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03/03/2023 | FRANCE | N°457237

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 03 mars 2023, 457237


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 4 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. AG... K..., M. E... L..., Mme AR... N..., Mme Y... AI..., Mme AM... AK..., M. AF... AC..., Mme J... D..., Mme O... U..., Mme G... R..., Mme AO... AT..., Mme AQ... Z..., M. AB... A..., Mme P... F..., M. T... V..., Mme AL... H..., Mme S... AH..., Mme X... AD..., M. AS... AE..., M. AP... AA..., Mme M... B..., Mme O... I..., Mme AN... Q... épouse W... et M. C... AJ... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir, au quatrième alin

a de l'article 49-1 du décret n°2021-699 du 1er juin 2021 prescriva...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 4 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. AG... K..., M. E... L..., Mme AR... N..., Mme Y... AI..., Mme AM... AK..., M. AF... AC..., Mme J... D..., Mme O... U..., Mme G... R..., Mme AO... AT..., Mme AQ... Z..., M. AB... A..., Mme P... F..., M. T... V..., Mme AL... H..., Mme S... AH..., Mme X... AD..., M. AS... AE..., M. AP... AA..., Mme M... B..., Mme O... I..., Mme AN... Q... épouse W... et M. C... AJ... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir, au quatrième alinéa de l'article 49-1 du décret n°2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, dans sa rédaction issue du décret n°2021-1059 du 7 août 2021, les mots : " et jusqu'au 14 septembre 2021 inclus ", ainsi que la seconde phrase ;

2°) d'annuler l'article 49-2 du même décret en tant qu'il s'applique notamment aux personnes n'ayant aucun contact avec les patients et justifiant du résultat d'un examen de dépistage, d'un test ou d'un autotest, d'au plus 72 heures, mentionné au 1° de l'article 2-2 du même décret ;

3°) subsidiairement, d'annuler le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 ;

4°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre, dans le délai de quarante-huit heures et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, un décret, contresigné par le ministre des solidarités et de la santé, le ministre de l'intérieur, le garde des sceaux, ministre de la justice, le ministre de l'économie, des finances et de la relance et le ministre des outre-mer, créant, à l'article 49-2 déjà mentionné, un second alinéa tendant à préciser que la vaccination contre la covid-19 des personnes travaillant à titre permanent dans les locaux mentionnés au premier alinéa du même article 49-2 n'est pas obligatoire, à condition qu'elles n'aient aucun contact avec les patients et justifient du résultat négatif d'un examen de dépistage, d'un test ou d'un autotest, mentionné au 1° de l'article 2-2 du même décret, d'au plus 72 heures ;

5°) de réserver au Conseil d'Etat, le cas échéant, le contentieux de l'exécution ;

6°) subsidiairement, de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle relative à l'interprétation de certaines dispositions du Traité sur l'Union européenne, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne combinées avec celles la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel, et du règlement (UE) 2021/953 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2021 relatif à un cadre pour la délivrance, la vérification et l'acceptation de certificats COVID-19 interopérables de vaccination, de test et de rétablissement (certificat COVID numérique de l'UE) afin de faciliter la libre circulation pendant la pandémie de COVID-19, en vue de savoir si elles s'opposent à des dispositions nationales telles que celles des articles 12 à 20 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire et des articles 49-1 et 49-2 déjà mentionnés ;

7°) subsidiairement, de saisir la Cour européenne des droits de l'homme d'une demande d'avis consultatif portant sur l'interprétation des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son premier protocole additionnel, afin de savoir s'ils s'opposent à des dispositions nationales telles que celles précédemment mentionnées ;

8°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens, ainsi qu'une somme de 12 000 euros à verser à chacun des requérants.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le traité sur l'Union européenne ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 ;

- le règlement (CE) n° 507/2006 de la Commission du 29 mars 2006 ;

- le règlement (UE) 2021/953 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2021 ;

- la convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, signée à Oviedo le 4 avril 1997 ;

- le code de la santé publique ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;

