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14/02/2023 | FRANCE | N°461247

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 14 février 2023, 461247


Vu la procédure suivante :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 4 avril 2016 par laquelle le directeur de l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger (AEFE) a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, de mettre à la charge de l'AEFE une somme de 30 000 euros en réparation des préjudices d'ordre financier et moral qu'elle estime résulter de cette décision, d'enjoindre au directeur de l'AEFE de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et de mettre à la charge de l'AEFE une som

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Vu la procédure suivante :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 4 avril 2016 par laquelle le directeur de l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger (AEFE) a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, de mettre à la charge de l'AEFE une somme de 30 000 euros en réparation des préjudices d'ordre financier et moral qu'elle estime résulter de cette décision, d'enjoindre au directeur de l'AEFE de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et de mettre à la charge de l'AEFE une somme de 30 000 euros au titre du préjudice moral ainsi qu'une somme de 10 000 euros au titre du préjudice financier résultant pour elle du harcèlement moral dont elle estime avoir fait l'objet. Par un jugement n°s 1608933, 1609725 du 19 avril 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.

Par un arrêt n° 17PA02204 du 9 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel dirigé par Mme C... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 8 février et 6 mai 2022, Mme B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Autret, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme A... C... et à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat de l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A... B... a été recrutée le 27 janvier 2009 par l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger (AEFE) en tant qu'agent non titulaire, d'abord par plusieurs contrats à durée déterminée puis par un contrat à durée indéterminée à compter du 26 janvier 2015. Le 16 janvier 2015, elle a été nommée responsable audiovisuelle, responsable iconographique et des productions audiovisuelles au sein du service communication et événements de l'agence. Le 23 décembre 2015, elle a adressé à la directrice de l'AEFE une demande de protection fonctionnelle en raison de faits de harcèlement moral qu'elle estimait avoir subis, de mars à décembre 2015, de la part de son chef de service, demande qui a fait l'objet d'une décision de refus par un courrier du directeur de l'AEFE en date du 4 avril 2016. Mme B... a adressé deux demandes indemnitaires préalables à l'AEFE le 22 juin 2016. Elle a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 4 avril 2016, de mettre à la charge de l'AEFE une somme de 30 000 euros en réparation des préjudices d'ordre financier et moral qu'elle estime résulter de cette décision, d'enjoindre au directeur de l'AEFE de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et de mettre à la charge de l'AEFE une somme de 30 000 euros au titre du préjudice moral ainsi qu'une somme de 10 000 euros au titre du préjudice financier résultant pour elle du harcèlement moral dont elle estime avoir fait l'objet. Par un jugement du 19 avril 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes. Mme C... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 9 décembre 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle a formé contre ce jugement.

Sur le pourvoi :

2. D'une part, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires applicable au litige, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ". Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

3. D'autre part, aux termes des dispositions du troisième alinéa de l'article 11 de la même loi dans sa version applicable au litige, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article L. 134-5 du code général de la fonction publique : " La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ". Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'appui de sa demande d'annulation de la décision du 4 avril 2016 refusant de lui octroyer la protection fonctionnelle demandée à raison du harcèlement moral dont elle soutenait avoir été victime, Mme C... invoquait en premier lieu un traitement inégalitaire ressortant de la charge de travail qui lui aurait été imposée et du nombre insuffisant de jours de récupération qui lui ont été accordés, comparativement à ses collègues de l'équipe à laquelle elle appartenait, à la suite de la réalisation des manifestations en lien avec les 25 ans de l'AEFE, ainsi que de la mise en place d'un nouvel organigramme de son service emportant rétrogradation, en deuxième lieu le comportement à son égard de son chef de service, se caractérisant notamment par la tenue de propos virulents, des instructions contradictoires, la multiplication d'entretiens professionnels organisés à quelques jours d'intervalle, l'établissement d'un rapport calomnieux ou l'incident survenu le 10 décembre 2015, divers certificats médicaux attestant selon elle du lien entre la dégradation de son état de santé et la souffrance au travail résultant des agissements de son supérieur hiérarchique, et faisait valoir en troisième lieu que ces faits avaient conduit l'AEFE à lui accorder plusieurs autorisations d'absence et à lui proposer divers postes pour la protéger de ces agissements, et à lui accorder en définitive la protection fonctionnelle, en 2018, dans le cadre de la procédure pénale qu'elle a engagée à l'encontre de l'intéressé.

