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27/03/2023 | FRANCE | N°454121

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 27 mars 2023, 454121


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 juin et 30 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Sud Conseils Patrimoine et M. A... C... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 30 avril 2021 par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a prononcé à leur encontre un blâme, assorti d'une sanction pécuniaire de 50 000 euros chacun, et a ordonné la publication sur le site internet de l'Autorité de sa décision, en prévoyant son mainti

en pendant cinq ans.

2°) à titre subsidiaire, de réformer la décision attaquée...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 juin et 30 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Sud Conseils Patrimoine et M. A... C... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 30 avril 2021 par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a prononcé à leur encontre un blâme, assorti d'une sanction pécuniaire de 50 000 euros chacun, et a ordonné la publication sur le site internet de l'Autorité de sa décision, en prévoyant son maintien pendant cinq ans.

2°) à titre subsidiaire, de réformer la décision attaquée en ramenant les sanctions prononcées à de plus justes proportions ;

3°) de mettre à la charge de l'Autorité des marchés financiers la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs ;

- le code monétaire et financier ;

- le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Krivine, Viaud, avocat de la société Sud Conseils Patrimoine et autre et à la SCP Ohl, Vexliard, avocat de l'Autorité des marchés financiers ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 février 2023, présentée par la société Sud Conseils Patrimoine et autre ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que, par une décision du 30 avril 2021, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a prononcé à l'encontre de la société Sud Conseils Patrimoine, qui dispose depuis mars 2009 du statut de conseiller en investissements financiers, et de son gérant, M. C..., un blâme assorti d'une sanction pécuniaire de 50 000 euros et de la publication de cette décision sur le site internet de l'Autorité pour une durée de cinq ans, pour avoir méconnu les dispositions du 2° de l'article L. 541-8-1 du code monétaire et financier en recommandant à plusieurs de ses clients non professionnels d'investir dans le produit financier dénommé CTI9D, alors que la commercialisation de ce titre n'était pas autorisée en France. La société Sud Conseils Patrimoine et M. C... demandent au Conseil d'Etat l'annulation de cette décision. Par un recours incident, le président de l'Autorité des marchés financiers demande sa réformation, pour porter à 60 000 euros le montant de la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de la société Sud Conseils Patrimoine et à 90 000 euros le montant de celle prononcée à l'encontre de M. C....

Sur le manquement sanctionné :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 541-8-1 du code monétaire et financier : " Les conseillers en investissements financiers doivent : (...) / 2° Exercer leur activité, dans les limites autorisées par leur statut, avec la compétence, le soin et la diligence qui s'imposent, au mieux des intérêts de leurs clients, afin de leur proposer une offre de service adaptée et proportionnée à leurs besoins et à leurs objectifs (...) ". D'autre part, aux termes de l'article L. 214-24 du même code, pris pour la transposition en droit interne de la directive du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs, sont des fonds d'investissement alternatifs (FIA) les fonds qui : " 1° Lèvent des capitaux auprès d'un certain nombre d'investisseurs en vue de les investir, dans l'intérêt de ces investisseurs, conformément à une politique d'investissement que ces fonds d'investissement alternatifs ou leurs sociétés de gestion définissent ; / 2° Ne sont pas des OPCVM ". Il résulte enfin des dispositions combinées de l'article L. 241-24-1 du code monétaire et financier et de l'article 421-13 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers que la commercialisation en France de parts ou d'actions de fonds d'investissement alternatifs gérés par une société établie dans un État membre de l'Union européenne est soumise, lorsqu'elle s'adresse à des clients non professionnels, à une autorisation de l'Autorité des marchés financiers (AMF). L'ensemble de ces dispositions fait reposer sur les conseillers en investissements financiers l'obligation d'exercer leur activité professionnelle dans le seul intérêt de leurs clients, ce qui exclut qu'ils puissent leur proposer des produits financiers dont la commercialisation n'est pas autorisée en France.

