La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/02/2023 | FRANCE | N°461212

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 17 février 2023, 461212


Vu la procédure suivante :

Mme B... E... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet opposée par le maire de Fontenay-sous-Bois à sa demande, présentée le 23 septembre 2019, tendant au retrait du permis de construire délivré le 22 mai 2018 à M. et Mme D... et à ce qu'il soit enjoint au maire de cette commune de retirer ce permis de construire dans un délai d'un mois. Par un jugement n° 2000758 du 17 décembre 2021, le tribunal administratif de Melun a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire et un

mémoire complémentaire, enregistrés les 8 février et 5 mai 2022 au secréta...

Vu la procédure suivante :

Mme B... E... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet opposée par le maire de Fontenay-sous-Bois à sa demande, présentée le 23 septembre 2019, tendant au retrait du permis de construire délivré le 22 mai 2018 à M. et Mme D... et à ce qu'il soit enjoint au maire de cette commune de retirer ce permis de construire dans un délai d'un mois. Par un jugement n° 2000758 du 17 décembre 2021, le tribunal administratif de Melun a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 8 février et 5 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme E... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Fontenay-sous-Bois la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice,

- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de Mme E..., à la SCP Gadiou, Chevallier, avocat de la commune de Fontenay-sous-Bois et à la SCP Poupet et Kacenelenbogen, avocat de M. et Mme D... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 25 janvier 2023, présentée par M. et Mme D... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un acte authentique signé le 3 août 2017, Mme E... a vendu aux époux D... une parcelle cadastrée section BT n° 163 de 370 m², issue de la division en deux lots, en août 2016, de la parcelle initialement cadastrée section BT n° 70 de 874 m² lui appartenant. Par un compromis de vente signé le même jour, les époux D... se sont engagés à revendre à Mme E..., une fois achevée la construction envisagée sur la parcelle ainsi acquise, une bande de terrain de 100 m², jouxtant le lot dont elle avait conservé la propriété, et sur laquelle l'acte de vente de la parcelle lui ouvrait d'ores et déjà un droit de jouissance exclusif pour une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans. Par arrêté du 22 mai 2018, le maire de Fontenay-sous-Bois a délivré aux époux D... un permis de construire une maison unifamiliale de deux logements sur la parcelle ainsi acquise, puis, par arrêté du 6 décembre 2019, un permis modificatif. La conformité des travaux avec ces permis a été attestée par le maire le 20 juillet 2020, à la demande de M. et Mme D..., qui en avaient déclaré l'achèvement le 19 mai 2020. Entre-temps, toutefois, par une lettre du 19 septembre 2019, reçue le 23 septembre 2019, Mme E... a demandé au maire le retrait de l'arrêté du 22 mai 2018 au motif qu'il avait été obtenu selon elle par fraude. Mme E... se pourvoit en cassation contre le jugement du 17 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa contestation du refus implicitement opposé par le maire à sa demande.

2. D'une part, lorsque l'autorité saisie d'une demande de permis de construire vient à disposer, au moment où elle statue, sans avoir à procéder à une mesure d'instruction lui permettant de les recueillir, d'informations de nature à établir son caractère frauduleux, il lui revient de refuser la demande de permis pour ce motif. A ce titre, si un acte de droit privé opposable aux tiers, tel qu'un acte ou un compromis de vente, est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient à l'administration, en cas de tentative de fraude en vue d'obtenir un permis de construire, d'y faire échec, alors même qu'est en cause un acte de droit privé. Un tiers justifiant d'un intérêt pour agir et saisissant dans le délai de recours le juge de l'excès de pouvoir d'une demande recevable en ce sens est fondé à demander l'annulation du permis de construire qui aurait été accordé dans un tel cas. La fraude, dont le juge de l'excès de pouvoir apprécie l'existence à la date du permis de construire, est caractérisée lorsqu'il ressort des pièces du dossier, y compris le cas échéant au vu d'éléments dont l'administration n'avait pas connaissance à cette date, que le pétitionnaire a eu l'intention de tromper l'administration ou s'est livré à des manœuvres en vue d'obtenir un permis de construire indu.

