Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 janvier, 4 avril et 27 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société par actions simplifiée Microport CRM France et la société par actions simplifiée Sorin CRM demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le guide de la Haute Autorité de santé intitulé " Evaluation de la compatibilité IRM des dispositifs médicaux par la CNEDiMTS ", validé par la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé le 19 octobre 2021 et publié sur le site de la Haute Autorité de santé le 18 novembre 2021 ;
2°) de mettre à la charge de la Haute Autorité de santé la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (UE) 2017/745 du 5 avril 2017 du Parlement européen et du Conseil ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice,
- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société Microport CRM France et autre et à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de la Haute Autorité de santé ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 janvier 2023, présentée par la Haute Autorité de santé ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 janvier 2023, présentée par les sociétés Microport CRM France et Sorin CRM ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS), commission spécialisée de la Haute Autorité de santé chargée, en application du 1er alinéa de l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale, de donner son avis sur l'inscription des dispositifs médicaux à usage individuel sur la liste des produits et prestations ouvrant droit à leur remboursement par l'assurance maladie, a validé, le 19 octobre 2021, un guide intitulé " Evaluation de la compatibilité IRM des dispositifs médicaux par la CNEDiMTS ", publié sur le site de la Haute Autorité de santé le 18 novembre 2021. Ce guide comprend, outre trois chapitres consacrés respectivement aux prérequis réglementaires, au recensement des risques et à l'analyse de la littérature, un chapitre 5 intitulé " Modalités de réalisation d'un examen IRM recommandées par la CNEDiMTS " destiné, selon les indications figurant au sein du premier chapitre du guide, " à clarifier les modalités de prescription et de réalisation de l'examen pour le mener dans les meilleures conditions possibles " dans le cas d'un implant dont la compatibilité avec la réalisation sur le patient qui en est porteur d'une imagerie par résonance magnétique (IRM) est subordonnée à certaines conditions, et un chapitre 6 intitulé " Principes d'évaluation de la CNEDiMTS " destiné, selon les mêmes indications, à préciser les principes selon lesquels est prise en compte par cette commission, lorsqu'elle réalise l'évaluation d'un dispositif médical implantable lors d'une demande d'inscription au remboursement, sa compatibilité avec la réalisation d'un examen d'imagerie par résonance magnétique et les informations attendues à ce titre dans les dossiers médico-techniques soumis par les industriels à cette fin. Les sociétés Microport CRM France et Sorin CRM demandent l'annulation de ce guide pour excès de pouvoir.
Sur la fin de non-recevoir opposée par la Haute Autorité de santé :
2. Contrairement à ce que soutient la Haute Autorité de santé, les dispositions du guide litigieux, décrites au point précédent, doivent être regardées, dans leur ensemble, comme faisant grief, eu égard aux effets notables qu'elles sont susceptibles d'avoir tant à l'égard des industriels fabricants de dispositifs médicaux implantables que des professionnels de santé.
Sur la légalité du guide litigieux :
3. En premier lieu, il est loisible à la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé, compétente, au sein de la Haute Autorité de santé, pour établir les " recommandations destinées aux prescripteurs et relatives à l'usage des produits et prestations " prévues au 3° de l'article R. 165-22 du code de la sécurité sociale, de choisir la procédure d'élaboration qui lui semble la plus pertinente pour les élaborer. A ce titre, elle a pu en l'espèce se fonder, comme elle indique l'avoir fait dans le premier chapitre du guide, sur la réalisation d'une recherche systématique de la littérature portant sur les recommandations de réalisation d'une imagerie par résonance magnétique dans des conditions de sécurité optimale, l'intervention d'un groupe de travail composé de membres de la commission, la publication sur le site internet de la Haute Autorité de santé d'une note de cadrage à laquelle les industriels ont été invités à réagir par l'intermédiaire du Syndicat national de l'industrie des technologies médicales, suivie d'une réunion de concertation avec ce syndicat pour lui présenter les conclusions préliminaires du guide et recueillir les éventuelles remarques avant son adoption. Contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions du code de la sécurité sociale ne s'opposaient pas à ce qu'elle retienne, pour mener son analyse de la littérature scientifique, les seuls documents entrant dans un périmètre correspondant à celui du marquage CE, qui est celui des dispositifs médicaux conformes au règlement (UE) 2017/745 du 5 avril 2017 du Parlement européen et du Conseil et, à ce titre, pouvant légalement être mis sur le marché ou mis en service dans l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne, ni ne lui imposaient de recueillir l'avis des sociétés savantes, dont elle avait pris en compte les recommandations lors de son analyse de la littérature scientifique et qui avaient été informées de la procédure d'élaboration du guide litigieux par la publication de la note de cadrage.
