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19/12/2022 | FRANCE | N°456845

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 19 décembre 2022, 456845


Vu la procédure suivante :

L'Institut national des sciences appliquées de Rouen a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner solidairement les sociétés Quille, devenue Bouygues Bâtiment Grand Ouest, Raimond, Miroiterie de la Risle et Cigetec EMPB à lui verser, en réparation de dommages de travaux publics, la somme de 927 957,31 euros et d'actualiser cette somme à hauteur de 198 633,89 euros en application de l'indice BT 01, en indemnisation des désordres ayant affecté le bâtiment l'accueillant, construit sous maîtrise d'ouvrage de l'Etat entre 1995 et 1997. Par

un jugement n° 1601892 du 7 février 2019, le tribunal administrat...

Vu la procédure suivante :

L'Institut national des sciences appliquées de Rouen a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner solidairement les sociétés Quille, devenue Bouygues Bâtiment Grand Ouest, Raimond, Miroiterie de la Risle et Cigetec EMPB à lui verser, en réparation de dommages de travaux publics, la somme de 927 957,31 euros et d'actualiser cette somme à hauteur de 198 633,89 euros en application de l'indice BT 01, en indemnisation des désordres ayant affecté le bâtiment l'accueillant, construit sous maîtrise d'ouvrage de l'Etat entre 1995 et 1997. Par un jugement n° 1601892 du 7 février 2019, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19DA00811 du 20 juillet 2021, la cour administrative d'appel de Douai a, sur appel de l'Institut national des sciences appliquées de Rouen, en premier lieu, annulé le jugement du tribunal administratif, en deuxième lieu, mis hors de cause la société Cigetec EMPB Société Nouvelle, en troisième lieu, condamné solidairement la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, la société Raimond et la société Miroiterie de la Risle à verser à l'Institut national des sciences appliquées de Rouen une somme de 90 224,22 euros en indemnisation des préjudices subis, en quatrième lieu, condamné la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest à garantir la société Raimond et la société Miroiterie de la Risle à hauteur de 70 % des condamnations prononcées à leur encontre, en cinquième lieu, condamné la société Raimond à garantir la société Miroiterie de la Risle à hauteur de 20 % des condamnations prononcées à son encontre, en sixième lieu, condamné la société Miroiterie de la Risle à garantir la société Raimond à hauteur de 5 % des condamnations prononcées à son encontre, en septième lieu, condamné l'Etat à garantir la société Raimond à hauteur de 5 % des condamnations prononcées à son encontre, en huitième lieu, rejeté les conclusions réciproques d'appel en garantie des sociétés Bouygues Bâtiment Grand Ouest, Raimond et Miroiterie de la Risle comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître, en neuvième lieu, mis à la charge solidaire de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, de la société Raimond et de la société Miroiterie de la Risle les frais de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif de Rouen le 21 juin 2010, taxés et liquidés à hauteur de 49 771,92 euros et, en dernier lieu, rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 septembre et 20 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Miroiterie de la Risle demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Institut national des sciences appliquées de Rouen la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'éducation ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le décret n° 2011-1612 du 22 novembre 2011;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL le Prado-Gilbert, avocat de la société Miroiterie de la Risle, à la SCP Gadiou, Chevallier, avocat de l'Institut national des sciences appliquées de Rouen, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, anciennement Quille Construction, à la SCP Boutet-Hourdeaux, avocat de la société Raimond et à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de la société Cigetec - EMPB Société Nouvelle.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le bâtiment accueillant l'Institut national des sciences appliquées (INSA) de Rouen, situé sur le campus du Madrillet à Saint-Étienne-du-Rouvray, a été construit en 1995 sous la maîtrise d'ouvrage de l'Etat. Les travaux ont été exécutés par la société Quille, devenue société Bouygues Bâtiment Grand Ouest. D'importants désordres tenant à des infiltrations d'eau par la couverture et par les menuiseries extérieures ont été constatés dès la fin de l'année 1997. A la suite du dépôt d'un rapport d'expertise en 2003, la société Quille a conclu, le 30 janvier 2004, un protocole d'accord avec les deux assureurs des différents constructeurs ayant pris part aux travaux, par lequel elle s'est engagée, en échange du versement par les assureurs d'une somme de 3,4 millions d'euros, à prendre en charge les travaux de reprise des désordres. La société Quille a conclu, le 23 juillet 2004, un protocole d'accord avec l'Etat, représenté par le recteur de l'académie de Rouen, par lequel elle s'est engagée à effectuer les travaux de reprise des désordres visés en annexe au protocole tels que fixés par l'expert, et à fournir au rectorat un certain nombre de documents relatifs à l'exécution de ces travaux. Des travaux de reprise ont été réalisés à la demande de la société Quille, par les sociétés Raimond et Miroiterie de la Risle, sous maîtrise d'œuvre de la société Cigetec EMPB. Ces travaux de reprise ont été réceptionnés par le rectorat le 18 mai 2005. De nouveaux désordres ont toutefois été constatés à compter de la fin de l'année 2005. En 2010, le ministre de l'enseignement supérieur a sollicité une nouvelle expertise relative aux dommages constatés dans l'immeuble, à laquelle il a été fait droit par une ordonnance du 21 juin 2010 du juge des référés du tribunal administratif de Rouen. Les opérations d'expertise, étendues, à sa demande, à l'INSA de Rouen par une ordonnance du 7 janvier 2011, se sont déroulées de 2010 à 2015, le rapport d'expertise ayant été déposé le 4 août 2015.