3. D'autre part, si, ainsi que le prévoit désormais l'article L. 241-2 du code des relations entre le public et l'administration, la circonstance qu'un acte administratif a été obtenu par fraude permet à l'autorité administrative compétente de l'abroger ou de le retirer à tout moment, sans qu'y fassent obstacle, s'agissant d'un permis de construire, les dispositions de l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme, selon lesquelles une telle décision ne peut faire l'objet d'aucun retrait, elle ne saurait, en revanche, proroger le délai du recours contentieux contre cette décision. Toutefois, un tiers justifiant d'un intérêt à agir est recevable à demander, dans le délai du recours contentieux, l'annulation de la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé de faire usage de son pouvoir d'abroger ou de retirer un acte administratif obtenu par fraude, quelle que soit la date à laquelle il l'a saisie d'une demande à cette fin. Dans un tel cas, il incombe au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de vérifier la réalité de la fraude alléguée à la date du permis de construire puis, en cas de fraude, de contrôler que l'appréciation de l'administration sur l'opportunité de procéder ou non à l'abrogation ou au retrait n'est pas entachée d'erreur manifeste, compte tenu notamment de la gravité de la fraude et des atteintes aux divers intérêts publics ou privés en présence susceptibles de résulter soit du maintien de l'acte litigieux soit de son abrogation ou de son retrait.

4. En l'espèce, il ressort des énonciations du jugement attaqué que, pour écarter l'existence d'une fraude, le tribunal administratif s'est fondé sur la circonstance, d'une part, que les époux D... étaient propriétaires de la totalité de la parcelle de 370 m² à la date de dépôt de leur demande de permis de construire, d'autre part, que le compromis de vente portant sur la bande de 100 m² était assorti d'une condition suspensive, à savoir l'achèvement de la construction envisagée, laquelle n'était intervenue que le 19 mai 2020, soit postérieurement au refus du maire de retirer le permis de construire, en relevant qu'il n'était d'ailleurs pas établi qu'à la date de son jugement l'acte de vente définitif ait été passé. En se fondant sur ces seuls éléments, sans rechercher si, comme Mme E... le faisait valoir, la concomitance de l'acte de vente et du compromis de vente contraire conclus le même jour et la combinaison de leurs stipulations ne révélaient pas, en l'espèce, une manœuvre destinée, aux seules fins d'obtenir un permis de construire indu, à présenter à l'administration une demande pour un terrain d'assiette dont la surface et les caractéristiques étaient différentes de celles du terrain réellement envisagé pour asseoir la construction, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.

5. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, que Mme E... est fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Fontenay-sous-Bois une somme de 3 000 euros à verser à Mme E..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de Mme E... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du 17 décembre 2021 du tribunal administratif de Melun est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Melun.

Article 3 : La commune de Fontenay-sous-Bois versera une somme de 3 000 euros à Mme E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de M. et Mme D... et de la commune de Fontenay-sous-Bois présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B... E..., à M. C... D... et Mme A... D... et à la commune de Fontenay-sous-Bois.

Délibéré à l'issue de la séance du 25 janvier 2023 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes et Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Alain Seban, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux et M. Jérôme Marchand-Arvier, conseillers d'Etat et Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice-rapporteure.

Rendu le 17 février 2023.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

La rapporteure :

Signé : Mme Ariane Piana-Rogez

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 461212
Date de la décision : 17/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 17 fév. 2023, n° 461212
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Ariane Piana-Rogez
Rapporteur public ?: M. Mathieu Le Coq
Avocat(s) : SCP DELAMARRE, JEHANNIN ; SCP GADIOU, CHEVALLIER ; SCP POUPET et KACENELENBOGEN

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:461212.20230217
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award