4. En second lieu, ainsi que le rappelle le guide litigieux, le règlement (UE) 2017/745 du 5 avril 2017 inclut, parmi les exigences générales en matière de sécurité et de performances auxquelles doivent satisfaire les dispositifs médicaux pour être mis sur le marché ou mis en service, celles se rapportant à leur compatibilité électromagnétique. Celle-ci fait, à ce titre, partie des éléments dont la conformité au règlement, dont atteste le marquage CE, doit être évaluée et documentée. En vertu de normes développées de façon consensuelle au niveau international, notamment en collaboration avec la Food and Drug Administration, dont l'autorité est reconnue dans le domaine de la sécurité et la compatibilité dans un environnement à résonance magnétique, les dispositifs médicaux implantables sont classés en trois catégories selon leur compatibilité avec la réalisation d'un examen d'imagerie par résonance magnétique : compatible sans condition pour les dispositifs dont les patients porteurs peuvent bénéficier d'un examen d'imagerie à résonance magnétique sans risque, non compatible pour les dispositifs engendrant un risque pour le patient à l'occasion d'un examen d'imagerie à résonance magnétique, compatible sous conditions pour les dispositifs dont les patients porteurs peuvent bénéficier d'un examen d'imagerie à résonance magnétique sous réserve de conditions précises de réalisation pré-spécifiées par le fabricant.
5. D'une part, si le guide litigieux indique, à son point 5.4, figurant au sein du chapitre 5 relatif aux " modalités de réalisation d'un examen IRM recommandées par la CNEDiMTS " que : " pour tout dispositif ou système implanté MR Unsafe (non IRM compatible) ou sans label clairement identifié malgré une recherche précise de son IRM compatibilité (notice, fabricant...), la réalisation d'une IRM devrait être formellement proscrite ", le paragraphe introductif du chapitre précise que " la décision de réalisation d'une IRM dépend de nombreux paramètres et de l'implication de plusieurs intervenants parmi lesquels sont retrouvés le médecin demandeur, le radiologue de la spécialité, le médecin implanteur et le(s) fabricant(s) du ou des dispositif(s) médical(aux) implanté(s). Dans les situations d'incertitude vis-à-vis de la compatibilité IRM d'un implant, une concertation pluridisciplinaire peut être organisée avec ces acteurs ". Il ne ressort pas des pièces du dossier, alors que la réalisation d'un examen d'imagerie médicale chez les patients porteurs d'un dispositif ou système implanté non compatible avec un tel examen est susceptible de faire courir à ces patients des risques fonctionnels voire vitaux, que la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en recommandant aux prescripteurs, de façon générale, sans préjudice de leur recherche de la prise en charge la plus appropriée à chaque patient, de ne pas réaliser d'examen d'imagerie par résonance magnétique chez des patients porteurs d'un dispositif ou système implanté non compatible avec cet examen ou sans label clairement identifié malgré une recherche précise de sa compatibilité.
