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29/12/2022 | FRANCE | N°455786

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 29 décembre 2022, 455786


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 455786, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 22 août 2021 et le 20 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... B... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le 6° de l'article 1er du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire.

2° Sous le numéro 458771, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 23 novem

bre 2021 et le 14 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... ...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 455786, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 22 août 2021 et le 20 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... B... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le 6° de l'article 1er du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire.

2° Sous le numéro 458771, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 23 novembre 2021 et le 14 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... A... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le 6° de l'article 1er du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-824 DC du 5 août 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes de M. B... et de M. A... sont dirigées contre la même disposition de l'article 1er du décret du 7 août 2021 modifiant le décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, pris pour application de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, en tant que cette disposition subordonne à la présentation d'un " passe sanitaire " les seuls déplacements sur une longue distance et à réservation obligatoire par transports publics interrégionaux aux fins de lutte contre l'épidémie de covid-19. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision.

2. Il résulte des dispositions du A du II de l'article 1er de loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, telles que modifiées par la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, qu'à " compter du 2 juin 2021 et jusqu'au 15 novembre 2021 inclus, le Premier ministre peut, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 : (...) " 2° Subordonner à la présentation soit du résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d'un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 l'accès à certains lieux, établissements, services ou évènements où sont exercées les activités suivantes : (...) e) Les déplacements de longue distance par transports publics interrégionaux au sein de l'un des territoires mentionnés au 1° du présent A, sauf en cas d'urgence faisant obstacle à l'obtention du justificatif requis (...). / Cette réglementation est rendue applicable au public et, à compter du 30 août 2021, aux personnes qui interviennent dans ces lieux, établissements, services ou évènements lorsque la gravité des risques de contamination en lien avec l'exercice des activités qui y sont pratiquées le justifie, au regard notamment de la densité de population observée ou prévue. / Cette réglementation est applicable aux mineurs de plus de douze ans à compter du 30 septembre 2021. / L'application de cette réglementation ne dispense pas de la mise en œuvre de mesures de nature à prévenir les risques de propagation du virus si la nature des activités réalisées le permet. (...) / Un décret détermine, après avis du comité de scientifiques mentionné à l'article L. 3131-19 du code de la santé publique, les éléments permettant d'établir le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, le justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19 ou le certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 ".

3. En application de ces dispositions, le I de l'article 47-1 du décret du 1er juin 2021, dans sa version résultant du décret attaqué, prévoit que les personnes majeures doivent, pour être accueillies dans les établissements, lieux, services et évènements mentionnés aux II et III de cet article, présenter un justificatif de leur statut vaccinal délivré dans les conditions mentionnées au 2° de l'article 2-2 de ce décret. A défaut de présentation d'un tel justificatif, l'accès à l'établissement, au lieu, au service ou à l'évènement est refusé, sauf pour les personnes justifiant d'une contre-indication médicale à la vaccination dans les conditions prévues à l'article 2-4 du décret. Aux termes du II de l'article 47-1, les documents mentionnés au I doivent être présentés pour l'accès des passagers aux " 10° (...) déplacements de longue distance par transports publics interrégionaux au sein de l'un des territoires mentionnés au 1° du A du II de l'article 1er de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire relevant des catégories suivantes, sauf en cas d'urgence faisant obstacle à l'obtention du justificatif requis :/ a) Les services de transport public aérien ; / b) Les services nationaux de transport ferroviaire à réservation obligatoire ; /c) Les services collectifs réguliers non conventionnés de transport routier ".

