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01/03/2023 | FRANCE | N°442224

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 01 mars 2023, 442224


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 442224, par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 27 juillet, 31 août 2020, 21 octobre 2020 et 24 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société européenne (SE) Schneider Electric et les sociétés anonymes (SA) Axa, BNP Paribas, Engie et Orange demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les commentaires administratifs publiés dans la documentation de base le 1er novembre 1995 sous les références 4 J 1321 et 4 J 1322 ;

2°) d'

annuler pour excès de pouvoir l'instruction n°4 J-1-01 du 21 mars 2001, publiée au bul...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 442224, par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 27 juillet, 31 août 2020, 21 octobre 2020 et 24 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société européenne (SE) Schneider Electric et les sociétés anonymes (SA) Axa, BNP Paribas, Engie et Orange demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les commentaires administratifs publiés dans la documentation de base le 1er novembre 1995 sous les références 4 J 1321 et 4 J 1322 ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction n°4 J-1-01 du 21 mars 2001, publiée au bulletin officiel des impôts n° 62 le 30 mars 2001 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 442248, par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 juillet et 4 septembre 2020 et 30 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société anonyme (SA) L'Air Liquide pour l'étude et l'exploitation des procédés George Claude (société L'Air Liquide) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les commentaires administratifs publiés dans la documentation de base le 1er novembre 1995 sous les références 4 J 1321 et 4 J 1322 ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction n°4 J-1-01 du 21 mars 2001, publiée au bulletin officiel des impôts n° 62 le 30 mars 2001 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le traité sur l'Union européenne et le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'arrêt C-556/20 de la Cour de justice de l'Union européenne du 12 mai 2022 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François-René Burnod, auditeur,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes présentées, d'une part, par les sociétés Schneider Electric, Axa, BNP Paribas, Engie et Orange, d'autre part, par la société L'Air Liquide tendent l'une et l'autre à l'annulation pour excès de pouvoir des commentaires administratifs contenus dans la documentation de base publiée le 1er novembre 1995 sous les références 4 J 1321 et 4 J 1322 ainsi que dans l'instruction 4 J-1-01 du 21 mars 2001, publiée le 30 du même mois au bulletin officiel des impôts, relatifs au précompte mobilier institué par l'article 223 sexies du code général des impôts. Il y a lieu de joindre ces requêtes pour y statuer par une même décision.

2. Par une décision avant dire droit du 12 mai 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur les requêtes des sociétés Schneider Electric Axa, BNP Paribas, Engie et Orange et de la société l'Air Liquide, après avoir jugé que la société BNP Paribas ne justifiait pas d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre ces commentaires et écarté les autres fins de non-recevoir opposées par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne ait statué à titre préjudiciel sur les questions qu'il lui a renvoyées.

3. Dans sa rédaction applicable tant au 1er novembre 1995 qu'au 21 mars 2001, l'article 158 bis du code général des impôts prévoit que les personnes qui reçoivent des dividendes distribués par des sociétés françaises disposent à ce titre d'un revenu constitué par les sommes qu'elles reçoivent de la société distributrice et par un avoir fiscal représenté par un crédit ouvert sur le Trésor. Ce crédit d'impôt égal à la moitié des sommes effectivement versées, ne peut être utilisé que dans la mesure où le revenu est compris dans la base de l'impôt sur le revenu dû par le bénéficiaire. L'article 216 du même code prévoit par ailleurs que : " Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci (...) ". Aux termes, en outre, du premier alinéa du 1 de l'article 223 sexies de ce code, dans sa rédaction issue de l'article 98 de la loi du 30 décembre 1991 de finances pour 1992, non modifiée en substance dans la version issue de la loi de finances pour 2000 du 30 décembre 1999 : " (...) lorsque les produits distribués par une société sont prélevés sur des sommes à raison desquelles elle n'a pas été soumise à l'impôt sur les sociétés au taux normal (...), cette société est tenue d'acquitter un précompte égal au montant du crédit prévu à l'article 158 bis et attaché à ces distributions. Ce précompte est dû quels que soient les bénéficiaires des distributions ". Enfin, aux termes du 2 de l'article 146 du même code, avant son abrogation par l'article 93 de la loi du 30 décembre 2003 de finances pour 2004 : " Lorsque les distributions auxquelles procède une société mère donnent lieu à l'application du précompte prévu à l'article 223 sexies, ce précompte est diminué, le cas échéant, du montant des crédits d'impôts qui sont attachés aux produits des participations (...), encaissés au cours des exercices clos depuis cinq ans au plus ".

