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02/03/2023 | FRANCE | N°458126

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 02 mars 2023, 458126


Vu la procédure suivante :

M. D... C... a demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision du 22 octobre 2019 par laquelle l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a mis fin à son statut de réfugié sur le fondement du 1° de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par une décision n° 20011938 du 2 septembre 2021, la Cour nationale du droit d'asile a annulé cette décision de l'OFPRA et rétabli le statut de réfugié de M. C....

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complém

entaire, enregistrés les 2 novembre 2021 et 3 février 2022 au secrétariat du conte...

Vu la procédure suivante :

M. D... C... a demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision du 22 octobre 2019 par laquelle l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a mis fin à son statut de réfugié sur le fondement du 1° de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par une décision n° 20011938 du 2 septembre 2021, la Cour nationale du droit d'asile a annulé cette décision de l'OFPRA et rétabli le statut de réfugié de M. C....

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 novembre 2021 et 3 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'OFPRA demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) de renvoyer l'affaire à la Cour nationale du droit d'asile.

L'OFPRA soutient que la Cour nationale du droit d'asile a entaché sa décision :

- d'erreur de droit et de dénaturation des pièces du dossier en écartant l'application de la clause de cessation du C de l'article 1er de la convention de Genève au motif que la présence de M. C... en Pologne et son souhait de se rapprocher des autorités consulaires russes ne pouvaient suffire à caractériser un acte d'allégeance auprès des autorités russes ;

- d'erreur de droit et de dénaturation des pièces du dossier en subordonnant la valeur probante des notes des services de renseignement à l'existence d'éléments précis, datés et circonstanciés de nature à établir l'engagement personnel de l'intéressé alors qu'un tel degré de précision n'est pas requis et que les notes étaient étayées ;

- d'inexacte qualification juridique des faits de l'espèce et de dénaturation des pièces du dossier en jugeant que M. C... ne représentait pas une menace pour la sûreté de l'Etat.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de L'OFPRA et à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de M. C... ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, devenu l'article L. 511-7 du même code, il est mis fin au statut de réfugié s'il existe des raisons sérieuses de considérer que la présence en France d'un réfugié constitue une menace grave pour la sûreté de l'Etat.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. C..., ressortissant russe d'origine tchétchène, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 20 décembre 2012. Par une décision du 22 octobre 2019, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a mis fin au statut de réfugié de M C... sur le fondement des dispositions mentionnées au point 1. L'OFPRA se pourvoit en cassation contre la décision du 2 septembre 2021 par laquelle la Cour nationale du droit d'asile a annulé sa décision et a rétabli le statut de réfugié de l'intéressé.

3. En premier lieu, il résulte de l'article L. 511-8 du même code que l'OFPRA met fin au statut de réfugié lorsque la personne concernée relève de l'une des clauses de cessation prévues à la section C de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951, notamment dans le cas où elle s'est volontairement réclamée à nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité.

4. L'OFPRA a demandé à la Cour nationale du droit d'asile, sur le fondement des dispositions et stipulations mentionnées au point 3, de juger que M. C... avait perdu la qualité de réfugié dès lors qu'il s'était rendu en Pologne afin de solliciter auprès de l'ambassade de Russie, par l'entremise d'un tiers, la délivrance de documents d'identité pour ses enfants mineurs. La Cour a refusé de faire droit à cette demande au motif que la démarche de M. C..., à laquelle il a finalement renoncé, visait à permettre à ses enfants de faire valoir leurs droits, à l'avenir, sur des biens familiaux en Tchétchénie et ne suffisait pas à caractériser un acte d'allégeance auprès des autorités de son pays.

5. Le fait, pour une personne ayant quitté son pays d'origine, de solliciter des autorités diplomatiques ou consulaires de ce pays, pour elle-même, la délivrance ou le renouvellement d'un passeport permet en principe de présumer que l'intéressé s'est volontairement réclamé de la protection de ses autorités nationales, sauf nécessité impérieuse justifiant une telle démarche. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point précédent, M. C... n'a pas sollicité des autorités russes qu'elles lui délivrent un passeport ou des documents d'identité. Par suite, la Cour nationale du droit d'asile n'a pas commis d'erreur de droit en s'abstenant de rechercher s'il existait une nécessité impérieuse justifiant la démarche de l'intéressé, de nature à renverser cette présomption. En estimant que cette démarche ne traduisait pas, en l'espèce, la volonté de M. C... de se réclamer de la protection des autorités russes, elle a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation.

6. En second lieu, en revanche, il ressort des pièces du dossier soumis à la Cour nationale du droit d'asile que M. C... est connu des services de renseignements depuis 2010 en raison de liens actifs et réguliers dans la mouvance islamiste radicale et avec des membres de l'organisation terroriste " Emirat du Caucase ". Ces services ont notamment relevé qu'il avait entretenu des liens étroits avec M. A... B..., qui a rejoint la zone irako-syrienne à l'été 2015, a intégré les rangs de l'Etat islamique et est présumé mort en 2016 et qu'il appartenait à un groupe de ressortissants tchétchènes liés à la mouvance djihadiste se réunissant régulièrement dans un local à Strasbourg. Il ressort des énonciations mêmes de la décision attaquée qu'il a été contrôlé à plusieurs reprises à bord de véhicules en compagnie de personnes liées à l'Emirat du Caucase, dont le frère de M. B.... Enfin, il ressort du compte rendu de son entretien devant l'OFPRA que M. C... s'est borné à nier l'existence d'un groupe et d'un local dans lequel il se réunirait et a tenu des propos évasifs, confus et contradictoires sur la réalité et l'intensité de ses liens avec les personnes mentionnées dans la note blanche des services de renseignement, témoignant manifestement d'une volonté de dissimulation. Dans ces conditions, et alors même que M. C... n'a fait l'objet d'aucune poursuite pénale et que les documents produits par l'OFPRA ne font pas apparaître d'agissements à caractère terroriste qu'il aurait lui-même commis, la Cour nationale du droit d'asile a inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant qu'il n'existait pas de raisons sérieuses de penser que M. C... représentait une menace grave pour la sûreté de l'Etat.

7. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, l'OFPRA est fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'OFPRA, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision du 2 septembre 2021 de la Cour nationale du droit d'asile est annulée.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la Cour nationale du droit d'asile.

Article 3 : Les conclusions de M. C... présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Office français de protection des réfugiés et apatride et à M. D... C....

Délibéré à l'issue de la séance du 25 janvier 2023 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; M. Alexandre Lallet, conseiller d'Etat et M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 2 mars 2023.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

Le rapporteur :

Signé : M. Bruno Delsol

La secrétaire :

Signé : Mme Naouel Adouane


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 458126
Date de la décision : 02/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 02 mar. 2023, n° 458126
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bruno Delsol
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL ; SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:458126.20230302
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