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22/03/2023 | FRANCE | N°455084

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 22 mars 2023, 455084


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus auxquelles il a été assujetti au titre des années 2012 et 2013, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1714623 du 5 mars 2019, le tribunal administratif de Paris, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à concurrence du dégrèvement prononcé en cours d'instance, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par une or

donnance n° 19PA01489 du 31 juillet 2020, le président de la

5ème chambre de ...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus auxquelles il a été assujetti au titre des années 2012 et 2013, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1714623 du 5 mars 2019, le tribunal administratif de Paris, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à concurrence du dégrèvement prononcé en cours d'instance, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par une ordonnance n° 19PA01489 du 31 juillet 2020, le président de la

5ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A... à l'encontre de l'article 155 A du code général des impôts.

Par un arrêt n° 19PA01489 du 3 juin 2021, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. A... contre le jugement du tribunal administratif de Paris.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 juillet et 28 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la décision n° 2010-70 QPC du 26 novembre 2010 du Conseil constitutionnel ;

- la décision n° 346642 du 20 mars 2013 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Lionel Ferreira, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat de M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A... était, en 2012 et 2013, domicilié en France ainsi que salarié et administrateur de la société Willink qui exerce une activité de holding. Il était par ailleurs dirigeant et associé unique de la société de droit britannique Telecom Online Limited (TOL), laquelle, notamment, exerce la présidence de la société Willink. A l'issue d'un contrôle sur pièces de son dossier fiscal, M. A... a été imposé, sur le fondement de l'article 155 A du code général des impôts, à raison de la rémunération versée par la société Willink en 2012 et 2013 à la société TOL pour l'exercice, par cette dernière, de sa fonction de présidente de la société française. Par un jugement du 5 mars 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté les conclusions de la demande de M. A... tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et des pénalités auxquelles il a été assujetti au titre de ces deux années à raison de cette rectification. M. A... a fait appel de ce jugement devant la cour administrative d'appel de Paris et a également soulevé la question de la conformité à la Constitution de l'article 155 A du code général des impôts. Par une ordonnance du 31 juillet 2020, le président de la 5ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris a refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée. Par un arrêt du 3 juin 2021, cette cour a, par ailleurs, rejeté l'appel formé par M. A.... Celui-ci se pourvoit en cassation contre cet arrêt et conteste le refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité.

Sur la contestation du refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé ". L'article 23-2 de la même ordonnance dispose que : " (...) Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige ". Selon l'article 23-5 de cette ordonnance : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation. Le moyen est présenté, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. A l'appui de son pourvoi, M. A... demande au Conseil d'Etat, d'une part, d'annuler l'ordonnance du 31 juillet 2020 par laquelle le président de la 5ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qu'il avait soulevée à l'encontre de l'article 155 A du code général des impôts, d'autre part, de renvoyer cette question au Conseil constitutionnel.

4. Aux termes de l'article 155 A du code général des impôts : " I. Les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières : / - soit, lorsque celles-ci contrôlent directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération des services ; / - soit, lorsqu'elles n'établissent pas que cette personne exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services ; / - soit, en tout état de cause, lorsque la personne qui perçoit la rémunération des services est domiciliée ou établie dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France où elle est soumise à un régime fiscal privilégié au sens mentionné à l'article 238 A. / II. Les règles prévues au I ci-dessus sont également applicables aux personnes domiciliées hors de France pour les services rendus en France. / III. La personne qui perçoit la rémunération des services est solidairement responsable, à hauteur de cette rémunération, des impositions dues par la personne qui les rend. " Les prestations dont la rémunération est ainsi susceptible d'être imposée entre les mains de la personne qui les a effectuées correspondent à un service rendu pour l'essentiel par elle et pour lequel la facturation par une personne domiciliée ou établie hors de France ne trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière, permettant de regarder ce service comme ayant été rendu pour son compte.

5. Les dispositions contestées ont été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2010-70 QPC du 26 novembre 2010, sous la réserve que " dans le cas où la personne domiciliée ou établie à l'étranger reverse en France au contribuable tout ou partie des sommes rémunérant les prestations réalisées par ce dernier, [ces dispositions ne conduisent pas] à que ce contribuable soit assujetti à une double imposition au titre d'un même impôt ".

