Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'institut national des sciences appliquées de Rouen a demandé au tribunal administratif de Rouen, sur le fondement des dommages de travaux publics, de condamner solidairement les sociétés Quille, devenue Bouygues Bâtiment Grand Ouest, Raimond, Miroiterie de la Risle et Cigetec EMPB à lui verser la somme de 927 957,31 euros et d'actualiser cette somme à hauteur de 198 633,89 euros en application de l'indice BT 01, en indemnisation des désordres ayant affecté le bâtiment l'accueillant, dont il est usager, construit sous maîtrise d'ouvrage de l'Etat entre 1995 et 1997.
Par un jugement n° 1601892 du 7 février 2019, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 5 avril, 10 octobre, 3 décembre 2019, 24 février et 19 mars 2020, l'institut national des sciences appliquées de Rouen, représenté par Me A... K..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner solidairement la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, venant aux droits de la société Quille, la société Raimond, la société Miroiterie de la Risle et la société Cigetec EMPB au versement d'une indemnité de 927 957,31 euros, actualisée à hauteur de 198 633,89 euros par application de l'indice BT 01 ;
3°) de mettre à la charge solidaire de ces sociétés une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'éducation ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
- la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 22 juin 2021 :
- le rapport de Mme Seulin, présidente de chambre,
- les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public,
- et les observations de Me B... J..., représentant l'institut national des sciences appliquées de Rouen, de Me C... D..., représentant la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest et de Me F... E..., représentant la société Miroiterie de la Risle.
Une note en délibéré, présentée pour l'institut national des sciences appliquées de Rouen, a été enregistrée le 7 juillet 2021.
Considérant ce qui suit :
1. L'institut national des sciences appliquées de Rouen est un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel ayant pour mission la formation initiale et continue d'ingénieurs de haute qualification pour toutes les branches de l'industrie, les laboratoires de recherche scientifique et industrielle ainsi que les services publics. Le bâtiment accueillant l'institut national des sciences appliquées de Rouen, situé sur le campus du Madrillet à Saint-Étienne-du-Rouvray, a été construit sous la maîtrise d'ouvrage de l'Etat représenté par le rectorat de Rouen en 1995. Les travaux ont été exécutés par la société Quille, devenue société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, en tant qu'entreprise générale de travaux et ont été réceptionnés par l'Etat en 1996 concernant la tranche ferme des travaux et en 1997 concernant la tranche conditionnelle. D'importants désordres tenant à des infiltrations d'eau par la couverture et par les menuiseries extérieures ont été constatés dès la fin de l'année 1997. A la suite du dépôt d'un rapport d'expertise en date du 29 août 2003, la société Quille a conclu, le 30 janvier 2004, un protocole d'accord avec les deux assureurs des différents constructeurs ayant pris part aux travaux, par lequel elle s'est engagée, en échange du versement par les assureurs d'une somme de 3,4 millions d'euros, à faire son affaire de la reprise en nature des désordres de fuites au travers de la couverture et d'infiltrations au travers des menuiseries extérieures. La société Quille a par la suite conclu le 23 juillet 2004 un protocole d'accord avec l'Etat, représenté par le rectorat de Rouen, par lequel elle s'est engagée à effectuer les travaux de reprise des désordres visés en annexe au protocole tels que fixés par l'expert, et à fournir au rectorat un certain nombre de documents relatifs à l'exécution de ces travaux. Des travaux de reprise ont été réalisés à la demande de la société Quille, par les sociétés Raimond et Miroiterie de la Risle, qui ont conclu à cet effet des contrats de sous-traitance avec la société Quille, respectivement le 21 juin et le 22 juillet 2004, et sous maîtrise d'œuvre de la société Cigetec EMPB, qui a conclu à cet effet un contrat de droit privé avec la société Quille. Ces travaux de reprise ont été réceptionnés par le rectorat de Rouen le 18 mai 2005.
