Vu la procédure suivante :
1° Sous le n° 446916, par une requête, enregistrée le 25 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat Jeunes médecins demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 septembre 2020 modifiant l'arrêté du 15 juin 2016 relatif aux émoluments, rémunérations ou indemnités des personnels médicaux, pharmaceutiques et odontologiques exerçant leurs fonctions à temps plein ou à temps partiel dans les établissements publics de santé ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 449344, par une requête, enregistrée le 3 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat des médecins réanimateurs demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-1743 du 28 décembre 2020 portant création de trois échelons au sommet de la grille des émoluments des praticiens hospitaliers à temps plein et des praticiens des hôpitaux à temps partiel ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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3° Sous le n° 452101, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 avril et 12 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat des médecins réanimateurs demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d'abroger le décret n° 2020-1182 du 28 septembre 2020 relatif à la modification de la grille des émoluments des praticiens hospitaliers à temps plein et des praticiens des hôpitaux à temps partiel et le décret n° 2020-1743 du 28 décembre 2020 portant création de trois échelons au sommet de la grille des émoluments des praticiens hospitaliers à temps plein et des praticiens des hôpitaux à temps partiel ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger ces décrets ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la directive 1999/70/CE du Conseil de l'Union européenne du 28 juin 1999 ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Hortense Naudascher, auditrice,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat du syndicat des médecins réanimateurs.
Considérant ce qui suit :
1. Afin de modifier le déroulement de carrière des praticiens hospitaliers, le décret du 28 septembre 2020 relatif à la modification de la grille des émoluments des praticiens hospitaliers à temps plein et des praticiens des hôpitaux à temps partiel a fusionné les quatre premiers échelons de la grille des émoluments des praticiens hospitaliers à temps plein et des praticiens des hôpitaux à temps partiel, en précisant les conditions du reclassement des membres présents dans le corps. Pour l'application de ce décret, l'arrêté du 28 septembre 2020 a fixé le montant brut annuel des émoluments hospitaliers correspondant aux différents échelons de cette nouvelle grille. Le décret du 28 décembre 2020 portant création de trois échelons au sommet de la grille des émoluments des praticiens hospitaliers à temps plein et des praticiens des hôpitaux à temps partiel a, par ailleurs, ajouté à cette nouvelle grille indiciaire un onzième, douzième et treizième échelons.
2. Le syndicat des médecins réanimateurs demande l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, du décret du 28 décembre 2020 et, d'autre part, de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d'abroger ce décret ainsi que le décret du 28 septembre 2020. Pour demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 28 septembre 2020, le syndicat Jeunes médecins invoque l'illégalité par voie d'exception du décret du 28 septembre 2020. Il y a lieu de joindre ces trois requêtes, qui présentent à juger des questions communes, pour statuer par une seule décision.
Sur la légalité externe du décret du 28 septembre 2020 :
3. Si, dans le cadre d'une contestation d'un acte règlementaire par voie d'exception, la légalité des règles fixées par l'acte réglementaire, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées, il n'en va pas de même des conditions d'édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte réglementaire lui-même et introduit avant l'expiration du délai de recours contentieux. Il s'ensuit que le syndicat Jeunes médecins ne peut, en tout état de cause, utilement invoquer ni les moyens tirés de l'irrégularité de la procédure de consultation du conseil supérieur des personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques sur le projet de décret du 28 septembre 2020, ni le moyen tiré de ce que ce décret n'aurait pas été signé par le Premier ministre et contresigné par l'ensemble des ministres chargés de son exécution.
Sur la légalité interne du décret du 28 septembre 2020 et du décret du 28 décembre 2020 :
4. Le décret du 28 septembre 2020 modifie la grille des émoluments des praticiens hospitaliers à temps plein et à temps partiel, en fusionnant, dans le cadre d'une revalorisation de ces émoluments, les quatre premiers échelons, d'une durée d'un an pour les deux premiers et deux ans pour les deux suivants, en un seul échelon d'une durée de deux ans. Ce décret définit également les conditions de reclassement des membres présents dans le corps, en prévoyant notamment, à son article 7, que les agents classés entre le premier et le troisième échelon sont reclassés, à compter de son entrée en vigueur, intervenue le 1er octobre 2020, au premier échelon de la nouvelle grille, sans que l'ancienneté acquise dans leur précédent échelon ne soit conservée, tandis que les praticiens classés au quatrième échelon sont reclassés à la même date au même premier échelon en conservant leur ancienneté acquise dans leur précédent échelon.
5. En premier lieu, le syndicat des médecins réanimateurs et le syndicat Jeunes médecins soutiennent, par voie d'action pour le premier et par voie d'exception pour le second, que le décret du 28 septembre 2020 aurait pour effet, en violation du principe d'égalité de traitement des agents appartenant à un même corps, d'entraîner une inversion dans l'ordre d'ancienneté au détriment des agents recrutés dans ce corps avant la date d'entrée en vigueur du décret.
6. Toutefois la différence de traitement, résultant de la modification apportée par le décret du 28 septembre 2020 aux règles applicables au corps des praticiens hospitaliers, entre les agents qui ont été recrutés dans ce corps avant la date à laquelle est entrée en vigueur la modification statutaire et ceux qui ont été recrutés sous l'empire des nouvelles règles est inhérente à la succession dans le temps des règles applicables et n'est pas, par elle-même, contraire au principe d'égalité.