4. D'une part, il ressort des pièces du dossier qu'était constatée à la date d'entrée en vigueur du décret du 7 août 2021 une forte dégradation de la situation sanitaire, liée à une diffusion accrue du variant Delta sur le territoire national. Le conseil scientifique, dans son avis du 6 juillet 2021, décrivait ce variant, d'après les données anglaises, comme présentant une transmissibilité augmentée de 60 % par rapport au variant Alpha avec une sévérité au moins aussi importante. Le taux d'incidence était alors marqué par une tendance à une forte augmentation de la circulation du virus avec un taux de 84,4 pour 100 000 habitants sur la période allant du 11 au 17 juillet 2021, soit une hausse de 111 % par rapport à la période du 4 au 10 juillet et de 244 % par rapport à la période du 27 juin au 3 juillet. Le taux de reproduction du virus était quant à lui situé entre 1,48 et 1,52 impliquant une plus grande transmission du virus par les personnes infectées. Cette forte recrudescence commençait à affecter les services hospitaliers avec une augmentation significative des entrées à l'hôpital et des admissions en services de soins critiques. Au regard de cette évolution de la situation épidémiologique et alors que la couverture vaccinale de la population, au 20 juillet 2021, n'était que de 46,4 %, soit un taux insuffisant pour conduire à un reflux durable de l'épidémie, la loi du 31 mai 2021 a été modifiée et complétée par la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire afin de permettre au Premier ministre d'étendre le champ de l'obligation de présentation d'un " passe sanitaire ".

5. D'autre part, il ressort des données scientifiques disponibles que la vaccination, la limitation des rassemblements de personnes et le respect des gestes " barrières " sont des mesures adaptées pour lutter contre la propagation du virus afin de réduire les hospitalisations et de diminuer le risque de développer des formes graves de la covid-19. A cet égard, les transports en commun et notamment les trains, qui sont des espaces fermés où les temps de contact entre passagers sont d'une durée importante, présentent des risques de contamination importants, dès lors que la transmission du virus est favorisée par le brassage de population, la densité de population, le temps de contact avec des personnes potentiellement contaminées et la ventilation des locaux.

6. En premier lieu, contrairement à ce qui est soutenu, et ainsi que l'a d'ailleurs relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021, l'obligation de présenter un " passe sanitaire " pour l'accès à certains lieux, services ou établissements ne saurait être regardée comme constituant une obligation de vaccination, ni comme ayant un effet équivalent. Le moyen tiré de ce que les dispositions attaquées, en imposant une obligation vaccinale déguisée, seraient constitutives d'un détournement de pouvoir ne peut dès lors et en tout état de cause qu'être écarté.

7. En deuxième lieu, d'une part, ainsi que l'a relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision citée au point 6, en prévoyant l'obligation de présenter un " passe sanitaire " notamment lors des déplacements de longue distance par transports publics interrégionaux, le législateur l'a réservée à des activités mettant en présence simultanément un nombre important de personnes en un même lieu et présentant un risque accru de transmission du virus. Le législateur et le pouvoir réglementaire dans la mise en œuvre de ces dispositions législatives ont ainsi poursuivi l'objectif de protection de la santé publique. D'autre part, si les dispositions attaquées, prises sur le fondement de la loi du 5 août 2021, ont réservé l'obligation de présentation du " passe sanitaire " aux seuls trains à réservation obligatoire, sous réserve des cas d'urgence, la limitation ainsi apportée aux déplacements, qui est moins restrictive qu'une interdiction pure et simple, est justifiée, proportionnée et assortie d'aménagements et d'exceptions qui permettent aux personnes s'y conformant de poursuivre ces déplacements dans des conditions acceptables tout en diminuant significativement le risque de contamination. Il s'ensuit que le moyen tiré du caractère arbitraire des critères retenus et de l'atteinte disproportionnée portée à la liberté d'aller et venir doit être écarté.

8. En dernier lieu, le choix de restreindre la présentation du " passe sanitaire " aux seuls trains interrégionaux, eu égard à son objectif de santé de publique et compte-tenu de son caractère limité dans le temps, ne saurait, en tout état de cause, être regardé comme portant atteinte à la liberté de choix de sa résidence.

9. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes de M. B... et de M. A... doivent être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes de M. B... et de M. A... sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. D... B..., à M. C... A... et au ministre de la santé et de la prévention.

Copie en sera adressée à la Première ministre et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Délibéré à l'issue de la séance du 15 décembre 2022 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 29 décembre 2022.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

La rapporteure :

Signé : Mme Isabelle Lemesle

La secrétaire :

Signé : Mme Sylvie Leporcq


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 455786
Date de la décision : 29/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 29 déc. 2022, n° 455786
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Isabelle Lemesle
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo

Origine de la décision
Date de l'import : 01/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:455786.20221229
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