3. Toutefois, en application de la position de l'AMF n° 2014-04, dans sa version en vigueur depuis le 30 juin 2014 : " Ne constitue pas un acte de commercialisation en France : 1. l'achat, la vente ou la souscription de parts ou actions d'OPCVM ou de FIA répondant à une demande d'un investisseur, ne faisant pas suite à une sollicitation, portant sur un OPCVM ou un FIA précisément désigné par lui ". Aux termes de l'article 314-8 du règlement général de l'AMF : " Pour l'application du 2° du III de l'article L. 533-13 du code monétaire et financier, un service peut être considéré comme fourni à l'initiative du client même si celui-ci en fait la demande à la suite d'une quelconque communication contenant une promotion ou une offre portant sur des instruments financiers, faite par tout moyen et qui, de par sa nature même, a un caractère général et s'adresse au public ou à un groupe ou une catégorie plus large de clients. / Un service ne peut être considéré comme fourni à l'initiative du client lorsque celui-ci en fait la demande à la suite d'une communication personnalisée qui lui a été transmise par le prestataire de services d'investissement ou en son nom et qui l'invite ou tente de l'inviter à s'intéresser à un instrument financier ou à une transaction donné ".

4. Par la décision attaquée, la commission des sanctions de l'AMF, après avoir relevé qu'il n'était pas contesté que les parts de CTI9D sont des parts de FIA, a relevé qu'entre septembre 2016 et novembre 2018, la société Sud Conseils Patrimoine avait commercialisé auprès de dix clients des parts de ce produit, alors qu'elle n'ignorait pas que sa commercialisation à l'intention d'investisseurs non professionnels n'était pas autorisée en France, et n'avait ainsi pas exercé son activité avec la compétence, le soin et la diligence qui s'imposent au mieux des intérêts de ses clients, en méconnaissance des dispositions du 2° de l'article L. 541-8-1 du code monétaire et financier. Pour estimer que les conseils fournis par cette société lors des souscriptions de parts de CTI9D ne faisaient pas suite à une sollicitation des clients portant précisément sur ce produit financier, la commission des sanctions s'est fondée sur l'ensemble des pièces versées au dossier, notamment sur les mandats de recherche globale de produits financiers conclus entre la société et ses clients, sur la convention d'apporteur conclue entre la société et le promoteur du produit, ou encore sur plusieurs actions de promotion de ce produit à destination de ses clients habituels. Si les requérants, pour critiquer les motifs retenus par la décision attaquée, produisent les témoignages de trois clients, indiquant qu'ils ont sollicité la société pour la recherche de supports d'investissements stables et distribuant des revenus plus réguliers et qu'ils ont demandé des conseils sur les produits commercialisés par la société Thomas Lloyd, qui est le promoteur du produit CTI9D, ces pièces ne suffisent pas à démontrer que la société SCP se serait bornée à répondre à des demandes de souscription de ce produit en particulier émanant de ces clients et que ces derniers n'auraient pas été préalablement sollicités par la société SCP. Par suite, la commission des sanctions n'a pas inexactement appliqué les dispositions citées aux points 2 et 3, et n'a pas commis d'erreur d'appréciation.

Sur les sanctions prononcées :

5. Aux termes de l'article L. 621-17 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige, : " Tout manquement par les conseillers en investissements financiers définis à l'article L. 541-1 (...) aux lois, règlements et obligations professionnelles les concernant est passible des sanctions prononcées par la commission des sanctions selon les modalités prévues aux I, a et b du III et III bis à V de l'article L. 621-15 ". Aux termes du III de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable aux sanctions en litige : " Les sanctions applicables sont : / a) Pour les personnes mentionnées aux 1° à 8°, 11°, 12°, 15° à 17° du II de l'article L. 621-9, l'avertissement, le blâme, l'interdiction à titre temporaire ou définitif de l'exercice de tout ou partie des services fournis, la radiation du registre mentionné à l'article L. 546-1 ; (...) / b) Pour les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte de l'une des personnes mentionnées aux 1° à 8°, 11°, 12° et 15° à 17° du II de l'article L. 621-9, ou exerçant des fonctions dirigeantes, au sens de l'article L. 533-25, au sein de l'une de ces personnes, l'avertissement, le blâme, le retrait temporaire ou définitif de la carte professionnelle, l'interdiction temporaire de négocier pour leur compte propre, l'interdiction à titre temporaire ou définitif de l'exercice de tout ou partie des activités ou de l'exercice des fonctions de gestion au sein d'une personne mentionnée aux 1° à 8°, 11°, 12° et 15° à 17° du II de l'article L. 621-9. La commission des sanctions peut prononcer soit à la place, soit en sus de ces sanctions une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 15 millions d'euros ou au décuple du montant de l'avantage retiré du manquement si ce montant peut être déterminé, en cas de pratiques mentionnées au II du présent article (...) ". Aux termes du III ter de l'article L. 621-15 du même code : " Dans la mise en œuvre des sanctions mentionnées aux III et III bis, il est tenu compte notamment : / de la gravité et de la durée du manquement ; / de la qualité et du degré d'implication de la personne en cause ; / de la situation et de la capacité financières de la personne en cause, au vu notamment de son patrimoine et, s'agissant d'une personne physique de ses revenus annuels, s'agissant d'une personne morale de son chiffre d'affaires total ; / de l'importance soit des gains ou avantages obtenus, soit des pertes ou coûts évités par la personne en cause, dans la mesure où ils peuvent être déterminés ; / des pertes subies par des tiers du fait du manquement, dans la mesure où elles peuvent être déterminées ; / du degré de coopération avec l'Autorité des marchés financiers dont a fait preuve la personne en cause, sans préjudice de la nécessité de veiller à la restitution de l'avantage retiré par cette personne ; / des manquements commis précédemment par la personne en cause ; / de toute circonstance propre à la personne en cause, notamment des mesures prises par elle pour remédier aux dysfonctionnements constatés, provoqués par le manquement qui lui est imputable et le cas échéant pour réparer les préjudices causés aux tiers, ainsi que pour éviter toute réitération du manquement ".