2. Par une requête enregistrée le 30 mai 2016, l'INSA de Rouen a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner solidairement les quatre constructeurs ayant participé aux travaux de reprise réceptionnés le 18 mai 2005 à réparer les dommages qu'il a subis en sa qualité d'usager de l'ouvrage public appartenant à l'Etat. Par jugement du 7 février 2019, le tribunal administratif a rejeté sa demande comme irrecevable. Par un arrêt du 20 juillet 2021, contre lequel la société Miroiterie de la Risle se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Douai a, sur appel de l'INSA de Rouen, annulé le jugement du tribunal administratif, mis hors de cause la société Cigetec EMPB Société Nouvelle, condamné solidairement la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, la société Raimond et la société Miroiterie de la Risle à verser à l'INSA de Rouen une somme de 90 224,22 euros en indemnisation des préjudices subis et statué sur les appels en garantie des constructeurs entre eux ainsi que sur la charge des frais d'expertise. Eu égard à la teneur de son pourvoi, la société Miroiterie de la Risle doit être regardée comme ne contestant pas l'article 2 de l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Douai a mis hors de cause la société Cigetec EMPB Société Nouvelle, qui ne lui fait pas grief.

Sur le pourvoi :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 762-2 du code de l'éducation, dans sa rédaction applicable au litige : " Les établissements publics d'enseignement supérieur peuvent se voir confier, par l'Etat, la maîtrise d'ouvrage de constructions universitaires. / A l'égard de ces locaux comme de ceux qui leur sont affectés ou qui sont mis à leur disposition par l'Etat, les établissements d'enseignement supérieur relevant du ministre de l'éducation nationale ou du ministre de l'agriculture exercent les droits et obligations du propriétaire, à l'exception du droit de disposition et d'affectation des biens. / (...) ". L'article L. 711-1 du même code dispose que " les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel sont des établissements nationaux d'enseignement supérieur et de recherche jouissant de la personnalité morale et de l'autonomie pédagogique et scientifique, administrative et financière ". Les instituts nationaux des sciences appliquées sont, en vertu de l'article R. 715-2 du même code, des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel.

4. En second lieu, aux termes de l'article R. 2313-1 du code général de la propriété des personnes publiques, entré en vigueur le 25 novembre 2011 : " Les immeubles qui appartiennent à l'Etat sont mis à la disposition des services civils ou militaires de l'Etat et de ses établissements publics afin de leur permettre d'assurer le fonctionnement du service public dont ils sont chargés, dans les conditions prévues par une convention dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé du domaine ". Aux termes de l'article R. 2313-6 du même code : " Lorsqu'un immeuble ou une catégorie d'immeubles appartenant à l'Etat est affecté, attribué ou confié en gestion à un service de l'Etat ou à un établissement public de l'Etat en application de dispositions spéciales, les dispositions des articles R. 2313-1 à R. 2313-5 ne lui sont applicables que sur décision conjointe du ministre chargé du domaine et du ministre concerné. Cette décision précise les modalités juridiques et financières de la convention d'utilisation à conclure ". Aux termes de l'article 16 du décret du 22 novembre 2011 relatif aux première, deuxième, troisième et quatrième parties réglementaires du code général de la propriété des personnes publiques : " I. - L'utilisation des immeubles domaniaux qui ont fait l'objet d'une procédure d'affectation ou d'une attribution à titre de dotation antérieurement à la date du 1er janvier 2009 donne lieu à la conclusion d'une convention mentionnée à l'article R. 2313-1 du code général de la propriété des personnes publiques dans un délai de cinq ans à compter de cette date selon un échéancier fixé par le ministre chargé du domaine. / II. - Les dispositions des articles R. 81 à R. 91 du code du domaine de l'Etat, dans leur rédaction en vigueur à la date du 1er janvier 2009, demeurent applicables aux immeubles domaniaux qui ont fait l'objet d'une procédure d'affectation ou d'une attribution à titre de dotation antérieurement à cette date jusqu'à la conclusion de la convention mentionnée au I du présent article ".

5. S'il résulte des dispositions du code général de la propriété des personnes publiques citées au point précédent qu'en principe, l'affectation d'un ouvrage public ne confère pas à son bénéficiaire les droits et prérogatives de la maîtrise d'ouvrage, il en va différemment lorsque des dispositions spéciales prévoient un tel transfert. Tel est le cas des dispositions de l'article L. 762-2 du code de l'éducation dans leur rédaction applicable au litige, qui sont applicables à toute mise à disposition par l'Etat de locaux à un établissement d'enseignement supérieur relevant du ministère de l'éducation nationale. Par suite, en jugeant qu'il résultait de la convention du 1er janvier 2013 conclue en application des dispositions précitées du code général de la propriété des personnes publiques et du décret du 22 novembre 2011 que l'affectation de l'ensemble immobilier en cause était régie par les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques et en en déduisant que l'INSA de Rouen avait, à la date de l'introduction de sa demande devant le tribunal administratif de Rouen, la qualité d'usager de l'ensemble immobilier en cause et non celle de maître d'ouvrage, la cour administrative d'appel de Douai a commis une erreur de droit. La société Miroiterie de la Risle est donc fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, à l'exception de son article 2, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi.

Sur les conclusions présentées par la société Cigetec EMPB Société Nouvelle :

6. Le pourvoi de la société Miroiterie de la Risle a été communiqué à la société Cigetec EMPB Société Nouvelle, partie à l'instance devant la cour administrative d'appel de Douai et mise hors de cause par l'arrêt attaqué. Il ne comporte toutefois pas de conclusions dirigées contre cette société. Par suite, les conclusions principales de la société Cigetec EMPB Société Nouvelle tendant à être " mise hors de cause " dans la présente instance sont sans objet. Ses conclusions subsidiaires et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Miroiterie de la Risle qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'INSA de Rouen la somme de 3 000 euros à verser à la société Miroiterie de la Risle au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les articles 1er et 3 à 11 de l'arrêt du 20 juillet 2021 de la cour administrative d'appel de Douai sont annulés.

Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Douai.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Cigetec EMPB Société nouvelle sont rejetées.

Article 4 : L'Institut national des sciences appliquées de Rouen versera à la société Miroiterie de la Risle une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions présentées par l'INSA de Rouen au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société Miroiterie de la Risle, à l'Institut national des sciences appliquées de Rouen, à la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, à la société Raimond, à la société Cigetec EMPB Société Nouvelle et à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Copie en sera adressée à M. A... D..., liquidateur de la société D... et associés, et à Me Catherine Vincent, mandataire judiciaire de la société Acaum.

Délibéré à l'issue de la séance du 25 novembre 2022 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Géraud Sajust de Bergues, Mme Anne Courrèges, M. Benoît Bohnert, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. Didier Ribes, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 19 décembre 2022.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

Le rapporteur :

Signé : M. Didier Ribes

La secrétaire :

Signé : Mme Nadine Pelat


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 456845
Date de la décision : 19/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 19 déc. 2022, n° 456845
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Didier Ribes
Rapporteur public ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Avocat(s) : SARL LE PRADO – GILBERT ; SCP BOUTET-HOURDEAUX ; SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP GADIOU, CHEVALLIER ; SCP L. POULET-ODENT

Origine de la décision
Date de l'import : 29/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:456845.20221219
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