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10/03/2023 | FRANCE | N°450809

France | France, Conseil d'État, 4ème chambre, 10 mars 2023, 450809


Vu la procédure suivante :

La société KDI, devenue la société Kloeckner Metals France, a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, la décision du

8 août 2016 par laquelle l'inspecteur du travail de la section 76-3 de l'unité départementale de la Seine-Maritime a refusé de l'autoriser à licencier Mme A... C..., d'autre part, la décision du 8 février 2017 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a implicitement rejeté son recours hiérarchique. Par une ordon

nance du 14 août 2017, le président de la 3ème chambre du tribunal administr...

Vu la procédure suivante :

La société KDI, devenue la société Kloeckner Metals France, a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, la décision du

8 août 2016 par laquelle l'inspecteur du travail de la section 76-3 de l'unité départementale de la Seine-Maritime a refusé de l'autoriser à licencier Mme A... C..., d'autre part, la décision du 8 février 2017 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a implicitement rejeté son recours hiérarchique. Par une ordonnance du 14 août 2017, le président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Rouen a transmis la demande de la société KDI au tribunal administratif de Caen. Par un jugement n° 1701499 du 8 novembre 2018, le tribunal administratif de Caen a annulé ces deux décisions.

Par un arrêt n° 19NT00020 du 29 septembre 2020, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par Mme C... contre ce jugement.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Camille Belloc, auditrice,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de Mme C... et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société La societe kdi ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un jugement du 8 novembre 2018, le tribunal administratif de Caen a, sur demande de la société KDI, devenue la société Kloeckner Metals France, annulé la décision du 8 août 2016 par laquelle l'inspecteur du travail de la section 76-3 de l'unité départementale de la Seine-Maritime a refusé de l'autoriser à licencier Mme C..., salariée protégée, et celle du 8 février 2017 par laquelle le ministre du travail a implicitement rejeté son recours hiérarchique contre la décision du 8 août 2016. Par un arrêt du 29 septembre 2020, contre lequel Mme C... se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté son appel formé contre ce jugement.

Sur la recevabilité de la demande de la société KDI :

2. Aux termes de l'article L. 110-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sont considérées comme des demandes au sens du présent code les demandes et les réclamations, y compris les recours gracieux ou hiérarchiques, adressés à l'administration. ". Aux termes de l'article L. 112-3 de ce code : " Toute demande adressée à l'administration fait l'objet d'un accusé de réception. / (...) Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article L. 112-6 de ce code : " Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la règlementation (...) ". Aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". Il résulte de ces dispositions qu'en l'absence d'un accusé de réception comportant les mentions prévues par ces dernières dispositions, les délais de recours contentieux contre une décision implicite de rejet ne sont pas opposables à son destinataire.

3. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci en a eu connaissance. Dans une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.

4. Les règles énoncées au point 3, relatives au délai raisonnable au-delà duquel le destinataire d'une décision ne peut exercer de recours juridictionnel, qui ne peut en règle générale excéder un an sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, sont également applicables à la contestation d'une décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration sur une demande présentée devant elle, lorsqu'il est établi que le demandeur a eu connaissance de la décision. La preuve d'une telle connaissance ne saurait résulter du seul écoulement du temps depuis la présentation de la demande. Elle peut en revanche résulter de ce qu'il est établi, soit que l'intéressé a été clairement informé des conditions de naissance d'une décision implicite lors de la présentation de sa demande, soit que la décision a par la suite été expressément mentionnée au cours de ses échanges avec l'administration. Le demandeur, s'il n'a pas été informé des voies et délais de recours dans les conditions prévues par les textes cités au point 2, dispose alors, pour saisir le juge, d'un délai raisonnable qui court, dans la première hypothèse, de la date de naissance de la décision implicite et, dans la seconde, de la date de l'événement établissant qu'il a eu connaissance de la décision.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, d'une part, qu'il n'est pas établi que le recours hiérarchique formé par la société KDI contre la décision de l'inspecteur du travail du 8 août 2016 a fait l'objet de l'accusé de réception prévu par l'article

L. 112-3 du code des relations entre le public et l'administration cité au point 2. Ainsi, les délais de recours fixés par le code de justice administrative ne sont pas opposables à la société KDI en ce qui concerne la décision implicite de rejet du 8 février 2017. D'autre part, à supposer que la société KDI doive être regardée comme ayant eu connaissance de la décision implicite de rejet opposée à sa demande à compter du 8 mars 2017, date à laquelle elle a sollicité la communication des motifs de ce rejet, elle disposait en tout état de cause pour saisir le juge d'un délai raisonnable d'un an à compter de cette date. Par suite, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que la cour administrative d'appel aurait dû retenir que la demande de la société KDI, enregistrée le 19 juillet 2017 au greffe du tribunal administratif de Rouen, était irrecevable pour tardiveté.

Sur les autres moyens du pourvoi :

6. D'une part, en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière. En outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence.

7. D'autre part, aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, issue de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des changes économiques : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie. / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises. " Aux termes du premier alinéa de l'article L. 1233-4-1 du même code, dans sa rédaction issue de la même loi, qui a été ultérieurement abrogé par l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail : " Lorsque l'entreprise ou le groupe dont l'entreprise fait partie comporte des établissements en dehors du territoire national, le salarié dont le licenciement est envisagé peut demander à l'employeur de recevoir des offres de reclassement dans ces établissements. Dans sa demande, il précise les restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation. L'employeur transmet les offres correspondantes au salarié ayant manifesté son intérêt. Ces offres sont écrites et précises. "

8. Pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation de recherche de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié sur le territoire national ainsi que, pour autant que l'article L. 1233-4-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi du 6 août 2015 soit encore applicable, lorsque le salarié l'a demandé, hors du territoire national, d'une part, au sein de l'entreprise, d'autre part dans les entreprises du groupe auquel elle appartient, dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.

9. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour apprécier le respect par la société KDI de son obligation de recherche sérieuse de reclassement, la cour administrative d'appel a relevé, d'une part, que plus de vingt postes répondant aux exigences de l'article L. 1233-4 du code du travail ont été proposés à Mme C... sur le territoire national, sans que la salariée ne donne suite à aucune de ces propositions, d'autre part, que, si Mme C... avait indiqué, en début de procédure, être intéressée par des postes situés à l'étranger, elle ne maîtrisait pas la langue des pays concernés ni à tout le moins l'anglais, ce qui constituait une compétence indispensable à l'exercice des fonctions de commerciales auxquelles elle pouvait prétendre, de sorte que la recherche de tels postes de reclassement n'avait pas abouti, enfin que la société KDI établissait qu'aucun poste n'était disponible dans les sociétés du groupe situées en Belgique et en Suisse, peu important à cet égard, dans ces conditions, que la cour ait également mentionné que l'employeur avait pu valablement tenter de soumettre l'intéressée à un test de langue et qu'après avoir relevé que la société justifiait qu'aucun poste n'était disponible dans les sociétés du groupe en Belgique et en Suisse, la cour mentionne que cela était d'ailleurs attesté par le plan de sauvegarde de l'emploi.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme C... la somme demandée par la société Kloeckner Metals France au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de Mme C... est rejeté.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société Kloeckner Metals France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A... C... et à la société Kloeckner Metals France.

Copie en sera adressée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 450809
Date de la décision : 10/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 mar. 2023, n° 450809
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Camille Belloc
Rapporteur public ?: M. Jean-François de Montgolfier
Avocat(s) : SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO et GOULET ; SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:450809.20230310
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