Vu la procédure suivante :
Mme C... I..., Mme E... I..., M. H... I..., M. F... I..., Mme B... I..., M. G... I..., M. D... I... et M. A... I... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du 18 mars 2022 de limitation des traitements dispensés à Mme C... I..., hospitalisée au sein du centre hospitalier régional de Metz-Thionville, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la légalité de cette décision, et d'enjoindre au centre hospitalier régional de Metz-Thionville de mettre en œuvre les moyens permettant de faciliter le transfert de Mme I... vers un autre établissement hospitalier dans le cadre d'une demande de " regroupement familial " en région parisienne. Par une ordonnance n° 2202058 du 6 avril 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 avril, 6 mai et 5 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les consorts I... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à leur demande ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional de Metz-Thionville la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Damien Pons, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat des consorts I... et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat du centre hospitalier régional de Metz-Thionville ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction devant le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg que Mme C... I..., née le 8 mars 1963, qui avait été admise aux urgences du centre hospitalier régional de Metz-Thionville le 31 décembre 2021 puis hospitalisée en service de psychiatrie pour des troubles de l'anxiété et une insomnie, a été, à la suite d'un arrêt cardio-respiratoire survenu le 2 janvier 2022, prise en charge au sein du service de réanimation, en présentant une défaillance neurologique majeure entraînant une défaillance ventilatoire. L'état neurologique de Mme I... ayant été considéré comme insusceptible d'amélioration, la procédure collégiale de limitation de traitements prévue à l'article R. 4127-37-2 du code de la santé publique a été engagée le 4 mars 2022, conduisant à la décision, prise le 18 mars 2022, de débuter à compter du 25 mars suivant une limitation de la suppléance respiratoire, hémodynamique, cardio-vasculaire, rénale et de support transfusionnel. Les consorts I... ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg d'une demande de suspension de l'exécution de cette décision présentée sur le fondement l'article L. 521-1 du code de justice administrative. Par une ordonnance du 6 avril 2022, dont les requérants demandent l'annulation, le juge des référés du même tribunal, statuant dans les conditions prévues au dernier alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, a rejeté la demande de suspension qui lui était soumise au motif qu'en l'état de l'instruction et au regard des informations données à l'audience, aucun des moyens invoqués n'était de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.
Sur le cadre juridique du litige :
2. Aux termes de l'article L. 1110-1 du code la santé publique : " Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. (...) " L'article L. 1110-2 de ce code dispose que : " La personne malade a droit au respect de sa dignité ".
3. Aux termes de l'article L. 1110-5 du même code : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté (...) ". Aux termes de l'article L. 1110-5-1 du même code : " Les actes mentionnés à l'article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu'ils résultent d'une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu'ils n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire (...) ". Aux termes de l'article L. 1111-4 du même code : " (...) Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou l'arrêt de traitement susceptible d'entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l'article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d'arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical (...) ".
4. Enfin, l'article R. 4127-37-2 du code de la santé publique précise que : " I. - La décision de limitation ou d'arrêt de traitement respecte la volonté du patient antérieurement exprimée dans des directives anticipées. Lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté, la décision de limiter ou d'arrêter les traitements dispensés, au titre du refus d'une obstination déraisonnable, ne peut être prise qu'à l'issue de la procédure collégiale prévue à l'article L.1110-5-1 et dans le respect des directives anticipées et, en leur absence, après qu'a été recueilli auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l'un des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient. / II. - Le médecin en charge du patient peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative. (...) / La personne de confiance ou, à défaut, la famille ou l'un des proches est informé, dès qu'elle a été prise, de la décision de mettre en œuvre la procédure collégiale. / III. - La décision de limitation ou d'arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient à l'issue de la procédure collégiale. Cette procédure collégiale prend la forme d'une concertation avec les membres présents de l'équipe de soins, si elle existe, et de l'avis motivé d'au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L'avis motivé d'un deuxième consultant est recueilli par ces médecins si l'un d'eux l'estime utile. (...) / IV. - La décision de limitation ou d'arrêt de traitement est motivée. La personne de confiance, ou, à défaut, la famille, ou l'un des proches du patient est informé de la nature et des motifs de la décision de limitation ou d'arrêt de traitement. La volonté de limitation ou d'arrêt de traitement exprimée dans les directives anticipées ou, à défaut, le témoignage de la personne de confiance, ou de la famille ou de l'un des proches de la volonté exprimée par le patient, les avis recueillis et les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient ".