6. En premier lieu, seules sont applicables au litige les dispositions des deux premiers alinéas du I de l'article 155 A du code général des impôts selon lesquels les sommes perçues par une entité étrangère en rémunération de services rendus par un contribuable domicilié ou établi en France sont imposables au nom de ce dernier lorsque celui-ci contrôle directement ou indirectement cette entité.

7. En second lieu, M. A... soutient que la question de la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés garantis par la Constitution doit de nouveau être transmise au Conseil constitutionnel à raison de changements de circonstances. Il se prévaut de décisions du Conseil constitutionnel postérieures à la décision du 26 novembre 2010 mentionnée au point 5 et remettant en cause des présomptions irréfragables instaurées par le législateur afin d'établir une imposition dans le but de lutte contre la fraude ou l'évasion fiscales, ainsi que de l'interprétation exposée au point 4, issue de la décision n° 346642 du 20 mars 2013 du Conseil d'Etat statuant au contentieux, qui, selon lui, aurait conféré aux dispositions contestées une portée qu'elles n'avaient pas lorsque le Conseil constitutionnel en a été saisi. Toutefois, dès lors que les dispositions ainsi interprétées permettent au contribuable d'apporter la preuve de la réalité de l'intervention de l'entité étrangère qu'il contrôle de nature à justifier la perception par celle-ci des rémunérations en cause et compte tenu de la réserve mentionnée au point 5 qui fait obstacle à une double imposition du contribuable en cas de reversement à son profit de tout ou partie des sommes versées à l'entité étrangère, aucun changement de circonstances ne justifie un nouvel examen de ces dispositions par le Conseil constitutionnel.

8. Il résulte de ce qui précède que les dispositions mentionnées au point 2 font obstacle à ce que la question prioritaire de constitutionnalité soit transmise au Conseil constitutionnel. Par suite, M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation du refus de transmission opposé par la cour.

Sur l'autre moyen du pourvoi :

9. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a relevé d'une part, qu'au cours des années en litige, M. A... dirigeait et contrôlait la société TOL établie au Royaume-Uni et que d'autre part, l'exercice, par cette société, des fonctions de présidence de la société française Willink était confié, en raison de sa personne ainsi que le stipulait l'article 6 de la convention de mandat conclue entre les deux sociétés, à M. A..., par ailleurs administrateur et salarié de la société française et domicilié en France. Compte tenu des stipulations contractuelles et du contrôle de la société TOL par M. A..., la cour a estimé que l'administration fiscale apportait des éléments attestant de ce que les rémunérations versées à la société britannique au titre de sa fonction de présidence rémunéraient en réalité M. A... pour les prestations de direction de la société française qu'il exerçait au nom de la société TOL. La cour a également relevé que M. A... n'apportait aucun élément de nature à démontrer que la société TOL, alors même qu'elle n'était pas dénuée de substance économique et que son intervention aurait apporté une " plus-value " au groupe, aurait effectué des tâches relatives à la présidence de la société Willink autres que celles effectuées dans le cadre de son mandat.

10. En jugeant, au vu de ces constatations non arguées de dénaturation, que l'administration fiscale devait être regardée comme apportant la preuve que les rémunérations versées par la société Willink à la société TOL pour les services de présidence de la société française entraient dans les prévisions de l'article 155 A du code général des impôts et étaient par suite imposables à l'impôt sur le revenu en France au nom de M. A..., la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de M. A... doit être rejeté, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi du M. A... est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 février 2023 où siégeaient :

Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Vincent Daumas, M. Nicolas Polge, M. Alexandre Lallet, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et M. Lionel Ferreira, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 22 mars 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Lionel Ferreira

La secrétaire :

Signé : Mme Fehmida Ghulam

La République mande et ordonne à la Première ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chacun en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 455084
Date de la décision : 22/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 22 mar. 2023, n° 455084
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Lionel Ferreira
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP DUHAMEL - RAMEIX - GURY- MAITRE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:455084.20230322
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