La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/02/2023 | FRANCE | N°462425

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 17 février 2023, 462425


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 mars et 27 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société par actions simplifiée Amgen demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 17 janvier 2022 modifiant la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux prévue à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, en tant qu'il subordonne la prise en charge et le remboursement de la spécialité Prolia à une prescription initiale par u

n médecin spécialiste dans la prise en charge de l'ostéoporose (notamment rhumatol...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 mars et 27 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société par actions simplifiée Amgen demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 17 janvier 2022 modifiant la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux prévue à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, en tant qu'il subordonne la prise en charge et le remboursement de la spécialité Prolia à une prescription initiale par un médecin spécialiste dans la prise en charge de l'ostéoporose (notamment rhumatologue, gynécologue, gériatre et interniste) ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 17 janvier 2022 modifiant la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l'usage des collectivités et divers services publics prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, dans la même mesure qu'au 1°) ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice,

- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, les spécialités pharmaceutiques ne peuvent être prises en charge ou donner lieu à remboursement par les caisses d'assurance maladie, lorsqu'elles sont dispensées en officine, que si elles figurent sur une liste établie, selon l'article R. 163-2 du même code, par arrêté conjoint du ministre chargé de la santé et du ministre chargé de la sécurité sociale. En vertu de l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, l'achat, la fourniture, la prise en charge et l'utilisation de ces spécialités par les collectivités publiques sont limités aux produits agréés dont la liste est établie par arrêté des mêmes ministres. L'inscription sur ces listes est prononcée après avis de la commission de la transparence, de même que la modification des conditions d'inscription sur ces listes. Elle peut en outre, en vertu des mêmes dispositions législatives, être assortie de conditions concernant la qualification ou la compétence des prescripteurs et, en vertu de l'article R. 163-2 du code de la sécurité sociale, être assortie, pour certains médicaments particulièrement coûteux, unitairement ou au regard des dépenses globales représentées, et d'indications précises, d'une clause prévoyant qu'ils ne sont remboursés ou pris en charge qu'après information du contrôle médical, selon la procédure dite des " médicaments d'exception ".

2. Il ressort des pièces du dossier que la spécialité Prolia 60 mg (denosumab), solution injectable, a obtenu une autorisation de mise sur le marché le 28 mai 2010 pour le traitement de l'ostéoporose chez les femmes ménopausées à risque élevé de fractures. Elle a été inscrite sur les listes mentionnées au point 1 par deux arrêtés du 23 septembre 2013 des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, pour une indication limitée au traitement de l'ostéoporose chez les femmes ménopausées à risque élevé de fracture en deuxième intention, en relais d'un traitement par bisphosphonates, après un avis de la commission de la transparence du 14 décembre 2011. Ce dernier demandait que la société requérante réalise une étude post-inscription afin " de fournir des données dans une population représentative de femmes ostéoporotiques traitées (quel que soit le traitement) sur la place prise par Prolia dans la stratégie thérapeutique et d'apporter des éléments sur l'efficacité anti-fracturaire, l'observance et la tolérance à long terme en vie réelle ". Les résultats de cette étude ont été transmis à la commission de la transparence le 28 mars 2019. Il a alors été procédé à une réévaluation de la spécialité qui a donné lieu à la publication, le 16 septembre 2020, d'un avis favorable au maintien de sa prise en charge dans la même indication que celle initialement retenue, assorti des recommandations de réserver sa prescription initiale aux médecins spécialistes dans la prise en charge de l'ostéoporose (notamment rhumatologues, gynécologues, gériatres et internistes) et de la soumettre au régime du médicament d'exception. S'appropriant ces recommandations, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont, par deux arrêtés du 17 janvier 2022, modifié les conditions d'inscription de la spécialité Prolia sur ces deux points. La société Amgen demande l'annulation pour excès de pouvoir de ces deux arrêtés, en tant qu'ils subordonnent la prise en charge et le remboursement de la spécialité Prolia à une prescription initiale par un médecin spécialiste dans la prise en charge de l'ostéoporose.