4. Les requérantes contestent les commentaires administratifs attaqués au motif qu'ils réitèrent les dispositions de l'article 223 sexies du code général des impôts, selon lesquelles lorsque les produits distribués par une société sont prélevés sur des sommes à raison desquelles elle n'a pas été soumise à l'impôt sur les sociétés au taux normal, cette société est tenue d'acquitter un précompte, qui seraient elles-mêmes contraires à des normes juridiques supérieures en ce qu'elles ne prévoient pas une exception à la règle qu'elles posent en cas de redistribution de produits de filiales ayant ouvert droit à l'application du régime des sociétés mères prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts. Eu égard à cette argumentation, les requérantes doivent être regardées comme demandant seulement l'annulation de la première phrase du paragraphe 22, du paragraphe 24 et de la première phrase du paragraphe 25 de la documentation de base publiée le 1er novembre 1995 sous la référence 4 J 1321, du paragraphe 35, de la première phrase du paragraphe 45, de la cinquième phrase du paragraphe 53 et de l'annexe I de la documentation de base publiée le même jour sous la référence 4 J 1322 et du paragraphe 24 de l'instruction publiée au bulletin officiel des impôts le 30 mars 2001 sous la référence 4J-1-01.

5. Aux termes de l'article 4 de la directive du Conseil du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents : " 1. Lorsqu'une société mère reçoit, à titre d'associée de sa société filiale, des bénéfices distribués autrement qu'à l'occasion de la liquidation de celle-ci, l'État de la société mère : / - soit s'abstient d'imposer ces bénéfices, /- soit les impose, tout en autorisant cette société à déduire du montant de son impôt la fraction de l'impôt de la filiale afférente à ces bénéfices et, le cas échéant, le montant de la retenue à la source perçue par l'État membre de résidence de la filiale en application des dispositions dérogatoires de l'article 5, dans la limite du montant de l'impôt national correspondant. / 2. Toutefois, tout État membre garde la faculté de prévoir que des charges se rapportant à la participation et des moins-values résultant de la distribution des bénéfices de la société filiale ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère. Si, dans ce cas, les frais de gestion se rapportant à la participation sont fixés forfaitairement, le montant forfaitaire ne peut excéder 5 % des bénéfices distribués par la société filiale. (...) ". Le paragraphe 2 de l'article 7 de cette même directive précisait qu'elle n'affectait pas l'application de dispositions nationales ou conventionnelles visant à supprimer ou à atténuer la double imposition économique des dividendes, en particulier les dispositions relatives au paiement de crédits d'impôt aux bénéficiaires de dividendes.

6. Par un arrêt du 12 mai 2022, Schneider Electric et autres (C-556/20), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le paragraphe 1 de l'article 4 de la directive du Conseil du 23 juillet 1990 devait être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui prévoit qu'une société mère est redevable d'un précompte en cas de redistribution à ses actionnaires de bénéfices versés par ses filiales lorsque ces bénéfices n'ont pas supporté l'impôt sur les sociétés au taux de droit commun, dès lors que les sommes dues au titre de ce précompte dépassent le plafond de 5 % prévu au paragraphe 2 de ce même article 4. La Cour de justice de l'Union européenne a également jugé qu'une telle réglementation, alors même qu'elle ne s'appliquerait que lorsque la redistribution ouvre droit à un avoir fiscal, ne relevait pas des stipulations du paragraphe 2 de l'article 7 de cette même directive.

7. Il en résulte que les dispositions de l'article 223 sexies du code général des impôts, en vertu desquelles donnent lieu à acquittement du précompte mobilier les distributions prélevées sur des sommes non soumises à l'impôt sur les sociétés au taux normal, sont incompatibles avec le paragraphe 1 de l'article 4 de la directive du Conseil du 23 juillet 1990 en tant qu'elles s'appliquent à la redistribution de dividendes en provenance de filiales établies dans un Etat membre de l'Union européenne autre que la France et bénéficiant du régime des sociétés mères. Les sociétés requérantes sont, par suite, fondées à soutenir que les paragraphes des commentaires administratifs qu'elles attaquent réitèrent des dispositions incompatibles avec le droit de l'Union européenne.

8. Dès lors, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens qu'elles soulèvent, les sociétés requérantes sont fondées à demander pour ce motif l'annulation des énonciations qu'elles contestent des commentaires administratifs en litige.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Schneider Electric et autres, d'une part, et à la société l'Air Liquide, d'autre part, de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La première phrase du paragraphe 22, le paragraphe 24 et la première phrase du paragraphe 25 de la documentation de base publiée le 1er novembre 1995 sous la référence 4 J 1321, le paragraphe 35, la première phrase du paragraphe 45, la cinquième phrase du paragraphe 53 et l'annexe I de la documentation de base publiée le même jour sous la référence 4 J 1322 ainsi que paragraphe 24 de l'instruction publiée au bulletin officiel des impôts le 30 mars 2001 sous la référence 4J-1-01 sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la société Schneider Electric et autres et une somme de 3 000 euros à la société L'Air Liquide, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société européenne Schneider Electric, première dénommée, à la société L'Air Liquide pour l'étude et l'exploitation des procédés George Claude, et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 février 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Pierre Collin, M. Stéphane Verclytte, présidents de chambre ; Mme Françoise Tomé, M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat et M. François-René Burnod, auditeur-rapporteur.

Rendu le 1er mars 2023.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. François-René Burnod

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 442224
Date de la décision : 01/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 01 mar. 2023, n° 442224
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. François-René Burnod
Rapporteur public ?: M. Romain Victor

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:442224.20230301
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