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10/03/2023 | FRANCE | N°465332

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 10 mars 2023, 465332


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 juin et 26 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Solidarité Paysans demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret n° 2022-725 du 28 avril 2022 relatif à la définition du patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel et aux mentions sur les documents et correspondances à usage professionnel ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice admini

strative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de commerce ;

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Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 juin et 26 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Solidarité Paysans demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret n° 2022-725 du 28 avril 2022 relatif à la définition du patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel et aux mentions sur les documents et correspondances à usage professionnel ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de commerce ;

- la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Nissen, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de l'association Solidarité Paysans ;

Considérant ce qui suit :

1. L'association Solidarité Paysans demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 28 avril 2022 relatif à la définition du patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel et aux mentions sur les documents et correspondances à usage professionnel, pris pour l'application de l'article L. 526-22 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 526-1 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante : " Par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil, les droits d'une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle de la personne. Lorsque la résidence principale est utilisée en partie pour un usage professionnel, la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable, sans qu'un état descriptif de division soit nécessaire. La domiciliation de la personne dans son local d'habitation en application de l'article L. 123-10 du présent code ne fait pas obstacle à ce que ce local soit de droit insaisissable, sans qu'un état descriptif de division soit nécessaire ". Aux termes de l'article L. 526-22 du même code : " L'entrepreneur individuel est une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes. / Les biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes constituent le patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel. Sous réserve du livre VI du présent code, ce patrimoine ne peut être scindé. Les éléments du patrimoine de l'entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel constituent son patrimoine personnel. / La distinction des patrimoines personnel et professionnel de l'entrepreneur individuel ne l'autorise pas à se porter caution en garantie d'une dette dont il est débiteur principal. / Par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil et sans préjudice des dispositions légales relatives à l'insaisissabilité de certains biens, notamment la section 1 du présent chapitre et l'article

L. 526-7 du présent code, l'entrepreneur individuel n'est tenu de remplir son engagement à l'égard de ses créanciers dont les droits sont nés à l'occasion de son exercice professionnel que sur son seul patrimoine professionnel, sauf sûretés conventionnelles ou renonciation dans les conditions prévues à l'article L. 526-25. / Les dettes dont l'entrepreneur individuel est redevable envers les organismes de recouvrement des cotisations et contributions sociales sont nées à l'occasion de son exercice professionnel. / Seul le patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel constitue le gage général des créanciers dont les droits ne sont pas nés à l'occasion de son exercice professionnel. Toutefois, si le patrimoine personnel est insuffisant, le droit de gage général des créanciers peut s'exercer sur le patrimoine professionnel, dans la limite du montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos. En outre, les sûretés réelles consenties par l'entrepreneur individuel avant le commencement de son activité ou de ses activités professionnelles indépendantes conservent leur effet, quelle que soit leur assiette. / La charge de la preuve incombe à l'entrepreneur individuel pour toute contestation de mesures d'exécution forcée ou de mesures conservatoires qu'il élève concernant l'inclusion ou non de certains éléments d'actif dans le périmètre du droit de gage général du créancier. Sans préjudice de l'article L. 121-2 du code des procédures civiles d'exécution, la responsabilité du créancier saisissant peut être recherchée pour abus de saisie lorsqu'il a procédé à une mesure d'exécution forcée ou à une mesure conservatoire sur un élément d'actif ne faisant manifestement pas partie de son gage général. / Dans le cas où un entrepreneur individuel cesse toute activité professionnelle indépendante, le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel sont réunis. Il en est de même en cas de décès de l'entrepreneur individuel, sous réserve des articles L. 631-3 et L. 640-3 du présent code. / Les conditions d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'Etat ".

3. D'autre part, aux termes de l'article R. 526-26 du code de commerce, issu de l'article 2 du décret attaqué du 28 avril 2022 relatif à la définition du patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel et aux mentions sur les documents et correspondances à usage professionnel : " I. - Pour l'application du deuxième alinéa de l'article L. 526-22, les biens, droits, obligations et sûretés dont l'entrepreneur individuel est titulaire, utiles à l'activité professionnelle, s'entendent de ceux qui, par nature, par destination ou en fonction de leur objet, servent à cette activité, tels que : / 1° Le fonds de commerce, le fonds artisanal, le fonds agricole, tous les biens corporels ou incorporels qui les constituent et les droits y afférents et le droit de présentation de la clientèle d'un professionnel libéral ; / 2° Les biens meubles comme la marchandise, le matériel et l'outillage, le matériel agricole, ainsi que les moyens de mobilité pour les activités itinérantes telles que la vente et les prestations à domicile, les activités de transport ou de livraison ; / 3° Les biens immeubles servant à l'activité, y compris la partie de la résidence principale de l'entrepreneur individuel utilisée pour un usage professionnel ; lorsque ces immeubles sont détenus par une société dont l'entrepreneur individuel est actionnaire ou associé et qui a pour activité principale leur mise à disposition au profit de l'entrepreneur individuel, les actions ou parts d'une telle société ; / 4° Les biens incorporels comme les données relatives aux clients, les brevets d'invention, les licences, les marques, les dessins et modèles, et plus généralement les droits de propriété intellectuelle, le nom commercial et l'enseigne ; / 5° Les fonds de caisse, toute somme en numéraire conservée sur le lieu d'exercice de l'activité professionnelle, les sommes inscrites aux comptes bancaires dédiés à cette activité, notamment au titre des articles L. 613-10 du code de la sécurité sociale et L. 123-24 du présent code, ainsi que les sommes destinées à pourvoir aux dépenses courantes relatives à cette même activité. / II. - Lorsque l'entrepreneur individuel est tenu à des obligations comptables légales ou réglementaires, son patrimoine professionnel est présumé comprendre au moins l'ensemble des éléments enregistrés au titre des documents comptables, sous réserve qu'ils soient réguliers et sincères et donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise. Sous la même réserve, les documents comptables sont présumés identifier la rémunération tirée de l'activité professionnelle indépendante, qui est comprise dans le patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel ".

4. En premier lieu, lorsqu'un décret doit être pris en Conseil d'Etat, le texte retenu par le Gouvernement ne peut être différent à la fois du projet qu'il avait soumis au Conseil d'Etat et du texte adopté par ce dernier. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la copie de la minute de la section des finances du Conseil d'Etat, produite en défense par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, qu'aucune disposition du décret dont l'annulation est demandée ne diffère à la fois du projet soumis au Conseil d'Etat et du texte adopté par ce dernier. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des règles qui gouvernent l'examen par le Conseil d'Etat des projets de décret doit être écarté.

5. En deuxième lieu, les dispositions de l'article R. 526-26 du code de commerce issues de l'article 2 du décret attaqué, citées au point 3, qui définissent les biens, droits, obligations et sûretés utiles à l'activité professionnelle de l'entrepreneur individuel en se référant à ceux " qui par nature, par destination ou en fonction de leur objet, servent à cette activité ", et énumèrent différentes catégories de biens répondant à cette définition, sans que cette liste présente un caractère exhaustif, sont suffisamment précises et ne sont pas équivoques. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme doit être écarté.

6. En troisième lieu, il résulte des termes mêmes de l'article L. 526-1 du code de commerce citées au point 2 que lorsque la résidence principale d'un entrepreneur individuel est utilisée en partie pour un usage professionnel, la partie non utilisée pour un tel usage est de droit insaisissable par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle de cette personne. Il suit de là qu'en incluant, au 3° de l'article R. 526-26 du code de commerce, la seule partie de la résidence principale de l'entrepreneur individuel utilisée pour un usage professionnel dans les biens immeubles entrant dans son patrimoine professionnel, susceptibles, par suite, d'être saisis par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle de l'intéressé, le pouvoir réglementaire n'a fait que tirer les conséquences qui découlent de la loi elle-même. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait le principe d'insaisissabilité de la résidence principale posé par l'article L. 526-1 du code de commerce ne peut qu'être écarté.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir soulevées en défense, que l'association requérante n'est pas fondée à demander l'annulation du décret qu'elle attaque.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de l'association Solidarité Paysans est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Solidarité Paysans, à la Première ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 16 février 2023 où siégeaient :

Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Vincent Daumas, conseiller d'Etat et Mme Cécile Nissen, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 10 mars 2023.

La présidente :

Signé : Mme Anne Egerszegi

La rapporteure :

Signé : Mme Cécile Nissen

La secrétaire :

Signé : Mme Wafak Salem

La République mande et ordonne à la Première ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au garde des sceaux, ministre de la justice, chacun en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 465332
Date de la décision : 10/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 mar. 2023, n° 465332
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Nissen
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé
Avocat(s) : SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO et GOULET

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:465332.20230310
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