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29/12/2022 | FRANCE | N°463256

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 29 décembre 2022, 463256


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 avril et 21 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union des professionnels du CBD et la société par actions simplifiée CBD'EAU demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-194 du 17 février 2022 relatif au cannabis à usage médical ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler les I, II et III de l'article 2 et le II de l'article 3 de ce décret ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 eur

os au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu :

- le traité sur ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 avril et 21 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union des professionnels du CBD et la société par actions simplifiée CBD'EAU demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-194 du 17 février 2022 relatif au cannabis à usage médical ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler les I, II et III de l'article 2 et le II de l'article 3 de ce décret ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 ;

- le code de la santé publique ;

- l'arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Manon Chonavel, auditrice,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

Sur le cadre du litige :

1. Au sein du Livre premier, relatif aux " Produits pharmaceutiques ", de la cinquième partie du code de la santé publique, les articles L. 5132-1 à 5132-10, constituant le chapitre II relatif aux " Substances et préparations vénéneuses " du Titre III, soumettent les substances vénéneuses à un régime de police administrative spéciale visant notamment à réglementer leur production, leur commerce et leur emploi. L'article L. 5132-1 du code de la santé publique définit les substances vénéneuses comme les substances stupéfiantes, les substances psychotropes et les substances inscrites sur la liste I et la liste II définies à l'article L. 5132-6 du même code et précise les notions de " substances " et de " préparations ". Les listes I et II regroupent les médicaments à usage humain susceptibles de présenter directement ou indirectement un danger pour la santé ou contenant des substances dont l'activité ou les effets indésirables nécessitent une surveillance médicale ou tout autre produit ou substance présentant pour la santé des risques directs ou indirects, la liste I comprenant les substances, préparations, médicaments ou produits présentant les risques les plus élevés pour la santé. L'article L. 5132-7 confie au directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé le pouvoir de classer les plantes, substances ou préparations vénéneuses comme stupéfiants ou comme psychotropes ou de les inscrire sur les listes I et II. Enfin, l'article L. 5132-8 renvoie à des décrets en Conseil d'Etat le soin de préciser les conditions auxquelles sont soumis la production, la fabrication, le transport, l'importation, l'exportation, la détention, l'offre, la cession, l'acquisition et l'emploi de plantes, de substances ou de préparations classées comme vénéneuses. Aux termes des deuxième et troisième alinéas de cet article : " Ces décrets peuvent prohiber toute opération relative à ces plantes et substances ; ils peuvent notamment, après avis des Académies nationales de médecine et de pharmacie, interdire la prescription et l'incorporation dans des préparations de certaines de ces plantes et substances ou des spécialités qui en contiennent. / Les conditions de prescription et de délivrance de telles préparations sont fixées après avis des conseils nationaux de l'ordre des médecins et de l'ordre des pharmaciens. "

2. Le décret du 17 février 2022 relatif au cannabis à usage médical a été pris sur le fondement de l'article L. 5132-8 du code de la santé publique. Son article 2 modifie l'article R. 5132-86 du même code pour prévoir, à son I que : " La production, y compris la culture, la fabrication, le transport, l'importation, l'exportation, la détention, l'offre, la cession, l'acquisition et l'emploi sont interdites lorsqu'elles portent sur : / 1° Le cannabis, sa plante et sa résine, les produits qui en contiennent ou ceux qui sont obtenus à partir du cannabis, sa plante ou sa résine ; / 2° Les tétrahydrocannabinols, naturels ou synthétiques, leurs esters, éthers, sels ainsi que les sels des dérivés précités et les produits qui en contiennent ". Il est toutefois précisé, aux alinéas II à VI de cet article R. 5132-86 issus du même décret, les conditions dans lesquelles ces opérations peuvent être autorisées lorsqu'elles portent sur des médicaments au sens de l'article L. 5111-1 du même code, contenant l'une des substances mentionnées aux 1° et 2° du I. Le II de l'article 3 de ce décret crée en outre un article R. 5132-86-1 du code de la santé publique aux termes duquel : " La culture, l'importation, l'exportation et l'utilisation, à des fins industrielles et commerciales, de variétés de Cannabis sativa L. dépourvues de propriétés stupéfiantes ou de produits contenant de telles variétés sont autorisées par arrêté des ministres chargés de l'agriculture, des douanes, de l'industrie et de la santé ". L'Union des professionnels du CBD et la société CBD'EAU demandent l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.

Sur la légalité externe :

3. En premier lieu, dès lors que le cannabis est inscrit sur la liste des substances stupéfiantes, sans distinction entre variétés, par l'arrêté du 22 février 1990 pris en application de l'article L. 5132-7 du code de la santé publique, le Premier ministre était compétent, sur le fondement de l'article L. 5132-8 de ce code, pour réglementer les opérations relatives à l'ensemble des variétés de cannabis, quelles que puissent être leurs propriétés stupéfiantes.