- la décision du 28 décembre 2021 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. K... et autres ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. En raison d'une amélioration progressive de la situation sanitaire, les mesures de santé publique destinées à prévenir la circulation du virus de la covid-19 prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ont été remplacées, après l'expiration de celui-ci le 1er juin 2021, par celles de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire. En particulier, elle permettait au Premier ministre d'instituer un dispositif dit de " passe sanitaire ". Il pouvait ainsi subordonner à la présentation soit du résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d'un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19, certains déplacements ainsi que l'accès à certains lieux, établissements ou évènements. Le Premier ministre a pris, en application de ces dispositions, le décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire. A la suite d'une nouvelle dégradation de la situation épidémique, la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a notamment, par ses articles 12 à 19, institué une obligation de vaccination contre la covid-19, sauf contre-indication, pour certaines personnes dont les professionnels de santé. Le décret du 7 août 2021 a modifié le décret du 1er juin 2021, notamment pour y créer deux nouveaux articles concernant l'obligation vaccinale. L'article 49-1 concerne notamment les justificatifs et le contrôle. L'article 49-2 précise la définition des locaux mentionnés au 4° de l'article 12 de la loi du 5 août 2021, selon lequel sont soumis à l'obligation vaccinale les personnes travaillant dans les mêmes locaux que certains professionnels de santé ou personnes faisant usage de certains titres, et n'exerçant pas dans les établissements ou services prévus au 1° du même article 12.

2. Les requérants demandent l'annulation de l'article 49-1 du décret du 1er juin 2021 dans sa rédaction issue du décret du 7 août 2021 en tant qu'il ne permet pas aux personnes soumises à l'obligation vaccinale de continuer à exercer au-delà du 14 septembre 2021 sur la simple justification du résultat d'un examen de dépistage, d'un test ou d'un autotest d'au plus 72 heures, l'annulation de l'article 49-2 du décret du 1er juin 2021 dans sa rédaction issue du décret du 7 août 2021 en tant qu'il s'applique notamment aux personnes n'ayant aucun contact avec les patients et justifiant du résultat du même examen, test ou autotest et, à titre subsidiaire, l'annulation de l'ensemble du décret du 7 août 2021.

Sur la légalité externe :

3. Alors même que l'obligation vaccinale s'applique notamment à des professionnels de santé exerçant en milieu pénitentiaire, il ne résulte pas des dispositions des articles D. 368 et suivants du code de procédure pénale, invoqués par les requérants et en vigueur à la date du décret du 5 août 2021, que l'exécution de celui-ci comporte nécessairement des mesures réglementaires ou individuelles à signer ou contresigner par le garde des sceaux, ministre de la justice. Les requérants ne sont donc pas fondés à soutenir celui-ci aurait dû, pour ce motif, contresigner le décret attaqué.

Sur la légalité interne :

4. En premier lieu, les moyens tirés de ce que la loi du 5 août 2021 méconnaîtrait des principes constitutionnels ne peuvent être soulevés que dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité. Par une décision n° 457237 du 28 décembre 2021, le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel celle soulevée par les requérants. Par ailleurs, le règlement (UE) 2021/953 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2021, pris dans le cadre de l'article 21 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, n'est applicable qu'aux déplacements entre les Etats membres de l'Union européenne et ne porte pas atteinte aux compétences des Etats membres en matière de définition de la politique sanitaire, conformément au paragraphe 7 de l'article 168 du même traité. Par conséquent, les moyens tirés de ce qu'une obligation vaccinale telle que celle instituée par la loi du 5 août 2021 méconnaîtrait ce règlement sont inopérants.

5. En second lieu, à la date du décret du 5 août 2021, l'épidémie de covid-19 était en cours d'aggravation rapide par l'effet d'un nouveau variant du virus, devenu prépondérant, beaucoup plus contagieux et qui, selon les avis scientifiques alors disponibles, présentait plus de risques de causer des formes graves de la maladie. Entre la deuxième semaine de juillet et la première semaine d'août 2021, le taux d'incidence était passé de 41 pour 100 000 habitants à 236 pour 100 000, le nombre de nouvelles hospitalisations de 783 à 4 764, le nombre d'admissions en soins critiques de 154 à 1 086, le nombre de décès en établissement de 165 à 347.