7. Eu égard aux modalités de reclassement retenues par le décret du 28 septembre 2020, qui placent au même niveau d'ancienneté dans l'échelon les praticiens nommés au 1er octobre 2020 et les praticiens précédemment classés entre le premier et le troisième échelon et reclassés à cette date au même premier échelon, et qui, par ailleurs, prévoient la conservation de l'ancienneté dans l'échelon des praticiens précédemment classés au quatrième échelon et au-delà, il ne résulte du décret du 28 septembre 2020 aucune inversion illégale dans l'ordre d'ancienneté au sein du corps. La circonstance que le décret du 28 septembre 2020 se combine avec la règle, résultant de l'article R. 6152-17 du code de la santé publique, qui prévoit que le classement dans l'emploi de praticien hospitalier des agents qui sont nommés dans le corps tient également compte, notamment, de la durée des fonctions de même nature effectuées antérieurement à leur nomination et présentant un intérêt pour le service public hospitalier, est sans incidence sur le respect du principe d'égalité entre agents d'un même corps, les fonctions ainsi prises en compte ne relevant pas d'une ancienneté dans le corps, et n'entraînant ainsi aucune inversion illégale dans l'ordre d'ancienneté au sein du corps.
8. En deuxième lieu, le syndicat des médecins réanimateurs ne peut, en tout état de cause, utilement invoquer le même moyen, tiré de la violation du principe d'égalité de traitement des agents appartenant à un même corps, à l'encontre du décret du 28 décembre 2020, lequel se borne, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, à créer trois échelons supplémentaires au sommet de la grille des émoluments du corps des praticiens hospitaliers.
9. En troisième lieu, le syndicat Jeunes médecins soutient, par la voie de l'exception, que le décret du 28 septembre 2020 méconnaîtrait la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 en ce qu'il s'applique aux seuls praticiens hospitaliers titulaires, et non aux praticiens hospitaliers contractuels, dont les conditions de rémunération restent fixées par référence aux règles précédemment applicables aux praticiens titulaires.
10. Aux termes de la clause 4 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée annexé à la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 : " 1. Pour ce qui concerne les conditions d'emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d'une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu'ils travaillent à durée déterminée, à moins qu'un traitement différent soit justifié par des raisons objectives ". Cette clause, dans l'interprétation qu'en retient la Cour de justice de l'Union européenne, s'oppose aux inégalités de traitement dans les conditions d'emploi entre travailleurs à durée déterminée et travailleurs à durée indéterminée, sauf à ce que ces inégalités soient justifiées par des raisons objectives, qui requièrent que l'inégalité de traitement se fonde sur des éléments précis et concrets, pouvant résulter, notamment, de la nature particulière des tâches pour l'accomplissement desquelles des contrats à durée déterminée ont été conclus et des caractéristiques inhérentes à celles-ci ou, le cas échéant, de la poursuite d'un objectif légitime de politique sociale d'un État membre.
11. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la différence de traitement entre praticiens titulaires et praticiens contractuels résultant du décret du 28 septembre 2020 n'est pas fonction de la durée déterminée ou indéterminée de la relation de travail. Au surplus, la différence de traitement critiquée entre praticiens titulaires et praticiens contractuels se justifie par l'objectif légitime consistant à rendre plus attractif, dès le début de carrière, l'exercice des fonctions de praticien hospitalier dans le cadre d'emplois publics permanents de praticiens titulaires pourvus par la voie d'un concours national destiné à assurer la qualité du recrutement nécessaire aux soins. Dès lors, et en tout état de cause, le moyen, soulevé par voie d'exception, tiré de ce que le décret du 28 septembre 2020 méconnaîtrait la clause 4 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée ne peut qu'être écarté.
12. Enfin, aux termes de l'article 1er de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations : " Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son origine, de son sexe, de sa situation de famille, de sa grossesse, de son apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son patronyme, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, de son état de santé, de sa perte d'autonomie, de son handicap, de ses caractéristiques génétiques, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable. / Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés ".
13. Le syndicat des médecins réanimateurs soutient qu'eu égard à la limite d'âge des praticiens hospitaliers prévue par l'article R. 6152-328 du code de la santé publique et au déroulement attendu d'une carrière dans ce corps, les décrets du 28 septembre 2020 et du 28 décembre 2020 instituent une discrimination indirecte en raison de l'âge à l'égard des praticiens nommés avant l'entrée en vigueur, le 1er octobre 2020, de la fusion des quatre premiers échelons de la grille des émoluments, qui ne seraient pas en mesure, en pratique, d'accéder au nouveau treizième échelon de cette grille, lequel nécessite au moins trente-six années d'activité professionnelle.
14. Toutefois, ces seuls éléments ne peuvent suffire à faire présumer l'existence d'une discrimination indirecte en raison de l'âge, prohibée par l'article 2 de la loi du 27 mai 2008.
15. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes du syndicat Jeunes médecins et du syndicat des médecins réanimateurs doivent être rejetées, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes du syndicat Jeunes médecins et du syndicat des médecins réanimateurs sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au syndicat Jeunes médecins, au syndicat des médecins réanimateurs, à la Première ministre, au ministre de la santé et de la prévention et au ministre de la transformation et de la fonction publiques.
Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.