6. Par la décision attaquée, la commission des sanctions, après avoir relevé, d'une part, qu'au cours de l'exercice clos le 31 décembre 2019, la société Sud Conseils Patrimoine avait réalisé un chiffre d'affaires de 448 904 euros, dont 223 786 euros au titre de ses activités de conseiller en investissements financiers, pour un résultat net bénéficiaire de 22 240 euros, d'autre part, que M. B... disposait d'un patrimoine essentiellement constitué de 300 000 euros placés en assurance-vie, sa résidence principale et les locaux de sa société, ainsi que des revenus imposables d'un montant de 43 366 euros en 2018, leur a infligé une sanction pécuniaire de 50 000 euros chacun.

7. Il ne résulte pas de l'instruction que ces sanctions pécuniaires revêtiraient un caractère disproportionné eu égard, d'une part, à la gravité du manquement sanctionné, qui s'est échelonné pendant plus de deux ans, nonobstant la circonstance, à la supposer établie, que ce manquement n'aurait pas été préjudiciable au faible nombre de ses clients ayant souscrit le produit CTI9D, et alors que la société Sud Conseils Patrimoine et son gérant ont tiré profit du dispositif artificiel de sollicitation à rebours qu'ils ont mis en place afin de contourner l'interdiction de proposer des parts de FIA, dont ils savaient que la commercialisation n'était pas autorisée en France, et, d'autre part, à la situation et aux capacités financières de la société et de son gérant. En outre, si les requérants affirment avoir coopéré avec la mission de contrôle de l'AMF, ils ne font état, en tout état de cause, d'aucun élément justifiant d'un degré de coopération qui excèderait ce qui est attendu en pareil cas.

8. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision qu'ils attaquent. Leur requête doit, par suite, être rejetée. Dans les circonstances de l'espèce, compte tenu des éléments caractérisant les manquements retenus et le niveau de sanctions retenu, le recours incident du président de l'Autorité des marchés financiers tendant au rehaussement des sanctions financières prononcées doit également être rejeté.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Autorité des marchés financiers qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Sud Conseil Patrimoine et de M. C... la somme de 3 000 euros à verser à l'Autorité des marchés financiers au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la société Sud Conseils Patrimoine et autre est rejetée.

Article 2 : Le recours incident du président de l'Autorité des marchés financiers est rejeté.

Article 3 : La société Sud Conseils Patrimoine et M. C... verseront à l'Autorité des marchés financiers la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Sud Conseils Patrimoine, à M. A... C... et à l'Autorité des marchés financiers.

Délibéré à l'issue de la séance du 16 février 2023 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; Mme Suzanne von Coester, conseillère d'Etat et Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 27 mars 2023.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

La rapporteure :

Signé : Mme Catherine Moreau

La secrétaire :

Signé : Mme Laïla Kouas


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 454121
Date de la décision : 27/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 27 mar. 2023, n° 454121
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Catherine Moreau
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SCP KRIVINE, VIAUD ; SCP OHL, VEXLIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:454121.20230327
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