6. D'autre part, le guide recommande, au sein du chapitre 6 relatif aux " principes d'évaluation de la CNEDiMTS ", à son point 6.2 intitulé " Indications et éléments conditionnant le service attendu / rendu ", que, pour tout dispositif médical implantable actif compatible sous condition avec un examen d'imagerie par résonance magnétique inscrit sur la liste des produits et prestations remboursables, l'ensemble des éléments implantés soient, dans le cas d'une primo-implantation, compatibles avec un tel examen. Il ressort toutefois tant de la contribution du Syndicat national de l'industrie des technologies médicales annexée au guide litigieux que du courrier de la Société française de radiologie adressé à la Haute Autorité de santé après la publication de ce guide qu'une telle recommandation va à l'encontre, s'agissant des dispositifs cardiaques implantables actifs, d'une pratique médicale courante consistant à recourir à une sonde qui, pour s'adapter aux besoins des patients et dans leur meilleur intérêt thérapeutique, ne provient pas nécessairement du même fournisseur, hypothèse dans laquelle l'évaluation de la compatibilité de l'ensemble avec un examen d'imagerie par résonance magnétique fait défaut. La Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé elle-même, dans un rapport d'évaluation qu'elle a validé le 20 septembre 2022, postérieurement au guide litigieux, portant sur la " Réévaluation des défibrillateurs cardiaques automatiques implantables avec sonde(s) endocavitaire(s) ", conclut que la compatibilité des dispositifs médicaux implantables avec la réalisation d'un examen d'imagerie par résonance magnétique ne peut constituer une spécification technique minimale des défibrillateurs cardiaques automatiques implantables pour leur prise en charge sur la liste des produits de santé financés au titre des prestations d'hospitalisation, dite " intra-GHS ", prévue à l'article L. 165-11 du code de la sécurité sociale, dès lors qu'une telle spécification " empêcherait les professionnels de santé d'associer un boîtier à une sonde qu'ils jugeraient la plus appropriée et limiterait ainsi leur liberté thérapeutique ". Dans ces conditions, les sociétés requérantes sont fondées à soutenir qu'en recommandant que, pour tout dispositif médical implantable actif compatible sous condition avec un examen d'imagerie par résonance magnétique inscrit sur la liste des produits et prestations remboursables, l'ensemble des éléments implantés soient, dans le cas d'une primo-implantation, compatibles avec un tel examen, sans réserver le cas des dispositifs cardiaques implantables actifs, le guide est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante est fondée à demander l'annulation du guide qu'elle attaque en tant seulement qu'il recommande, à son point 6.2, que, pour tout dispositif médical implantable actif compatible sous condition avec un examen d'imagerie par résonance magnétique inscrit sur la liste des produits et prestations remboursables, l'ensemble des éléments implantés soient, dans le cas d'une primo-implantation, compatibles avec un tel examen, sans réserver le cas des dispositifs cardiaques implantables actifs.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Haute Autorité de santé une somme globale de 3 000 euros à verser aux sociétés Microport CRM France et Sorin CRM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge des sociétés requérantes, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante pour l'essentiel.
D E C I D E :
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Article 1er : Le guide " Evaluation de la compatibilité IRM des dispositifs médicaux par la CNEDiMTS ", validé par la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé le 19 octobre 2021 et publié sur le site de la Haute Autorité de santé le 18 novembre 2021, est annulé en tant qu'il recommande, au sein du chapitre 6 relatif aux " principes d'évaluation de la CNEDiMTS ", à son point 6.2 intitulé " Indications et éléments conditionnant le service attendu / rendu ", que, pour tout dispositif médical implantable actif compatible sous condition avec un examen d'imagerie par résonance magnétique inscrit sur la liste des produits et prestations remboursables, l'ensemble des éléments implantés soient, dans le cas d'une primo-implantation, compatibles avec un tel examen, sans réserver le cas des dispositifs cardiaques implantables actifs.
Article 2 : La Haute Autorité de santé versera aux sociétés Microport CRM France et Sorin CRM une somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par la Haute Autorité de santé au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Microport CRM France, première dénommée, pour les deux requérantes, et à la Haute Autorité de santé.
Délibéré à l'issue de la séance du 11 janvier 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, présidente de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, M. Jérôme Marchand-Arvier, M. Yves Doutriaux et M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice-rapporteure.
Rendu le 1er février 2023.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
La rapporteure :
Signé : Mme Ariane Piana-Rogez
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber