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20/01/2023 | FRANCE | N°467970

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 20 janvier 2023, 467970


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 21 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, l'association Collectif contre les caisses de congé du BTP, la société DVM Renov et la société Philippe et fils demandent au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête tendant à l'annulation du refus opposé par le Premier ministre à leur demande du 21 juillet 2022 tendant à l'abrogation des articles D. 3141-12 à D. 3141-37 du code du travail, de renvoyer au Conseil con

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Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 21 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, l'association Collectif contre les caisses de congé du BTP, la société DVM Renov et la société Philippe et fils demandent au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête tendant à l'annulation du refus opposé par le Premier ministre à leur demande du 21 juillet 2022 tendant à l'abrogation des articles D. 3141-12 à D. 3141-37 du code du travail, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 3141-32 du code du travail.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 34 et 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code du travail, notamment son article L. 3141-32 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de l'association Collectif contre les caisses de congé du BTP et autres et à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de la caisse de congés intempéries BTP - Caisse du Grand-Ouest et de la caisse de congés intempéries BTP - Union des caisses de France ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. La caisse de congés intempéries BTP - Caisse du Grand-Ouest et la caisse de congés intempéries BTP - Union des caisses de France, qui sont intervenues en défense dans le cadre de l'action principale, doivent être regardées, en l'état du dossier, comme justifiant d'un intérêt suffisant au maintien des dispositions attaquées. Leur intervention au soutien de la défense présentée par le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association Collectif contre les caisses de congé du BTP et autres à l'appui de leur requête doit, dès lors, être admise pour l'examen de cette question prioritaire de constitutionnalité.

3. Aux termes de l'article L. 3141-32 du code du travail : " Des décrets déterminent les professions, industries et commerces pour lesquels l'application des dispositions relatives aux congés payés comporte des modalités particulières, telles que la constitution de caisses de congés auxquelles les employeurs intéressés s'affilient obligatoirement. / Ces décrets fixent la nature et l'étendue des obligations des employeurs, les règles d'organisation et de fonctionnement des caisses ainsi que la nature et les conditions d'exercice du contrôle de l'Etat à leur égard. "

4. En adoptant ces dispositions, le législateur a entendu permettre que, dans les professions, industries et commerces présentant des spécificités, pouvant notamment tenir à l'exercice par les salariés d'une activité discontinue chez une pluralité d'employeurs, les droits à congés payés soient, afin d'en garantir l'effectivité compte tenu de ces spécificités, gérés selon des modalités particulières, telles que la constitution de caisses de congés auxquelles les employeurs s'affilient obligatoirement.

5. En premier lieu, il ne peut être sérieusement soutenu que la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 3141-32 du code du travail serait nouvelle au sens et pour l'application des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et devrait, de ce fait, être renvoyée au Conseil constitutionnel, au motif qu'un " débat de société " existerait sur l'utilité du maintien d'un régime spécifique de versement des congés payés.

6. Les requérants ne soutiennent pas plus sérieusement que la question serait nouvelle en ce que cette disposition méconnaîtrait un principe constitutionnel qui protégerait d'une façon spécifique le droit aux congés payés des salariés ou un principe fondamental reconnu par les lois de la République dont résulterait, selon eux, un droit constitutionnel pour les salariés de bénéficier du versement de leurs congés payés par des caisses créées par détermination de la loi, dont ils se bornent à faire valoir, pour le premier, qu'il est protégé par des conventions internationales, sans d'ailleurs préciser en quoi il ferait l'objet d'une protection constitutionnelle distincte de celle du droit au repos, et, pour le second, que le régime contesté est issu de la loi.

7. En deuxième lieu, d'une part, aux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation " garantit à tous (...) la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ". Les dispositions contestées ayant précisément pour objet, comme il a été dit, d'assurer aux salariés auxquels elles s'appliquent le bénéfice de leurs droits à congés payés découlant du chapitre Ier du titre IV du livre Ier de la troisième partie du code du travail, le grief tiré de ce qu'elles porteraient atteinte au droit au repos et à la protection de la santé des salariés ou, en tout état de cause, aux principes mentionnés au point précédent, ne peut qu'être écarté.

8. D'autre part, il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi. En adoptant les dispositions en litige, permettant notamment que, dans les professions, industries et commerces qui en relèvent, les droits à congés payés des salariés soient gérés par la constitution de caisses de congés auxquelles les employeurs s'affilient obligatoirement afin d'y garantir l'effectivité du droit à congés, le législateur n'a, au regard de l'objectif ainsi poursuivi, pas apporté d'atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre.

9. Pour les mêmes raisons, il n'a pas non plus méconnu le droit de propriété ou la liberté d'association des employeurs concernés.

10. De troisième part, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi (...) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Aux termes de l'article 13 de cette déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ".

11. Les principes constitutionnels d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques ne s'opposent ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Par ailleurs, cette appréciation ne doit pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

12. Les employeurs relevant du régime de l'article L. 3141-32 du code du travail ne se trouvent pas, au regard du droit de leurs salariés à bénéficier de congés payés, compte tenu des spécificités susceptibles de justifier que ces droits soient gérés selon des modalités particulières, dans la même situation que les autres employeurs. La différence de traitement résultant de ce que les premiers peuvent avoir l'obligation de s'affilier à une caisse de congés, contrairement aux seconds, est fondée sur une différence de situation en rapport direct avec l'objectif poursuivi par le législateur. En outre, les dispositions contestées ne peuvent être regardées comme étant à l'origine d'une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques au seul motif que les employeurs en relevant peuvent être soumis au versement de cotisations selon un régime qui ne soit pas unique.

13. Enfin, il résulte des dispositions litigieuses, dont l'objet est rappelé au point 4, qu'il revient au pouvoir réglementaire, sous le contrôle du juge, de déterminer les professions, industries et commerces concernés et de fixer les modalités d'application qu'il retient en s'assurant que, compte tenu des spécificités du secteur auquel elles s'appliquent, ces modalités sont de nature à y garantir l'effectivité du droit à congés des salariés qui y exercent. Par suite, les griefs tirés de ce qu'en ne précisant pas les critères présidant à la détermination des professions, industries et commerces concernés et des règles d'organisation et de fonctionnement des caisses le cas échéant constituées, les dispositions litigieuses ne seraient pas assorties de garanties légales propres à protéger les différents droits et libertés invoqués et de ce que le législateur aurait méconnu sa compétence dans des conditions qui y porteraient atteinte doivent, en tout état de cause, être écartés.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que l'article L. 3141-32 du code du travail méconnaît les droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association Collectif contre les caisses de congé du BTP et autres.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Collectif contre les caisses de congé du BTP, première dénommée, pour l'ensemble des requérantes, au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à la caisse de congés intempéries BTP - Caisse du Grand-Ouest, pour les deux intervenantes.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 11 janvier 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes et Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, M. Jérôme Marchand-Arvier et M. Yves Doutriaux, conseillers d'Etat et M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 20 janvier 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Eric Buge

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 467970
Date de la décision : 20/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 20 jan. 2023, n° 467970
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Eric Buge
Rapporteur public ?: M. Arnaud Skzryerbak
Avocat(s) : SCP SPINOSI ; SCP L. POULET-ODENT

Origine de la décision
Date de l'import : 10/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:467970.20230120
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