6. Selon l'article 2-2 du décret du 1er juin 2021 auquel l'article 49-1 attaqué renvoie, le justificatif du statut vaccinal ne peut procéder que de l'administration " de l'un des vaccins contre la covid-19 ayant fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par la Commission européenne après évaluation de l'agence européenne du médicament ou dont la composition et le procédé de fabrication sont reconnus comme similaires à l'un de ces vaccins par l'Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé ". En vertu du règlement (CE) n° 507/2006 de la Commission du 29 mars 2006 relatif à l'autorisation de mise sur le marché conditionnelle de médicaments à usage humain relevant du règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, l'autorisation conditionnelle de mise sur le marché ne peut être accordée que si le rapport bénéfice/risque est positif. Il ressort des avis scientifiques alors disponibles que la vaccination offre une protection de l'ordre de 90% contre les formes graves de la maladie et réduit fortement les risques de transmission du virus. Dans ces conditions, les arguments des requérants concernant des effets indésirables de la vaccination ne sont pas de nature à montrer qu'ils en excéderaient les bénéfices.

7. En instituant l'obligation vaccinale notamment pour les professionnels de santé, que la Haute autorité de santé estimait indispensable dans son avis du 8 juillet 2021, le législateur a entendu protéger les personnes vulnérables et garantir la continuité des soins et d'autres services indispensables à ces mêmes personnes. Si les professionnels justifiant d'une contre-indication médicale reconnue peuvent continuer à exercer leur activité et si par ailleurs certains déplacements ou l'accès à certains lieux recevant du public étaient seulement soumis à la présentation d'un " passe sanitaire ", les requérants ne sauraient en déduire que l'obligation vaccinale serait inutile. Si l'obligation de vaccination s'applique aussi à des personnels qui ne sont pas nécessairement en contact direct avec les patients, il résulte de la définition des locaux où ils travaillent, telle que fixée par l'article 49-2 attaqué, qu'ils entretiennent nécessairement des interactions avec des professionnels de santé en contact avec ces patients. Le cas échéant, il appartiendrait au Gouvernement de faire usage du IV de l'article 12 de la loi du 5 août 2021, selon lequel un décret, pris après avis de la Haute Autorité de santé, peut, compte tenu de l'évolution de la situation épidémiologique et des connaissances médicales et scientifiques, suspendre l'obligation vaccinale pour tout ou partie des catégories de personnes qui en relèvent.

8. Selon l'article 14 de la loi du 5 août 2021, qui prévoit une entrée en vigueur progressive de l'obligation vaccinale, les personnes soumises à cette obligation pouvaient, jusqu'au 14 septembre 2021, continuer d'exercer leur activité sous réserve de présenter, non seulement un certificat de statut vaccinal, un certificat de rétablissement en cours de validité ou un certificat médical de contre-indication, mais aussi un résultat de test de dépistage virologique négatif en cours de validité. Jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, ils pouvaient, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifier de l'administration d'au moins une des doses requises sous réserve de présenter un résultat de test négatif. En outre, il résulte des dispositions du même article que l'interdiction d'exercer prend fin dès que la personne concernée remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité. En vertu des dispositions combinées de l'article 16 de la même loi et de l'article L. 3136-1 du code de la santé publique, la méconnaissance de l'interdiction d'exercer est punie de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe et, si les violations sont constatées à plus de trois reprises dans un délai de trente jours, de six mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende ainsi que de la peine complémentaire de travail d'intérêt général. Eu égard à ce qui a été dit aux points précédents, de telles conséquences ou sanctions n'ont pas un caractère disproportionné au regard de l'objectif poursuivi. Par suite, les requérants ne sont, en tout état de cause, pas fondés à soutenir que les dispositions attaquées auraient été prises pour l'application d'une législation incompatible avec le droit au respect de la vie privée et familiale ou avec le droit au consentement aux soins, ou portant une atteinte disproportionnée à ces droits, ou présentant un caractère discriminatoire.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ni une demande d'avis consultatif à la Cour européenne des droits de l'homme, que la requête doit être rejetée, y compris les conclusions aux fins d'injonction, celles tendant à l'application de l'article L. 761 du code de justice administrative et, en tout état de cause, celles relatives aux dépens.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. K... et autres est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. AG... K..., premier requérant dénommé, pour l'ensemble des requérants, et au ministre de la santé et de la prévention.

Copie en sera adressée à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 25 janvier 2023 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 3 mars 2023.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

La rapporteure :

Signé : Mme Isabelle Lemesle

La secrétaire :

Signé : Mme Naouel Adouane


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 457237
Date de la décision : 03/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 03 mar. 2023, n° 457237
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Isabelle Lemesle
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:457237.20230303
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