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16/03/2023 | FRANCE | N°460681

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 16 mars 2023, 460681


Vu la procédure suivante :

L'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme " (CCDH) a demandé au tribunal administratif de Lyon, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le directeur général du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne, sur sa demande tendant à la communication d'une copie du registre de contention et d'isolement de l'établissement correspondant à l'année 2018 et du rapport annuel établi pour cette même année et, d'autre part, d'enjoindre au centre hospitalier universita

ire de Saint-Etienne de lui communiquer les documents demandés.

Par...

Vu la procédure suivante :

L'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme " (CCDH) a demandé au tribunal administratif de Lyon, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le directeur général du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne, sur sa demande tendant à la communication d'une copie du registre de contention et d'isolement de l'établissement correspondant à l'année 2018 et du rapport annuel établi pour cette même année et, d'autre part, d'enjoindre au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne de lui communiquer les documents demandés.

Par un jugement n° 2103621 du 1er décembre 2021, le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision refusant la communication de ces documents et a enjoint au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne de les communiquer à l'association, sans occultation de l'identifiant anonymisé du patient pour ce qui concerne le registre de contention et d'isolement, dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés le 21 janvier 2022, le 21 avril 2022, et les 9 et 22 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de l'association ;

3°) de mettre à la charge de l'association CCDH la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat du centre Hospitalier Universitaire de Saint-Etienne et au Cabinet Rousseau, Tapie, avocat de l'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme " ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne, saisi d'une demande de l'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme " (CCDH) tendant à la communication d'une copie du registre de contention et d'isolement de l'année 2018 et du rapport annuel de la même année rendant compte des pratiques de contention et d'isolement observées dans cet établissement, lui a opposé une décision de refus. Le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne se pourvoit en cassation contre le jugement du 1er décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Lyon, faisant droit à la demande de l'association, a annulé sa décision de refus et lui a enjoint de communiquer ces documents en occultant les éléments permettant d'identifier les patients et les personnels de santé, mais sans occultation de l'identifiant " anonymisé " du patient et des mentions relatives au début, à la fin et à la durée des mesures d'isolement et de contention.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". Aux termes de l'article L. 311-6 du même code : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical (...) ; 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice ". Enfin, aux termes de l'article L. 311-7 de ce code : " Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ".

3. D'autre part, l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable en 2017, dispose que : " L'isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d'un psychiatre, prise pour une durée limitée. Leur mise en œuvre doit faire l'objet d'une surveillance stricte confiée par l'établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin. (...) / Un registre est tenu dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie et désigné par le directeur général de l'agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement en application du I de l'article L. 3222 1. Pour chaque mesure d'isolement ou de contention, ce registre mentionne le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l'ayant surveillée. Le registre, qui peut être établi sous forme numérique, doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires. / L'établissement établit annuellement un rapport rendant compte des pratiques d'admission en chambre d'isolement et de contention, la politique définie pour limiter le recours à ces pratiques et l'évaluation de sa mise en œuvre. Ce rapport est transmis pour avis à la commission des usagers prévue à l'article L. 1112-3 et au conseil de surveillance prévu à l'article L. 6143 1 ".

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

4. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

5. Aux termes de l'article 15 de la Déclaration de 1789 : " La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ". Le droit d'accès aux documents administratifs garanti par cette disposition peut faire l'objet de limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

6. Il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que la liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie privée, qui requiert que soit observée une particulière vigilance dans la communication des données à caractère personnel de nature médicale.

7. Si le registre et le rapport dont l'établissement est prévu par l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique constituent des documents administratifs régis par les dispositions du livre III du code des relations entre le public et l'administration, les articles L. 311-6 et L. 311-7 de ce code subordonnent leur communication aux tiers à la condition que soient occultées ou disjointes les mentions dont la communication porterait atteinte à la vie privée ou au secret médical des patients. Il en va ainsi, en particulier, s'agissant du registre qui retrace les mesures d'isolement ou de contention, des mentions permettant d'identifier ceux-ci, directement ou indirectement. Le registre est en revanche accessible, sur le fondement de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires.

8. Les limitations ainsi apportées au droit d'accès aux documents administratifs, liées aux exigences constitutionnelles mentionnées au point 6, ne sont pas disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi. Il s'ensuit que la question prioritaire de constitutionnalité invoquée n'étant pas nouvelle et ne présentant pas de caractère sérieux, il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil constitutionnel.