5. Si la circonstance que l'AEFE a décidé en 2018 de lui accorder la protection fonctionnelle ne suffit pas à elle seule à faire présumer l'existence du harcèlement moral invoqué, et si c'est sans dénaturation que la cour a jugé que les éléments constitutifs selon Mme C... d'un traitement inégalitaire n'étaient pas établis, les autres éléments qu'elle invoquait étaient en revanche susceptibles de faire présumer l'existence de ce harcèlement moral. Il s'ensuit qu'en jugeant que tel n'était pas le cas, la cour a dénaturé les pièces du dossier soumis à son examen. Mme C... est donc fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur le règlement au fond du litige :

7. Il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit au point 5, que les éléments invoqués par Mme C..., à l'exception de ceux relatifs au traitement inégalitaire dont elle soutient avoir fait l'objet, qui ne sont pas établis, sont susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral. Toutefois, d'une part, si le comportement managérial du supérieur hiérarchique de la requérante n'est pas exempt de reproches, il ressort des pièces du dossier, ainsi que l'AEFE le fait valoir en défense, que les propos déplacés qu'il a tenus le 10 décembre 2015 revêtent le caractère d'un incident isolé, et que, eu égard au comportement professionnel et à la manière de servir de Mme C..., qui avaient déjà fait l'objet d'appréciations critiques de la part de sa précédente supérieure hiérarchique, les autres agissements qu'elle invoque à son encontre ne peuvent être regardés comme ayant excédé les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. D'autre part, l'AEFE établit également que les autorisations d'absence dont Mme C... a bénéficié à compter du 11 décembre 2015, décidées d'un commun accord avec elle et qui se sont avérées sans incidence sur sa rémunération, et les propositions qui lui ont été faites d'un congé de formation, qu'elle a au demeurant refusé, puis de différents postes à l'AEFE, comme le soutien apporté à sa candidature au sein de l'Institut français, procédaient du souci de mettre un terme aux tensions professionnelles résultant pour l'essentiel du comportement de l'intéressée elle-même. Enfin, les certificats médicaux produits par Mme C..., s'ils attestent d'une souffrance au travail, ne permettent pas d'établir qu'elle découlerait d'un harcèlement moral à son encontre. Dans ces conditions, l'AEFE doit être regardée comme établissant que les agissements dénoncés par Mme C... étaient justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. Par suite, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que la décision du 4 avril 2016 refusant de lui accorder la protection fonctionnelle qu'elle demandait à ce titre est entachée d'erreur d'appréciation.

8. Il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de cette décision et à l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de cette décision et du harcèlement invoqué.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'AEFE qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme C... une somme au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 9 décembre 2021 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.

Article 2 : La requête présentée par Mme C... devant la cour administrative d'appel de Paris, ainsi que ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme A... C... et à l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger.

Délibéré à l'issue de la séance du 26 janvier 2023 où siégeaient : M. Stéphane Verclytte, conseiller d'Etat, présidant ; M. Christian Fournier, conseiller d'Etat et M. Julien Autret, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 14 février 2023.

Le président :

Signé : M. Stéphane Verclytte

Le rapporteur :

Signé : M. Julien Autret

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 461247
Date de la décision : 14/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 14 fév. 2023, n° 461247
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Julien Autret
Rapporteur public ?: M. Thomas Pez-Lavergne
Avocat(s) : SCP DUHAMEL - RAMEIX - GURY- MAITRE ; SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO et GOULET

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:461247.20230214
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