Vu la procédure suivante :
La société DA Alizay a demandé au tribunal administratif de Rouen de prononcer la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2014 et 2015 au titre d'un établissement industriel sur le territoire de la commune d'Alizay (Eure). Par un jugement n° 1702659 du 26 février 2019, le tribunal administratif de Rouen, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à concurrence d'un dégrèvement intervenu en cours d'instance, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Par une décision n° 430211 du 26 mai 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, sur le pourvoi de la société DA Alizay, annulé le jugement du 26 février 2019 et renvoyé l'affaire au tribunal administratif de Rouen.
Par un jugement n° 2102121 du 23 septembre 2021, le tribunal administratif de Rouen, statuant après renvoi, a rejeté la demande de la société DA Alizay.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 23 novembre 2021 et les 21 février et 26 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société DA Alizay demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Didier-Pinet, avocat de la dociété DA Alizay ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société DA Alizay a demandé au tribunal administratif de Rouen la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie pour les années 2014 et 2015 au titre d'un établissement industriel implanté sur le territoire de la commune d'Alizay (Eure). Par une décision du 26 mai 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé le jugement du 26 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande et lui a renvoyé l'affaire. La société DA Alizay demande l'annulation du jugement du 23 septembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Rouen a de nouveau rejeté sa demande.
Sur l'étendue du litige en cassation :
2. Par une décision n° 439567 du 11 mai 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a déchargé la société DA Alizay de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2014 à raison de l'établissement en cause, à hauteur du montant de 717 089 euros. Il en résulte que les conclusions du pourvoi sont devenues sans objet en ce qui concerne l'année 2014, à hauteur de ce montant. Dans cette mesure, il n'y a plus lieu d'y statuer.
3. Par ailleurs, par une décision du 9 août 2022 postérieure à l'introduction du présent pourvoi, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a prononcé le dégrèvement de la cotisation en litige au titre de l'année 2015 à hauteur de 5 253 euros, à raison de l'inclusion d'une maison d'habitation dans la base d'imposition de l'établissement en cause. Les conclusions du pourvoi sont, dans cette mesure, devenues sans objet. Par suite, il n'y a plus lieu d'y statuer.
Sur le surplus des conclusions :
En ce qui concerne l'omission de prononcer un non-lieu à statuer à hauteur des dégrèvements déjà prononcés par l'administration :
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par deux décisions du 15 juin 2018 et du 23 novembre 2018, postérieures à l'introduction de la demande devant le tribunal, l'administration fiscale a prononcé le dégrèvement des taxes foncières mises à la charge de la société DA Alizay au titre des années 2014 et 2015 à concurrence, respectivement, des montants de 174 021 euros et 173 290 euros par la première décision et des montants de 158 637 euros et 158 652 euros par la seconde décision. Si le tribunal a constaté, dans les motifs de son jugement, que le litige était devenu sans objet à hauteur de ces montants, il a, dans le dispositif de ce jugement, rejeté la demande de la société sans avoir préalablement déclaré qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de cette demande dans la même mesure. Par suite, la société est fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque en tant que le tribunal a statué sur les conclusions tendant à la décharge des montants mentionnés ci-dessus, qui avaient été dégrevés en cours d'instance.
En ce qui concerne les autres moyens du pourvoi :
5. Aux termes du premier alinéa de l'article 1499 du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige : " La valeur locative des immobilisations industrielles passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties est déterminée en appliquant au prix de revient de leurs différents éléments, revalorisé à l'aide des coefficients qui avaient été prévus pour la révision des bilans, des taux d'intérêt fixés par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article 1518 B du même code : " A compter du 1er janvier 1980, la valeur locative des immobilisations corporelles acquises à la suite d'apports, de scissions, de fusions de sociétés ou de cessions d'établissements réalisés à partir du 1er janvier 1976 ne peut être inférieure aux deux tiers de la valeur locative retenue l'année précédant l'apport, la scission, la fusion ou la cession. (...) Pour les opérations mentionnées au premier alinéa réalisées à compter du 1er janvier 1992, la valeur locative des immobilisations corporelles ne peut être inférieure aux quatre cinquièmes de son montant avant l'opération ". Aux termes de l'article 310 HA de l'annexe II à ce code : " Pour l'application de la cotisation foncière des entreprises et des taxes additionnelles : (...) l'établissement s'entend de toute installation utilisée par une entreprise en un lieu déterminé, ou d'une unité de production intégrée dans un ensemble industriel ou commercial lorsqu'elle peut faire l'objet d'une exploitation autonome ".
6. D'une part, il résulte de ces dispositions que, pour leur application, toute activité disposant des moyens susceptibles de lui permettre de faire l'objet d'une exploitation autonome au sein d'une entreprise constitue un établissement et que, pour l'application de celles de l'article 1518 B du code général des impôts, un établissement doit être regardé comme ayant fait l'objet d'une cession lorsque le même redevable a acquis l'ensemble des éléments mobiliers et immobiliers, qui étaient nécessaires à l'exercice autonome de l'activité par le cédant, en vue d'y exercer avec ces moyens sa propre activité.
7. D'autre part, il résulte des dispositions de l'article 1518 B du code général des impôts, éclairées par les travaux parlementaires, qu'en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties, le minimum de valeur locative qu'elles instituent s'entend des quatre cinquièmes de la valeur des immeubles devant être imposés au 1er janvier de l'année de la cession. Il en va ainsi alors même que le redevable de la taxe foncière n'aurait pas acquis ces immeubles directement de celui qui en était propriétaire à cette date mais d'un tiers, à la suite d'une ou plusieurs opérations d'apport, de scission, de fusion ou de cession intervenues entretemps.
8. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que le département de l'Eure a acquis, le 23 janvier 2013, le site industriel exploité sur le territoire de la commune d'Alizay par la société M-Real Alizay qui y produisait de la pâte à papier et des ramettes de papier. Le même jour, le département a cédé les moyens, mobiliers et immobiliers, affectés à l'activité de production de la pâte à papier à l'établissement public foncier de Normandie, aux fins de démantèlement et de dépollution de cette partie du site, et ceux affectés à l'activité de fabrication et de découpe de ramettes de papier, à la société DA Alizay, aux fins de la poursuite de l'exercice de cette seconde activité.
9. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 6 qu'après avoir relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que la société DA Alizay avait pu reprendre, de manière autonome, l'activité de fabrication de ramettes de papier, alors même que la pâte à papier n'était plus produite dans la partie du site cédée à l'établissement public foncier de Normandie, le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits en jugeant, par une décision suffisamment motivée, que la cession des seules installations affectées à cette activité devait s'analyser comme la cession d'un établissement au sens et pour l'application des dispositions citées au point 5.
10. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 7 qu'en jugeant que la circonstance que le département de l'Eure n'était pas, au 1er janvier de l'année de la cession, propriétaire des immobilisations cédées à la société DA Alizay était sans incidence au regard de la règle fixée à l'article 1518 B du code général des impôts, le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit.
11. En troisième lieu, il ressort des énonciations du jugement attaqué que le tribunal a jugé que l'administration avait pu faire application de la méthode d'évaluation prévue par les dispositions de l'article 1518 B du code général des impôts et que la société DA Alizay ne remettait pas utilement en cause le montant de cette évaluation. Le tribunal a ainsi, par des motifs suffisants, écarté tant le moyen tiré de ce qu'un changement de consistance et d'affectation des biens en cause en imposait une nouvelle évaluation, que le moyen tiré de ce que l'administration fiscale ne pouvait utiliser, comme base d'évaluation de la valeur locative plancher retenue, la valeur du local n° 198519 et que le moyen tiré de ce que l'article 1518 B du code général des impôts n'autorisait pas l'administration fiscale à modifier la valeur locative qui aurait dû être retenue pour l'imposition, au titre de 2013, du précédent propriétaire.
12. En dernier lieu, c'est sans dénaturer les pièces du dossier ni se méprendre sur les termes du litige que le tribunal a écarté le moyen tiré du caractère amortissable d'agencements et d'aménagements de terrains au motif que la société requérante n'en justifiait pas.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société DA Alizay est seulement fondée à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a statué sur des conclusions tendant à la décharge de montants dégrevés en cours d'instance. Rien ne restant à juger sur ce point, il n'y a pas lieu pour le Conseil d'Etat de faire application des dispositions du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond.
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y pas lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi à hauteur du montant de 717 089 euros au titre de 2014 et à hauteur du montant de 5 253 euros au titre de 2015.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Rouen est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions tendant à la décharge des montants de 174 021 euros et 158 637 euros dégrevés au titre de 2014 et des montants de 173 290 euros et 158 652 euros dégrevés au titre de 2015.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société DA Alizay et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 2 décembre 2022 où siégeaient :
M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Frédéric Gueudar Delahaye conseillers d'Etat et M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 21 décembre 2022.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mazauric
La secrétaire :
Signé : Mme Laurence Chancerel
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :