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22/12/2022 | FRANCE | N°452122

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 22 décembre 2022, 452122


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 29 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... demande au Conseil d'Etat d'annuler le décret n° 2021-384 du 2 avril 2021 en tant qu'il interdit les déplacements de personnes entre dix-neuf heures et six heures ainsi que les déplacements entre six heures et dix-neuf heures au-delà d'un rayon de dix kilomètres autour de la résidence principale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- le code de la santé publiqu

e ;

- la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 ;

- la loi n° 2021-160 du 15 février 2021 ;

-...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 29 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... demande au Conseil d'Etat d'annuler le décret n° 2021-384 du 2 avril 2021 en tant qu'il interdit les déplacements de personnes entre dix-neuf heures et six heures ainsi que les déplacements entre six heures et dix-neuf heures au-delà d'un rayon de dix kilomètres autour de la résidence principale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 ;

- la loi n° 2021-160 du 15 février 2021 ;

- le décret n° 2021-296 du 19 mars 2021;

- la décision du 17 juin 2021 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme A... ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 : " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ". L'article L. 3131-13 du même code dispose que : " L'état d'urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application. Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. / (...) La prorogation de l'état d'urgence sanitaire au-delà d'un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l'article L. 131-19 ". Aux termes du I de l'article L. 3131-15 du même code dans sa rédaction issue de la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / 1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer l'accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage ; / 2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ; (...) ". Ce même article précise à son III que les mesures prises en application de ses dispositions " sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ".

2. La propagation du virus de la covid-19 sur le territoire national a conduit le Président de la République à prendre, le 14 octobre 2020, sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, un décret déclarant l'état d'urgence sanitaire à compter du 17 octobre 2020 sur l'ensemble du territoire de la République. L'article 1er de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire modifié par la loi du 15 février 2021 a prorogé l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 1err juin 2021 inclus. Le Premier ministre a pris, sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'urgence sanitaire, mesures qui ont été adaptées à l'évolution de la situation sanitaire notamment par des décrets successifs. Le décret contesté du 2 avril 2021 a interdit les déplacements de personnes entre dix-neuf heures et six heures ainsi que, sauf pour certains motifs, les déplacements de personnes entre six heures et dix-neuf heures au-delà d'un rayon, selon les cas, de dix ou trente kilomètres autour de la résidence principale.

3. En période d'état d'urgence sanitaire, il appartient aux différentes autorités compétentes de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l'épidémie. Ces mesures, qui peuvent restreindre l'exercice des droits et libertés fondamentaux, doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif de sauvegarde de la santé publique qu'elles poursuivent. Tel est en particulier le cas d'une mesure d'interdiction faite aux personnes de sortir de leur domicile durant certaines heures.

4. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date à laquelle a été pris le décret attaqué, et malgré les mesures précédemment intervenues, était survenue une nette aggravation de la crise sanitaire. Lors de la semaine du 29 mars au 4 avril 2021, tous les chiffres disponibles témoignaient de la poursuite de l'augmentation du nombre des cas, des hospitalisations et des décès, avec notamment 5 644 patients en réanimation, et une augmentation de 12 % des nouvelles admissions en services de soins critiques par rapport à la semaine précédente, alors que le taux de couverture vaccinale n'était encore que de 14 %.

5. Mme A... soutient que le décret contesté porterait une atteinte excessive à la liberté individuelle et à la liberté d'aller et venir et que les mesures adoptées ne seraient ni proportionnées ni adaptées, au motif qu'elles ne prendraient pas en considération les circonstances propres à chaque département et imposeraient de manière arbitraire un critère de distance kilométrique. Toutefois, à la date à laquelle il a été pris, le Gouvernement était fondé à estimer, au vu des données épidémiologiques, que seules des mesures applicables à l'ensemble du territoire métropolitain, et notamment une restriction des déplacements non indispensables, était de nature à endiguer la crise sanitaire. Par ailleurs, les limites de déplacement de dix et trente kilomètres que le décret fixe n'opèrent pas une conciliation déséquilibrée entre les exigences d'efficacité sanitaire et la satisfaction des besoins essentiels de la vie courante des habitants concernés.

6. Si Mme A... soutient également que le décret serait entaché de détournement de pouvoir, au motif qu'il aurait été pris dans le but de remédier aux carences de la politique publique en matière de gestion des hôpitaux, les dispositions critiquées, qui visent notamment à réduire la pression sur les capacités hospitalières afin de mieux préserver la santé publique, entrent dans les prévisions de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique.

7. Mme A... soutient enfin que le décret serait illégal faute de comporter une limite dans le temps. Il résulte toutefois des dispositions de la loi du 15 février 2021 et de celles du code de la santé publique que cette dernière met en œuvre, que le décret a nécessairement pour terme le plus éloigné celui de l'état d'urgence sanitaire, qui était fixé, à la date de l'ordonnance alors en vigueur, au 1er juin 2021.

8. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à demander l'annulation du décret attaqué.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et au ministre de la santé et de la prévention.

Copie en sera adressée à la Première ministre et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 8 décembre 2022 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 22 décembre 2022.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

La rapporteure :

Signé : Mme Myriam Benlolo Carabot

La secrétaire :

Signé : Mme Sylvie Leporcq


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 452122
Date de la décision : 22/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 22 déc. 2022, n° 452122
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Myriam Benlolo Carabot
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo

Origine de la décision
Date de l'import : 29/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:452122.20221222
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