5. Il résulte de ces dispositions législatives, ainsi que de l'interprétation que le Conseil constitutionnel en a donnée dans sa décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017, qu'il appartient au médecin ayant pris en charge un patient, lorsque celui-ci est hors d'état d'exprimer sa volonté, d'arrêter ou de ne pas mettre en œuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. En pareille hypothèse, le médecin ne peut prendre une telle décision qu'à l'issue d'une procédure collégiale, destinée à l'éclairer sur le respect des conditions légales et médicales d'un arrêt du traitement et, sauf dans les cas mentionnés au troisième alinéa de l'article L. 1111-11 du code de la santé publique, dans le respect des directives anticipées du patient ou, à défaut de telles directives, après consultation de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de sa famille ou de ses proches, ainsi que, le cas échéant, de son ou ses tuteurs. Si le médecin décide de prendre une telle décision en fonction de son appréciation de la situation, il lui appartient de sauvegarder en tout état de cause la dignité du patient et de lui dispenser des soins palliatifs. Il ne peut mettre en œuvre cette décision avant que les personnes qu'il a consultées et qui pourraient vouloir saisir la juridiction compétente d'un recours n'aient pu le faire et obtenir une décision de sa part.
Sur le pourvoi :
6. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif que la décision de limitation de traitements prise à l'égard de Mme I... le 18 mars 2022 se fonde sur la " défaillance neurologique majeure " présentée par l'intéressée, les examens effectués jusqu'à la date de cette décision concluant à " une absence d'activité corticale et des noyaux gris centraux ", " seul le tronc cérébral " restant " actif ", ainsi que sur l'absence de " facteur corrigeable qui pourrait permettre d'améliorer l'état neurologique et permettre d'espérer une amélioration ". Les consorts I... faisaient toutefois valoir en première instance que l'équipe médicale avait indiqué que Mme I... n'était pas en état de mort cérébrale et ils soutenaient que son état clinique avait évolué de façon favorable sur l'échelle, dite de Glasgow, selon laquelle est évalué l'état de conscience, qu'elle conservait de la motricité, des réflexes, en accompagnant ces mouvements d'une respiration spontanée, ainsi qu'une sensibilité à la douleur. Ils produisaient également les derniers éléments médicaux dont ils disposaient, émanant du service de radiologie de l'hôpital, résultant d'un angioscanner cérébral et d'un scanner thoracique réalisés le 4 mars 2022 et prescrits au titre d'une recherche d'un signe de mort encéphalique et d'un foyer infectieux au niveau thoracique, concluant, d'une part, au niveau cérébral, à une absence d'arrêt circulatoire et, comparativement au scanner qui avait été réalisé le 5 janvier 2022, à la présence d'hypodensités parenchymateuses diffuses sous- et sus-tentorielles plus étendues faisant évoquer des zones d'ischémie constituée, mais aussi à une meilleure visibilité des sillons et du système ventriculaire faisant évoquer une diminution de l'œdème cérébral et, d'autre part, au niveau thoracique, à l'absence d'épanchement pleuropéricardique, d'adénomégalie médiastino-hilaire et de foyer parenchymateux. Si le centre hospitalier contestait que ces éléments puissent témoigner d'une amélioration de l'état neurologique de Mme I..., il n'apportait aucune précision à l'appui de cette affirmation. En se bornant, dans ces circonstances, alors qu'il était sérieusement soutenu devant lui que la décision prise pourrait ne pas relever des hypothèses prévues par la loi, à juger, sans s'assurer davantage qu'il n'en résultait pas que l'exécution de la décision attaquée devait être suspendue à titre conservatoire jusqu'à ce qu'il soit statué sur la requête en annulation dont elle faisait l'objet, qu'au regard des informations données à l'audience, aucun des moyens invoqués n'était propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à sa légalité, le juge des référés du tribunal administratif a, eu égard à son office particulier, commis une erreur de droit.
7. Par suite, il y a lieu d'annuler l'ordonnance attaquée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 6 avril 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. H... I..., représentant unique désigné, pour l'ensemble des requérants, et au centre hospitalier régional de Metz-Thionville.
Délibéré à l'issue de la séance du 9 novembre 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes et Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, M. Jérôme Marchand-Arvier et M. Yves Doutriaux, conseillers d'Etat et M. Damien Pons, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 21 décembre 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Damien Pons
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber