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09/03/2023 | FRANCE | N°453481

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 09 mars 2023, 453481


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 juin et 13 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), M. C... B..., Mme D... F... et Mme E... A... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites par lesquelles le Premier ministre et le ministre de la santé et des solidarités ont rejeté leur demande tendant à l'abrogation du deuxième alinéa de l'article R. 4127-38 du code de la santé publique ;


2°) d'enjoindre au Gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 juin et 13 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), M. C... B..., Mme D... F... et Mme E... A... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites par lesquelles le Premier ministre et le ministre de la santé et des solidarités ont rejeté leur demande tendant à l'abrogation du deuxième alinéa de l'article R. 4127-38 du code de la santé publique ;

2°) d'enjoindre au Gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour " légaliser et encadrer juridiquement l'euthanasie et le suicide assisté " ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale ;

- le code pénal ;

- le code de la santé publique ;

- les arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l'homme le 29 juillet 2002 dans l'affaire Pretty c. Royaume-Uni, n° 2346/02 et le 20 janvier 2011 dans l'affaire Haas c. Suisse, n° 31322/07 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

Sur le cadre du litige :

1. D'une part, en vertu de l'article 221-1 du code pénal constitue un meurtre " le fait de donner volontairement la mort à autrui ". Aux termes du premier alinéa de l'article 122-4 du même code : " N'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ".

2. D'autre part, aux termes de l'article L. 1110-1 du code la santé publique : " Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne (...) ". L'article L. 1110-2 du même code dispose que : " La personne malade a droit au respect de sa dignité ". L'article L. 1110-5 du code de la santé publique garantit à toute personne, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées, ainsi que le droit d'avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. L'article L. 1110-5-1 du même code prévoit que ces actes ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu'ils résultent d'une obstination déraisonnable et qu'ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale, lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu'ils n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. En ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en lui dispensant des soins palliatifs. L'article L. 1110-5-2 du même code dispose notamment que : " A la demande du patient d'éviter toute souffrance et de ne pas subir d'obstination déraisonnable, une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie et à l'arrêt de l'ensemble des traitements de maintien en vie, est mise en œuvre dans les cas suivants : / 1° Lorsque le patient atteint d'une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire aux traitements ; / 2° Lorsque la décision du patient atteint d'une affection grave et incurable d'arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d'entraîner une souffrance insupportable./ Lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté et, au titre du refus de l'obstination déraisonnable mentionnée à l'article L. 1110-5-1, dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie, celui-ci applique une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie (...) ". Enfin, l'article L. 1110-5-3 du même code prévoit notamment que : " Toute personne a le droit de recevoir des traitements et des soins visant à soulager sa souffrance. Celle-ci doit être, en toutes circonstances, prévenue, prise en compte, évaluée et traitée. Le médecin met en place l'ensemble des traitements analgésiques et sédatifs pour répondre à la souffrance réfractaire du malade en phase avancée ou terminale, même s'ils peuvent avoir comme effet d'abréger la vie. (...) " Enfin, l'article L. 1111-4 de ce code prévoit qu'aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne, que celle-ci a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement après avoir été informée des conséquences de ses choix et de leur gravité et que le médecin, qui a l'obligation de respecter sa volonté, doit lui assurer la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins palliatifs.

3. De troisième part, les articles R. 4127-32 à R. 4127-55 du code de la santé publique fixent, au sein du code de déontologie médicale, les devoirs des médecins envers les patients. L'article R. 4127-37 du code de la santé publique prévoit à ce titre que : " En toutes circonstances, le médecin doit s'efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l'assister moralement. Il doit s'abstenir de toute obstination déraisonnable et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. " L'article R. 4127-37-1 du même code fait obligation au médecin ayant la charge d'un patient hors d'état d'exprimer sa volonté de respecter la volonté exprimée par celui-ci dans des directives anticipées, excepté dans les cas qu'il prévoit. L'article R. 4127-37-2 du même code organise les conditions dans lesquelles est prise la décision de limiter ou d'arrêter les traitements dispensés, au titre du refus d'une obstination déraisonnable. Aux termes de l'article R. 4127-37-3 du même code : " I.- A la demande du patient, dans les situations prévues aux 1° et 2° de l'article L. 1110-5-2, il est recouru à une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie et à l'arrêt de l'ensemble des traitements de maintien en vie, à l'issue d'une procédure collégiale, telle que définie au III de l'article R. 4127-37-2, dont l'objet est de vérifier que les conditions prévues par la loi sont remplies (...) ". En vertu de l'article R. 4127-37-4, le médecin doit accompagner la personne selon les principes et dans les conditions énoncées à l'article R. 4127-38 et veiller à ce que l'entourage du patient soit informé de la situation et reçoive le soutien nécessaire. Enfin, aux termes de l'article R. 4127-38 du même code : " Le médecin doit accompagner le mourant jusqu'à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d'une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. / Il n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort. "

4. L'association requérante et autres demandent l'annulation pour excès de pouvoir des décisions par lesquelles le Premier ministre et le ministre des solidarités et de la santé ont refusé d'abroger le second alinéa de l'article R. 4127-38 du code de la santé publique, cité au point précédent.

Sur les moyens :

5. En premier lieu, il résulte des dispositions législatives citées au point 2 que le médecin, agissant dans le cadre qu'elles fixent, ne dispose pas du droit de provoquer délibérément la mort, ce qui lui est ainsi interdit en vertu des dispositions législatives citées au point 1. Par suite, les requérants ne sont fondés à soutenir, ni que les dispositions règlementaires litigieuses, qui se bornent à le rappeler, seraient entachées d'incompétence, ni qu'elles méconnaîtraient les dispositions du code de la santé publique citées aux points 2 et précisées au point 3, en ce qu'elles leur ajouteraient une interdiction qui n'y figurerait pas.

6. En deuxième lieu, les articles 2, 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relatifs respectivement au droit à la vie, à l'interdiction des traitements inhumains et dégradants et au droit au respect de la vie privée et familiale, tels qu'interprétés par la Cour européenne des droits de l'homme, notamment par les arrêts qu'elle a rendus le 29 juillet 2002 dans l'affaire Pretty c. Royaume-Uni, et le 20 janvier 2011 dans l'affaire Haas c. Suisse, visés ci-dessus, n'impliquent pas par eux-mêmes de prévoir l'intervention médicale réclamée par les requérants pour l'exercice du droit au suicide assisté et à l'euthanasie qu'ils revendiquent. Par suite, le moyen par lequel ils soutiennent qu'en rappelant que le médecin n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort, les dispositions attaquées méconnaîtraient ces stipulations, doit être écarté, de même, par suite, que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 14 de la convention, impliquant que la jouissance des droits et libertés qui y sont reconnus soit assurée sans distinction aucune.

7. Enfin, les requérants ne sont pas davantage fondés à soutenir que les dispositions litigieuses, qui se bornent à rappeler les dispositions pénales citées au point 1 et sont dépourvues de toute ambiguïté, méconnaîtraient les stipulations de l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce qu'elles exposeraient les médecins à être condamnés pour une infraction qui ne résulterait pas clairement de la loi.

8. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des décisions qu'ils attaquent. Leurs conclusions à fin d'injonction ne peuvent par suite qu'être également rejetées, de même que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) et autres est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), représentante unique désignée, pour l'ensemble des requérants et au ministre de la santé et de la prévention.

Copie en sera adressée à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 16 février 2023 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat et Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 9 mars 2023.

La présidente :

Signé : Mme Gaëlle Dumortier

La rapporteure :

Signé : Mme Agnès Pic

Le secrétaire :

Signé : M. Mickaël Lemasson


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 453481
Date de la décision : 09/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 09 mar. 2023, n° 453481
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Agnès Pic
Rapporteur public ?: M. Mathieu Le Coq

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:453481.20230309
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