Sur les autres moyens du pourvoi :

9. En premier lieu, compte tenu des écritures de l'association requérante devant les juges du fond, qui excluait de sa demande de communication les noms des professionnels de santé figurant sur le registre, le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait insuffisamment motivé son jugement et dénaturé les pièces du dossier en rejetant implicitement le moyen tiré de la nécessaire occultation des professionnels de santé ne peut qu'être écarté. En tout état de cause, le tribunal administratif a rappelé au point 7 du jugement attaqué que le registre des mesures d'isolement et de contention n'était communicable que sous réserve de l'occultation des mentions dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée des personnes physiques ou qui feraient apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait leur porter préjudice.

10. En second lieu, toutefois, les éléments permettant d'identifier les patients doivent, en application des articles L. 311 6 et L. 311-7 du code des relations entre le public et l'administration, être occultés préalablement à la communication du registre de contention et d'isolement, afin de ne pas porter atteinte au secret médical et à la protection de la vie privée.

11. Dans le cas où l'identité des patients a fait l'objet d'une pseudonymisation, laquelle ne permet l'identification des personnes en cause qu'après recoupement d'informations, il appartient au juge administratif d'apprécier si, eu égard à la sensibilité des données en cause et aux efforts nécessaires pour identifier les personnes concernées, leur communication est susceptible de porter atteinte à la protection de la vie privée et au secret médical. En l'espèce, compte tenu de la nature des informations en cause, qui touchent à la santé mentale des patients, et du nombre restreint de personnes pouvant faire l'objet d'une mesure de contention et d'isolement, facilitant ainsi leur identification, alors au demeurant que les autorités énumérées à l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique peuvent accéder à l'ensemble des informations figurant sur les registres et contrôler l'activité des établissements concernés, l'identifiant dit " anonymisé " figurant dans ces registres, qu'il s'agisse, selon la pratique du centre hospitalier, de " l'identifiant permanent du patient " (IPP) ou d'un identifiant spécialement défini, doit être regardé comme une information dont la communication est susceptible de porter atteinte à la protection de la vie privée et au secret médical. Cet identifiant n'est donc communicable qu'au seul intéressé en vertu des dispositions de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, le centre hospitalier est fondé à soutenir que le tribunal administratif de Lyon a entaché sa décision d'erreur de qualification juridique des faits en lui enjoignant de communiquer à l'association requérante le registre demandé sans occultation préalable de l'identifiant " anonymisé " du patient.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le jugement attaqué doit être annulé en tant seulement qu'il a annulé le refus opposé par le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne à la demande de communication du registre des mesures d'isolement et de contention prises au sein de cet établissement au cours de l'année 2018 sans occultation de l'identifiant anonymisé du patient et qu'il lui a enjoint de procéder à la communication de cet identifiant.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler dans cette mesure l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

14. Il résulte de ce qui a été dit au point 11 que l'identifiant du patient inscrit au registre de contention et d'isolement constitue une information qui ne peut être communiquée qu'à l'intéressé. Par suite, la demande de l'association requérante tendant à ce que cet identifiant soit communiqué sans occultation préalable ne peut qu'être rejetée.

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme " le versement au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme ".

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 1er décembre 2021 est annulé en tant qu'il a annulé le refus opposé par le directeur du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne de communiquer à l'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme " le registre des mesures d'isolement et de contention établi au titre de l'année 2018 sans occultation préalable de l'identifiant " anonymisé " du patient et qu'il a enjoint au centre hospitalier de communiquer ce document sans procéder à une telle occultation.

Article 3 : Les conclusions présentées par l'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme " tendant à ce que le registre des mesures d'isolement et de contention établi au titre de l'année 2018 lui soit communiqué sans occultation préalable de l'identifiant " anonymisé " du patient sont rejetées.

Article 4 : L'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme " versera au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions du pourvoi et les conclusions de l'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme " tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 6 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne et à l'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme ".

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.

Délibéré à l'issue de la séance du 24 février 2023 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 16 mars 2023.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

La rapporteure :

Signé : Mme Myriam Benlolo Carabot

La secrétaire :

Signé : Mme Sylvie Leporcq


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 16 mar. 2023, n° 460681
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Myriam Benlolo Carabot
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; CABINET ROUSSEAU, TAPIE

Origine de la décision
Formation : 10ème chambre
Date de la décision : 16/03/2023
Date de l'import : 14/04/2023

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 460681
Numéro NOR : CETATEXT000047316476 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2023-03-16;460681 ?
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