2. De nouveaux désordres ont toutefois été constatés à compter de la fin de l'année 2005. En 2010, le ministre de l'enseignement supérieur a sollicité une nouvelle expertise relative aux dommages constatés dans l'immeuble, à laquelle il a été fait droit par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Rouen du 21 juin 2010. Les opérations d'expertise, étendues, à sa demande, à l'institut national des sciences appliquées de Rouen par une ordonnance du 7 janvier 2011, se sont déroulées de 2010 à 2015, le rapport d'expertise ayant été déposé le 4 août 2015. Par une requête enregistrée le 30 mai 2016, l'institut national des sciences appliquées de Rouen a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner solidairement, sur le fondement des dommages de travaux publics, les quatre constructeurs ayant participé aux travaux de reprise réceptionnés le 18 mai 2005 à réparer les dommages subis en sa qualité d'usager de l'ouvrage public appartenant à l'Etat. L'institut national des sciences appliquées de Rouen interjette régulièrement appel du jugement du 7 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande pour irrecevabilité. Par la voie de l'appel provoqué, la société Miroiterie de la Risle demande à être garantie de toute condamnation prononcée à son encontre par les sociétés Bouygues Bâtiment Grand Ouest, Raimond, Cigétec EMPB, I... et associés et Acaum. La société Cigétec EMPB Société Nouvelle demande à être garantie par la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest et, à titre subsidiaire, par les sociétés I..., Acaum, Raimond et Miroiterie de la Risle. La société Raimond demande à être garantie solidairement par l'Etat et par les sociétés Bouygues Bâtiment Grand Ouest, I... et associés, Acaum, Cigétec EMPB et Miroiterie de la Risle.
Sur les conclusions présentées par la société Cigetec EMPB Société Nouvelle et dirigées contre la société Cigétec EMPB :
3. Il résulte de l'instruction que la société Cigétec EMPB Société Nouvelle, créée le 18 avril 2005 et inscrite au registre du commerce et des sociétés à compter du 25 avril 2005, n'a pas participé aux travaux, réceptionnés le 18 mai 2005, à l'origine des désordres litigieux et ne vient pas aux droits de la société Cigétec EMPB, mise en redressement judiciaire le 25 janvier 2005, en liquidation judiciaire à compter du 2 février 2005 et radiée du registre du commerce et des sociétés le 19 septembre 2012 pour clôture d'insuffisance d'actifs. Il en résulte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions d'appel en garantie présentées par la société Cigétec EMPB Société Nouvelle à l'encontre des sociétés Bouygues Bâtiment Grand Ouest, I... et associés, Acaum et Miroiterie de la Risle.
4. Comme il vient d'être dit, la société Cigétec EMPB, maître d'œuvre des travaux de reprise du bâtiment consécutifs au rapport d'expertise du 29 août 2003 dans le cadre d'un contrat de droit privé conclu avec l'entreprise générale Quille aux droits de laquelle vient la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, a complètement disparu le 19 septembre 2012. Les conclusions de l'institut national des sciences appliquées de Rouen tendant à sa condamnation solidaire et les conclusions d'appel en garantie des société Miroiterie de la Risle et Raimond dirigées à son encontre sont, ainsi, irrecevables comme dépourvues d'objet.
Sur les conclusions indemnitaires présentées par l'institut national des sciences appliquées de Rouen :
En ce qui concerne la qualité pour agir :
4. D'une part, aux termes de l'article L. 762-2 du code de l'éducation, tel qu'applicable au litige en sa version issue de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1989 d'orientation sur l'éducation : " Les établissements publics d'enseignement supérieur peuvent se voir confier, par l'Etat, la maîtrise d'ouvrage de constructions universitaires. / A l'égard de ces locaux comme de ceux qui leur sont affectés ou qui sont mis à leur disposition par l'Etat, les établissements d'enseignement supérieur relevant du ministre de l'éducation nationale ou du ministre de l'agriculture exercent les droits et obligations du propriétaire, à l'exception du droit de disposition et d'affectation des biens. " Les instituts nationaux des sciences appliquées sont, selon l'article R. 715-2 du code de l'éducation, des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel auxquels s'applique le statut d'institut extérieur aux universités défini à l'article L. 715-1 du code de l'éducation. L'article L. 711-1 du code de l'éducation prévoit que " les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel sont des établissements nationaux d'enseignement supérieur et de recherche jouissant de la personnalité morale et de l'autonomie pédagogique et scientifique, administrative et financière ". Enfin, il résulte des dispositions de l'article L. 611-1 du même code que les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel définis au titre du Ier du livre VII sont des établissements d'enseignement supérieur qui relèvent du ministre chargé de l'enseignement supérieur alors même que certains d'entre eux tels que les instituts nationaux des sciences appliquées, disposent d'un statut d'institut extérieur aux universités.
5. D'autre part, aux termes de l'article R. 2313-1 du code général de la propriété des personnes publiques, entré en vigueur le 25 novembre 2011 : " Les immeubles qui appartiennent à l'Etat sont mis à la disposition des services civils ou militaires de l'Etat et de ses établissements publics afin de leur permettre d'assurer le fonctionnement du service public dont ils sont chargés, dans les conditions prévues par une convention dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé du domaine. " Aux termes de l'article R. 2313-6 du même code : " Lorsqu'un immeuble ou une catégorie d'immeubles appartenant à l'Etat est affecté, attribué ou confié en gestion à un service de l'Etat ou à un établissement public de l'Etat en application de dispositions spéciales, les dispositions des articles R. 2313-1 à R. 2313-5 ne lui sont applicables que sur décision conjointe du ministre chargé du domaine et du ministre concerné. Cette décision précise les modalités juridiques et financières de la convention d'utilisation à conclure. " Aux termes de l'article 16 du décret du 22 novembre 2011 relatif aux première, deuxième, troisième et quatrième parties réglementaires du code général de la propriété des personnes publiques : " I. - L'utilisation des immeubles domaniaux qui ont fait l'objet d'une procédure d'affectation ou d'une attribution à titre de dotation antérieurement à la date du 1er janvier 2009 donne lieu à la conclusion d'une convention mentionnée à l'article R. 2313-1 du code général de la propriété des personnes publiques dans un délai de cinq ans à compter de cette date selon un échéancier fixé par le ministre chargé du domaine. / II. - Les dispositions des articles R. 81 à R. 91 du code du domaine de l'Etat, dans leur rédaction en vigueur à la date du 1er janvier 2009, demeurent applicables aux immeubles domaniaux qui ont fait l'objet d'une procédure d'affectation ou d'une attribution à titre de dotation antérieurement à cette date jusqu'à la conclusion de la convention mentionnée au I du présent article. "
6. En l'espèce, il résulte de l'instruction que, par un arrêté ministériel en date du 29 février 2000, l'ensemble immobilier domanial sis lieudit La Mare Sansoure à Saint-Etienne du Rouvray a été attribué à titre de dotation à l'institut national des sciences appliquées de Rouen. D'une part, il ne résulte pas de cet arrêté qu'il ait eu pour fondement les dispositions précitées de l'article L. 762-2 du code de l'éducation, l'Etat s'étant au demeurant toujours présenté comme le maître d'ouvrage de l'ensemble immobilier en cause, notamment dans le cadre de l'action introduite devant le juge des référés du tribunal administratif de Rouen le 1er avril 2010 tendant à la prescription d'une nouvelle expertise relative aux désordres l'affectant. D'autre part, et en tout état de cause, il ne résulte d'aucune stipulation de la convention en date du 1er janvier 2013 conclue en application des dispositions précitées du code général de la propriété des personnes publiques et du décret du 22 novembre 2011, par laquelle l'Etat a mis à disposition de l'institut national des sciences appliquées de Rouen l'ensemble immobilier en cause et qui a succédé au régime d'affectation précédant résultant de l'arrêté du 29 février 2000, que l'Etat ait entendu fonder cette mise à disposition sur la disposition spéciale que constitue l'article L. 762-2 du code de l'éducation. La convention du 1er janvier 2013 est ainsi régie par le droit commun de la mise à disposition des immeubles appartenant à l'Etat à ses établissements publics. Il en résulte que l'institut national des sciences appliquées de Rouen ne pouvait être regardé, à la date de l'introduction de sa demande devant le tribunal administratif de Rouen, comme maître d'ouvrage de l'ensemble immobilier en cause en vertu des dispositions précitées de l'article L. 762-2 du code de l'éducation, mais qu'il revêtait la qualité de simple usager de cet ensemble immobilier. La circonstance que l'institut national des sciences appliquées de Rouen aurait pu, avant la signature de la convention du 1er janvier 2013, introduire la demande en cause en sa qualité de maître d'ouvrage, à la supposer établie, est en tout état de cause sans incidence sur sa faculté de saisir le juge en sa qualité résultant de son statut d'usager de l'ensemble immobilier mis à disposition par la convention du 1er janvier 2013.
