibératives des missions régionales d'autorité environnementale. / Ils perçoivent en outre cette indemnité pour leur participation à deux réunions nationales annuelles de professionnalisation au maximum, dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'écologie et du ministre chargé du budget ". Enfin, aux termes de son article 3 : " Les personnes invitées à participer aux séances de la formation nationale et des missions régionales d'autorité environnementale ne peuvent prétendre à aucune indemnité. / Lorsque les membres associés sont, par ailleurs, fonctionnaires ou agents contractuels en activité, l'indemnité instituée aux articles 1er et 2 est réduite de moitié ".

Sur la légalité externe du décret attaqué :

3. En premier lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la Convention d'Aarhus : " Chaque Partie s'emploie à promouvoir une participation effective du public à un stade approprié - et tant que les options sont encore ouvertes - durant la phase d'élaboration par des autorités publiques des dispositions réglementaires et autres règles juridiquement contraignantes d'application générale qui peuvent avoir un effet important sur l'environnement ". Ces stipulations créant seulement des obligations entre les Etats parties à la convention et ne produisant pas d'effets directs dans l'ordre juridique interne, elles ne peuvent être utilement invoquées.

4. En deuxième lieu, il résulte des dispositions des articles L. 120-1 et L. 123-19-1 du code de l'environnement relatives à la participation du public à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement que le législateur a entendu ne soumettre à une procédure de participation du public que les décisions ayant une incidence directe et significative sur l'environnement. Le décret attaqué, qui a pour objet d'instituer une indemnité en faveur des membres associés de la formation nationale d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable et des missions régionales d'autorité environnementale ainsi que de déterminer les modalités de son attribution, ne saurait être regardé comme ayant un effet direct sur l'environnement. Par suite, le moyen tiré de ce que, faute d'avoir été soumis à une consultation du public, il aurait été pris en méconnaissance des articles L. 120-1 et L. 123-19-1 du code de l'environnement ne peut qu'être écarté.

5. En troisième lieu, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir des huitième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, ni des articles 27 et 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ni des articles 21 et 22 de la Charte sociale européenne, ni de l'article 4 de la directive du 11 mars 2002 du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre général relatif à l'information et à la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne pour soutenir que le décret qu'ils attaquent serait irrégulier faute de consultation préalable des membres associés de l'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable et des missions régionales d'autorité environnementale.

Sur la légalité interne :

6 En premier lieu, aux termes de l'article L. 221-4 du code des relations entre le public et l'administration : " Sauf s'il en est disposé autrement par la loi, une nouvelle réglementation ne s'applique pas aux situations juridiques définitivement constituées avant son entrée en vigueur ou aux contrats formés avant cette date ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 221-5 du même code : " L'autorité administrative investie du pouvoir réglementaire est tenue, dans la limite de ses compétences, d'édicter des mesures transitoires dans les conditions prévues à l'article L. 221-6 lorsque l'application immédiate d'une nouvelle réglementation est impossible ou qu'elle entraîne, au regard de l'objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause ".

7. L'exercice du pouvoir réglementaire implique pour son détenteur la possibilité de modifier à tout moment les normes qu'il définit. La création par le décret attaqué d'une indemnité pour l'exercice des fonctions de membre associé de la formation nationale et des missions régionales d'autorité environnementale s'applique dès l'entrée en vigueur de l'arrêté conjoint des ministres chargés de l'écologie et du budget auquel il renvoie pour la fixation des conditions d'attribution de cette indemnité, afin de rémunérer les fonctions exercées postérieurement à l'entrée en vigueur de cet arrêté. Si les requérants soutiennent que l'entrée en vigueur des dispositions du décret attaqué portera atteinte aux droits à la rémunération de leurs missions qu'ils tiennent du décret du 3 février 2011 fixant les conditions d'indemnisation des personnes chargées d'une mission par les membres du Gouvernement, le nouveau régime de rémunération prévu par le décret du 31 mars 2022 ne sera applicable qu'aux activités exercées par les membres associés postérieurement à l'entrée en vigueur de l'arrêté pris pour son application. Par ailleurs, les requérants ne sauraient soutenir que le décret qu'ils attaquent a pour effet de rendre caducs les contrats qu'ils avaient conclus avec l'administration, alors au demeurant qu'il ressort des pièces du dossier que les décisions individuelles relatives à leur engagement auprès de l'autorité environnementale comportaient une clause d'adaptation dans l'hypothèse de la mise en place ultérieure d'un dispositif spécifique de rémunération de ces missions. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait les droits acquis par les membres associés avant son entrée en vigueur et le principe de sécurité juridique résultant des dispositions précitées des articles L. 221-4 et L. 221-5 du code des relations entre le public et l'administration doit, en tout de cause, être écarté.

8. En second lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme dans l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

9. D'une part, il résulte de l'article 2 du décret attaqué que seuls les membres associés des missions régionales d'autorité environnementale qui sont fonctionnaires et agents contractuels de droit public perçoivent l'indemnité d'exercice forfaitaire que cet article institue, les membres associés de ces missions qui n'ont pas la qualité d'agents publics continuant d'être rémunérés en application des dispositions du décret du 3 février 2011 mentionné ci-dessus. Cependant, dès lors que ni ce décret, ni le décret attaqué ne fixent le montant de la rémunération qui sera effectivement versée aux membres associés des missions régionales d'autorité environnementale, les requérants ne peuvent utilement soutenir qu'il résulterait des dispositions de l'article 2 du décret attaqué une rupture d'égalité entre les membres associés des missions régionales d'autorité environnementale ayant la qualité d'agents publics et les autres membres.

10. D'autre part, les requérants soutiennent que le second alinéa de l'article 3 du décret attaqué, qui prévoit que les membres associés tant de la formation d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable que des missions régionales d'autorité environnementale qui sont fonctionnaires et agents contractuels en activité, lesquels siègent dans ces instances en sus de leurs activités professionnelles, bénéficient d'une indemnité réduite de moitié, institue une différence illégale de traitement avec les autres membres associés sans rapport avec l'objet de la norme qui l'établit, dès lors que l'exercice des fonctions de membre associé par les agents publics en activité n'implique pas qu'ils soient moins qualifiés que les autres membres associés ou qu'ils y consacrent moins de temps. Aucune justification n'ayant été apportée en défense par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires à cette différence de traitement, au regard de l'objet ou de la finalité des dispositions du second alinéa de l'article 3, les requérants sont fondés à soutenir qu'elles méconnaissent le principe d'égalité.

11. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont fondés à demander l'annulation que du second alinéa de l'article 3 du décret qu'ils attaquent.

12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée par les requérants au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le second alinéa de l'article 3 du décret du 31 mars 2022 est annulé.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., premier dénommé pour l'ensemble des requérants, à la Première ministre, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.

Copie en sera adressée au ministre de la transformation et de la fonction publiques.

Délibéré à l'issue de la séance du 6 mars 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 27 mars 2023.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Catherine Moreau

La secrétaire :

Signé : Mme Marie-Adeline Allain


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 463421
Date de la décision : 27/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 27 mar. 2023, n° 463421
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Catherine Moreau
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck

Origine de la décision
Date de l'import : 27/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:463421.20230327
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