4. En second lieu, il résulte du deuxième alinéa de l'article L. 5132-8 du code de la santé publique, cité au point 1, que la consultation des Académies nationales de médecine et de pharmacie n'est requise que lorsque le pouvoir réglementaire interdit, par des dispositions spécifiques, la prescription et l'incorporation dans des préparations de certaines des plantes et substances classées comme vénéneuses ou des spécialités qui en contiennent, et non lorsqu'il prohibe toute opération relative à ces plantes et substances. Par suite, le décret contesté, qui n'interdit pas spécifiquement la prescription ou l'incorporation dans des préparations des plantes et substances qu'il règlemente, n'avait pas à être soumis pour avis aux Académies nationales de médecine et de pharmacie.

Sur la légalité interne :

5. En premier lieu, si le I de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue du décret attaqué, interdit en principe les opérations portant sur le cannabis, l'article R. 5132-86-1 du même code, également issu de ce décret, prévoit dans le même temps que la culture, l'importation, l'exportation et l'utilisation, à des fins industrielles et commerciales de variétés de Cannabis sativa L. dépourvues de propriétés stupéfiantes ou de produits contenant de telles variétés sont autorisées par arrêté interministériel. Par suite, les requérantes ne sont, en tout état de cause, pas fondées à soutenir que le décret contesté, en ce qu'il ne distinguerait pas les variétés de cannabis en fonction de leurs propriétés stupéfiantes, méconnaîtrait le principe de libre circulation des marchandises figurant aux articles 34, 35 et 36 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ou serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

6. En second lieu, par dérogation au I de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique interdisant en principe, comme il a été dit, les opérations portant sur le cannabis, le III de cet article, dans sa rédaction issue du décret attaqué, permet d'autoriser la production, y compris la culture, la fabrication, le transport, l'importation, l'exportation, la détention, la cession et l'acquisition de médicaments, au sens de l'article L. 5111-1 du même code, contenant du cannabis ou des tétrahydrocannabinols lorsque, d'une part, ces médicaments répondent aux spécifications fixées par arrêté du ministre chargé de la santé, portant notamment sur leurs caractéristiques, leur composition, leur forme pharmaceutique et leurs indications et, d'autre part, ils sont fabriqués dans le respect des bonnes pratiques de fabrication prévues à l'article L. 5121-5 de ce code ou de tout référentiel équivalent reconnu au niveau international, afin de garantir leur qualité, leur sécurité et leur destination à usage thérapeutique.

7. D'une part, l'article L. 5111-1 du code de la santé publique définit le " médicament à usage humain " comme " toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines, ainsi que toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l'homme ou pouvant lui être administrée, en vue d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier ses fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique ". En précisant au III de l'article R. 5132-86 du même code les spécifications, notamment de forme, et les bonnes pratiques de fabrication que doivent remplir les médicaments contenant du cannabis, le pouvoir réglementaire ne s'est pas livré, contrairement à ce qui est soutenu, à une interprétation de la notion de médicament, que les requérantes ne peuvent dès lors utilement critiquer.

8. D'autre part, en adoptant les dispositions contestées, le pouvoir réglementaire, qui a d'ailleurs exclu des opérations pouvant être autorisées en vertu du III de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique " l'offre et l'emploi ", à la différence de celles portant sur les médicaments disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une mesure équivalente mentionnés au II du même article, a entendu réglementer la production de médicaments contenant du cannabis, sans préjudice de l'application des dispositions de l'article L. 5121-8 du code de la santé publique, en vertu duquel toute spécialité pharmaceutique ou tout autre médicament fabriqué industriellement ou selon une méthode dans laquelle intervient un processus industriel doit faire l'objet, en cas de mise sur le marché, d'une autorisation. Par suite, les requérantes ne peuvent utilement soutenir que ces dispositions méconnaîtraient l'article 6 de la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain en ce qu'elles permettraient la mise sur le marché de médicaments à base de cannabis ne disposant pas d'une autorisation.

9. Il résulte de tout ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'elles attaquent. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font dès lors obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de l'Union des professionnels du CBD et autre est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union des professionnels du CBD, première dénommée, pour les deux requérantes, au ministre de la santé et de la prévention et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Copie sera adressée à la Première ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 14 décembre 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes et Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi et M. Alban de Nervaux et M. Yves Doutriaux, conseillers d'Etat ; Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, maître des requêtes et Mme Manon Chonavel, auditrice-rapporteure.

Rendu le 29 décembre 2022.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Manon Chonavel

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 463256
Date de la décision : 29/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 29 déc. 2022, n° 463256
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Manon Chonavel
Rapporteur public ?: Mme Marie Sirinelli

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:463256.20221229
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