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15/03/2023 | FRANCE | N°463834

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 15 mars 2023, 463834


Vu la procédure suivante :

La société Commissions Import Export a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a rejeté sa demande tendant à la communication de la " liste diplomatique et consulaire " ou des pages concernant la République du Congo, de certains documents concernant les demandes d'exonération de taxe foncière ou de droits de mutation présentées par la République du Congo, ainsi que de tout autre document émis ou reçu par le ministère faisant état de l'utilisati

on de tout bien, mobilier ou immobilier, appartenant à la République du ...

Vu la procédure suivante :

La société Commissions Import Export a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a rejeté sa demande tendant à la communication de la " liste diplomatique et consulaire " ou des pages concernant la République du Congo, de certains documents concernant les demandes d'exonération de taxe foncière ou de droits de mutation présentées par la République du Congo, ainsi que de tout autre document émis ou reçu par le ministère faisant état de l'utilisation de tout bien, mobilier ou immobilier, appartenant à la République du Congo et utilisé pour les besoins de sa mission diplomatique, et d'enjoindre au ministre de communiquer ces mêmes documents. Par un jugement n° 2013974/5-2 du 13 janvier 2022, le tribunal administratif a fait droit à cette demande.

Par une ordonnance n° 22PA01173 du 6 mai 2022, enregistrée le 9 mai suivant au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la cour administrative d'appel de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 mars et 26 avril 2022 au greffe de cette cour, présentés par le ministre de l'Europe et des affaires européennes.

Par ce pourvoi sommaire et ce mémoire complémentaire, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de la société Commissions Import Export.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques ;

- la convention de Vienne du 24 avril 1963 sur les relations consulaires ;

- le code général des impôts ;

- le code des procédures civiles d'exécution ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Jérôme Ortscheidt, avocat de la société Commissions Import Export ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Commissions Import Export a demandé au ministre de l'Europe et des affaires étrangères de lui communiquer la " liste diplomatique et consulaire " ou ses pages concernant la République du Congo, des documents concernant les demandes d'exonération de taxe foncière ou de droits de mutation présentées par cet Etat, ainsi que tout autre document émis ou reçu par le ministère faisant état de l'utilisation de tout bien, mobilier ou immobilier, appartenant à ce même Etat et utilisé pour les besoins de sa mission diplomatique. Le ministre se pourvoit en cassation contre le jugement du 13 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé son refus de communiquer ces documents et lui a enjoint de les communiquer.

2. Aux termes de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration : " Ne sont pas communicables : (...) 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : (...) c) A la conduite de la politique extérieure de la France ; (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'administration, sous le contrôle du juge, d'apprécier de façon objective et quels que soient les motifs pour lesquels le demandeur sollicite la communication d'un document administratif, si, eu égard au contenu de celui-ci et aux utilisations que pourrait en faire toute personne susceptible de le demander, cette communication porterait atteinte à la conduite de la politique extérieure. La circonstance qu'un document ne contient pas d'informations traitant de la conduite de la politique extérieure de la France ne permet pas, à elle seule, d'écarter le risque d'atteinte à cet intérêt.

3. Pour écarter l'argumentation du ministre de l'Europe et des affaires étrangères fondée sur le c) du 2° de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration et faire droit à la demande de la société, le tribunal administratif de Paris s'est fondé sur ce que l'usage potentiel des documents demandés était sans incidence sur leur communicabilité et sur ce que ces derniers ne contenaient pas d'informations relevant de la politique extérieure de la France. Il résulte de ce qui a été dit au point 2 qu'il a, ce faisant, entaché son jugement d'erreurs de droit.

4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que le jugement attaqué doit être annulé.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le ministre a communiqué à la société, qui n'a pas émis d'objection sur ce point, les extraits de la " liste diplomatique et consulaire " relatifs à la République du Congo.

7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, en particulier des réponses aux mesures supplémentaires d'instruction diligentées par la 10ème chambre de la section du contentieux, que les services du ministre de l'Europe et des affaires étrangères disposent, pour chaque Etat étranger, d'un dossier sur les biens que ce dernier a indiqué affecter à sa mission diplomatique, dont le contenu est variable et qui n'est pas nécessairement exhaustif dès lors notamment que certains documents anciens peuvent être antérieurs à sa création. Ce dossier peut notamment contenir les demandes officielles de reconnaissance de l'Etat accréditant, qui prennent en général la forme de " notes verbales ", accompagnées le cas échéant de pièces justificatives comme les actes de propriété ou les baux de location correspondants, les demandes d'exonération fiscale émanant de cet Etat, les pièces relatives à l'imposition ou la non-imposition et aux diligences ou poursuites effectuées par l'administration fiscale pour ces locaux ou à l'endroit de diplomates à raison de l'occupation de logements que l'Etat accréditant estime protégés par les conventions de Vienne sur les relations diplomatiques et sur les relations consulaires, les échanges entre l'administration fiscale et les services du ministère chargé des affaires étrangères, notamment le bordereau de notification de la reconnaissance d'un local diplomatique adressé par ces derniers à la première, les échanges internes à ces services et les correspondances adressées par ces derniers à l'Etat accréditant.

8. La simple désignation des biens d'un Etat étranger reconnus par la France, Etat accréditaire, comme étant affectés à la mission diplomatique de celui-ci, justifiant ainsi qu'il bénéficie des immunités et privilèges, notamment fiscaux, s'y attachant en vertu des engagements internationaux de la France et des dispositions législatives et réglementaires applicables, n'est pas une information dont la communication porterait atteinte à la conduite de la politique extérieure de la France. Par suite, une liste des locaux ainsi reconnus, ou un bordereau ou un autre document par lequel le ministère chargé des affaires étrangères se borne à notifier à l'administration fiscale qu'un local fait l'objet d'une telle reconnaissance, sont, lorsqu'ils existent et sous réserve des autres exceptions prévues à l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration, communicables à toute personne qui en fait la demande. Il en va différemment des demandes de reconnaissance et d'exonération fiscale formulées par l'Etat accréditant et des pièces qui leur sont annexées, des documents relatifs à l'instruction de ces demandes, des actes accomplis par l'administration fiscale à l'endroit de l'ambassade ou de ses diplomates, des pièces concernant ou mentionnant les réclamations et litiges s'y rapportant, des " notes verbales " échangées entre l'ambassade et le ministère, ainsi que de l'ensemble des documents relatifs aux biens pour lesquels la reconnaissance de l'affectation à la mission diplomatique a été refusée, leur divulgation étant de nature à porter atteinte aux relations diplomatiques entre la France et l'Etat étranger.

9. En l'espèce, le dossier relatif aux biens utilisés par la République du Congo, que la 10ème chambre de la section du contentieux, en application de l'article R. 412-2-1 du code de justice administrative, s'est fait communiquer sans le soumettre au débat contradictoire, ne contient que des documents de la nature de ceux dont la communication porterait atteinte à la conduite de la politique extérieure de la France et qui présentent un caractère indivisible, et ne comporte ni bordereau de notification de reconnaissance de biens affectés à la mission diplomatique de la République du Congo, ni de liste ou de registre des biens bénéficiant d'une telle reconnaissance, qu'aucune disposition ne fait d'ailleurs obligation à l'administration de tenir.

10. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il existerait d'autres documents susceptibles de répondre à la demande, par ailleurs imprécise pour le surplus, de la société Commissions Export Import.

11. En quatrième et dernier lieu, dès lors que l'administration aurait pris la même décision de refus de communication en se fondant sur les motifs précédemment énoncés, il n'y a pas lieu de se prononcer sur le moyen tiré de ce que la communication des documents demandés ne porterait pas atteinte aux procédures juridictionnelles en cours.

12. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la société Commissions Import Export tendant à l'annulation du refus de communication des extraits de la " liste diplomatique et consulaire " relatifs à la République du Congo et que le surplus de ses conclusions à fins d'annulation et ses conclusions à fins d'injonction doivent être rejetées.

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 13 janvier 2022 est annulé.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions présentées par la société Commissions Import Export devant le tribunal administratif de Paris et relatives à la " liste diplomatique et consulaire ".

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par la société Commissions Import Export devant le tribunal administratif de Paris est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par la société Commissions Import Export au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la ministre de l'Europe et des affaires étrangères et à la société Commissions Import Export.

Délibéré à l'issue de la séance du 13 février 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszergi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, Mme Isabelle Lemesle, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, conseillers d'Etat et M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat-rapporteur

Rendu le 15 mars 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Bruno Delsol

La secrétaire :

Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

26-06-01-02-03 DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS. - ACCÈS AUX DOCUMENTS ADMINISTRATIFS. - ACCÈS AUX DOCUMENTS ADMINISTRATIFS AU TITRE DE LA LOI DU 17 JUILLET 1978. - DROIT À LA COMMUNICATION. - DOCUMENTS ADMINISTRATIFS NON COMMUNICABLES. - DOCUMENTS DONT LA CONSULTATION OU LA COMMUNICATION PORTERAIT ATTEINTE À LA CONDUITE DE LA POLITIQUE EXTÉRIEURE DE LA FRANCE (2° DE L’ART. L. 311-5 DU CRPA) – 1) CRITÈRE – ATTEINTE POUVANT RÉSULTER DU CONTENU DU DOCUMENT ET DES UTILISATIONS QUE POURRAIT EN FAIRE TOUTE PERSONNE SUSCEPTIBLE DE LE DEMANDER – 2) ILLUSTRATIONS – A) DOCUMENT DÉSIGNANT LES BIENS D’UN ETAT ÉTRANGER RECONNUS COMME ÉTANT AFFECTÉS À SA MISSION DIPLOMATIQUE – ABSENCE – B) DEMANDES FORMULÉES PAR L’ETAT ACCRÉDITANT ET PIÈCES ANNEXÉES, DOCUMENTS RELATIFS À LEUR INSTRUCTION, ACTES ACCOMPLIS PAR LE FISC, PIÈCES RELATIVES AUX RÉCLAMATIONS ET LITIGES S’Y RAPPORTANT, « NOTES VERBALES » ET ENSEMBLE DES DOCUMENTS RELATIFS AUX BIENS POUR LESQUELS LA RECONNAISSANCE DE L’AFFECTATION A ÉTÉ REFUSÉE – EXISTENCE.

26-06-01-02-03 1) Il résulte du 2° de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) qu’il appartient à l’administration, sous le contrôle du juge, d’apprécier de façon objective et quels que soient les motifs pour lesquels le demandeur sollicite la communication d’un document administratif, si, eu égard au contenu de celui-ci et aux utilisations que pourrait en faire toute personne susceptible de le demander, cette communication porterait atteinte à la conduite de la politique extérieure. ...La circonstance qu’un document ne contient pas d’informations traitant de la conduite de la politique extérieure de la France ne permet pas, à elle seule, d’écarter le risque d’atteinte à cet intérêt. ...2) a) La simple désignation des biens d’un Etat étranger reconnus par la France, Etat accréditaire, comme étant affectés à la mission diplomatique de celui-ci, justifiant ainsi qu’il bénéficie des immunités et privilèges, notamment fiscaux, s’y attachant en vertu des engagements internationaux de la France et des dispositions législatives et réglementaires applicables, n’est pas une information dont la communication porterait atteinte à la conduite de la politique extérieure de la France. ...Par suite, une liste des locaux ainsi reconnus, ou un bordereau ou un autre document par lequel le ministère chargé des affaires étrangères se borne à notifier à l’administration fiscale qu’un local fait l’objet d’une telle reconnaissance, sont, lorsqu’ils existent et sous réserve des autres exceptions prévues à l’article L. 311-5 du CRPA, communicables à toute personne qui en fait la demande. ...b) Il en va différemment des demandes de reconnaissance et d’exonération fiscale formulées par l’Etat accréditant et des pièces qui leur sont annexées, des documents relatifs à l’instruction de ces demandes, des actes accomplis par l’administration fiscale à l’endroit de l’ambassade ou de ses diplomates, des pièces concernant ou mentionnant les réclamations et litiges s’y rapportant, des « notes verbales » échangées entre l’ambassade et le ministère, ainsi que de l’ensemble des documents relatifs aux biens pour lesquels la reconnaissance de l’affectation à la mission diplomatique a été refusée, leur divulgation étant de nature à porter atteinte aux relations diplomatiques entre la France et l’Etat étranger.


Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 15 mar. 2023, n° 463834
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bruno Delsol
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : SARL JEROME ORTSCHEIDT

Origine de la décision
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Date de la décision : 15/03/2023
Date de l'import : 17/03/2023

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 463834
Numéro NOR : CETATEXT000047313904 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2023-03-15;463834 ?
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