Sur la légalité externe des arrêtés attaqués :

3. Aux termes du I de l'article R. 163-13 du code de la sécurité sociale : " Le ministre chargé de la sécurité sociale et le ministre chargé de la santé informent l'entreprise qui exploite le médicament (...) de leur intention de radier un médicament des listes prévues au premier alinéa de l'article L. 162-17 du présent code et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique ou de restreindre les conditions d'inscription de la spécialité sur ces listes. / (...) l'entreprise qui exploite le médicament peut présenter des observations écrites à la commission prévue à l'article R. 163 15 ", c'est-à-dire à la commission de la transparence, " dans les vingt jours suivant la réception de cette information ". En vertu du III de l'article R. 163-16 du même code, lorsqu'un avis de la commission de la transparence porte sur la modification des conditions d'inscription d'un médicament sur la liste prévue au premier alinéa de l'article L. 162-17 de ce code ou sur celle prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, " cet avis est immédiatement communiqué à l'entreprise qui exploite le médicament. / L'entreprise peut, dans les dix jours suivant la réception de cet avis, demander à être entendue par la commission ou lui adresser des observations écrites. La commission peut modifier son avis compte tenu des observations présentées. / (...) L'avis définitif est communiqué à l'entreprise (...). Il est rendu public ".

4. En premier lieu, il ne résulte ni de l'article R. 163-16 du code de la sécurité sociale ni d'aucune autre disposition que la commission de la transparence devrait informer l'entreprise qui exploite un médicament de son intention de procéder à sa réévaluation. Au demeurant, la société requérante ne saurait soutenir qu'elle ignorait cette intention alors que, d'une part, la commission de la transparence lui avait, dès son avis du 14 décembre 2011, demandé de réaliser une étude post-inscription, dont elle avait de nouveau sollicité les résultats définitifs dans un avis de réévaluation du 25 juillet 2018 et que, d'autre part, la société requérante avait déposé, le 4 février 2019, une demande de renouvellement d'inscription quinquennal. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les arrêtés litigieux seraient irréguliers, faute pour la commission de la transparence de l'avoir informée de son intention de procéder à une nouvelle évaluation de la spécialité Prolia.

5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que la société requérante a été informée le 20 octobre 2021 de l'intention des ministres de suivre l'avis de la commission de la transparence du 16 septembre 2020. Elle a adressé, en application de l'article R. 163-13 du code de la sécurité sociale, des observations écrites le 10 novembre 2021 à cette commission, qu'elle a également transmises aux ministres. Ces observations ne contenant aucun élément nouveau justifiant que la commission de la transparence se prononce à nouveau, les ministres ont pu légalement prendre les arrêtés litigieux en s'appropriant le sens de l'avis du 16 septembre 2020 de cette commission, le délai qui s'est écoulé entre cet avis et la date d'édiction des arrêtés litigieux n'imposant pas par lui-même, et alors qu'aucun changement de circonstance de fait ou de droit n'est invoqué, qu'elle soit à nouveau saisie. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les arrêtés litigieux, qui visent les observations produites le 10 novembre 2021, ont été pris au terme d'une procédure irrégulière.

6. En dernier lieu, la société requérante ne saurait utilement soutenir, par voie d'exception, que les dispositions de l'article R. 163-13 du code de la sécurité sociale méconnaîtraient les dispositions de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration, relatives à l'obligation d'instaurer une procédure contradictoire dans le cadre de décisions administratives individuelles défavorables, ou en tout état de cause le principe général des droits de la défense, les arrêtés litigieux ayant un caractère règlementaire.

Sur la légalité interne des arrêtés attaqués :

7. Comme il a été dit, les ministres compétents, en décidant de subordonner la prise en charge de la spécialité Prolia à une primo-prescription par un médecin spécialiste, se sont appropriés les recommandations émises dans son avis du 16 septembre 2020 par la commission de la transparence. Ce dernier était en premier lieu fondé sur les résultats de l'étude post-inscription réalisée par la société requérante, qui ont mis en évidence une non-conformité importante de la prescription au périmètre de remboursement établi par la commission de la transparence lors de son évaluation initiale, alors que le service médical rendu de la spécialité est insuffisant en dehors de ce périmètre. Il l'était également sur les spécificités de la spécialité, en particulier sa nature particulière d'anticorps monoclonal, son mode d'administration consistant en une injection sous-cutanée, ainsi que sa position dans la stratégie thérapeutique en deuxième intention après un traitement par des bisphosphonates, le risque de fractures vertébrales multiples à l'interruption du traitement impliquant une attention particulière sur l'observance et la nécessité d'un relais par bisphosphonates après arrêt du traitement.

8. De première part, la circonstance que l'objectif initial de l'étude post-inscription n'ait pas été d'étudier la conformité de la prescription au périmètre de remboursement en fonction des types de prescripteurs ne faisait pas obstacle à ce que la commission de la transparence tienne compte de l'ensemble des résultats de cette étude, notamment de ceux qui mettaient en évidence une non-conformité importante de la prescription au périmètre de remboursement. Les ministres pouvaient ainsi légalement s'approprier sa recommandation, émise au regard non seulement du risque de mésusage identifié mais également des spécificités intrinsèques de la spécialité Prolia, que la primo-prescription soit faite par un médecin spécialiste. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'ils ont, ce faisant, commis une erreur manifeste d'appréciation.

9. De deuxième part, il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 162-7 et R. 163-2 du code de la sécurité sociale que les ministres pouvaient, au vu du risque de mésusage identifié et des spécificités intrinsèques de la spécialité Prolia, assortir son inscription sur les listes mentionnées au point 1 à la fois de conditions concernant la qualification ou la compétence des prescripteurs et d'une clause soumettant cette spécialité au régime du médicament d'exception.

10. De troisième part, en décidant que la prise en charge de la spécialité Prolia devait être limitée au traitement des patientes dont l'état de santé l'exige et en la subordonnant en conséquence à une première prescription par un médecin spécialiste de l'ostéoporose, les ministres, eu égard au risque accru de prescription inadéquate en cas de première prescription par un autre médecin et alors même que le rôle des médecins généralistes dans la prise en charge de ces patientes serait encouragé et que le nombre de médecins rhumatologues libéraux, qui ne sont au demeurant pas les seuls médecins spécialistes pouvant réaliser une première prescription, serait faible sur une partie du territoire, n'ont en tout état de cause pas méconnu le droit à la protection de la santé garanti par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et par l'article L. 1110-1 du code de la santé publique.

11. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que les arrêtés litigieux soumettraient la spécialité Prolia à des conditions de remboursement manifestement disproportionnées au regard des conditions de remboursement retenues pour ceux de ses comparateurs pertinents dont les spécificités intrinsèques et la position dans la stratégie thérapeutique sont comparables et, par suite, méconnaîtraient les principes d'égalité et de libre concurrence.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation des arrêtés qu'elle attaque. Ses conclusions, y compris celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent dès lors être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la société Amgen est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Amgen et au ministre de la santé et de la prévention

Copie en sera adressée à la Haute Autorité de santé.

Délibéré à l'issue de la séance du 25 janvier 2023 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, présidente de chambre ; M. Alain Seban, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi et M. Alban de Nervaux, conseillers d'Etat et Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice-rapporteure.

Rendu le 17 février 2023.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

La rapporteure :

Signé : Mme Ariane Piana-Rogez

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 462425
Date de la décision : 17/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 17 fév. 2023, n° 462425
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Ariane Piana-Rogez
Rapporteur public ?: M. Mathieu Le Coq

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:462425.20230217
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award