7. Il résulte de ce qui précède que l'institut national des sciences appliquées de Rouen est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande pour irrecevabilité. Son jugement doit, par suite, être annulé.
8. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par l'institut national des sciences appliquées de Rouen devant le tribunal administratif de Rouen.
En ce qui concerne la prescription de l'action de l'institut national des sciences appliquées de Rouen :
9. Aux termes de l'article 2224 du code civil dans sa rédaction résultant de la loi du 17 juin 2008 : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. " Aux termes de l'article 2241 du même code : " La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription (...) ", l'article 2242 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, prévoyant que " l'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance ". En outre, aux termes de l'article 2239 du même code, dans sa rédaction issue de la même loi : " La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès. / Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée. " Il résulte de ce qui précède que la demande adressée à un juge de diligenter une expertise interrompt le délai de prescription jusqu'à l'extinction de l'instance et que, lorsque le juge fait droit à cette demande, le même délai est suspendu jusqu'à la remise par l'expert de son rapport au juge.
10. Aux termes de l'article 2244 du code civil, dans sa version antérieure à la loi du 17 juin 2008 : " Une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir " Alors même que l'article 2244 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 réservait ainsi un effet interruptif aux actes " signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire ", termes qui n'ont pas été repris par le législateur aux nouveaux articles 2239 et 2241 de ce code, il ne résulte ni des dispositions de la loi du 17 juin 2008 ni de ses travaux préparatoires que la réforme des règles de prescription résultant de cette loi aurait eu pour effet d'étendre le bénéfice de la suspension ou de l'interruption du délai de prescription à d'autres personnes que le demandeur à l'action, et notamment à l'ensemble des participants à l'opération d'expertise. La suspension de la prescription, en application de l'article 2239 du code civil, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, le cas échéant faisant suite à l'interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé, tend à préserver les droits de cette partie durant le délai d'exécution de cette mesure et ne joue qu'à son profit, et non, lorsque la mesure consiste en une expertise, au profit de l'ensemble des parties à l'opération d'expertise, sauf pour ces parties à avoir expressément demandé à être associées à la demande d'expertise et pour un objet identique.
11. Enfin, aux termes de l'article 26 de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : " (...) II. Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. "
12. En l'espèce, les désordres litigieux sont apparus après les travaux réceptionnés le 18 mai 2005, l'institut national des sciences appliquées de Rouen signalant, dès le 17 octobre 2005, de nouvelles infiltrations. A cette date, l'institut national des sciences appliquées de Rouen doit être regardé comme ayant eu connaissance des faits lui permettant d'exercer une action contentieuse, le délai de prescription étant alors, en vertu de l'ancien article 2262 du code civil, de trente ans. Ce délai, ramené à cinq ans par la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civil, a expiré, en application des dispositions précitées du II de l'article 26 de cette loi, le 19 juin 2013.
13. Il résulte cependant de l'instruction que, par un courrier du 22 novembre 2010, le directeur de l'institut national des sciences appliquées de Rouen a saisi l'expert désigné par l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Rouen du 21 juin 2010, sur le fondement de l'article R. 532-3 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce que la mission confiée à l'expert soit étendue à son contradictoire. Par une ordonnance du 7 janvier 2011, le juge des référés du tribunal a fait droit à cette demande. Il en résulte, conformément à ce qui a été dit aux points 9 et 10, que le délai de prescription a été interrompu au profit de l'institut national des sciences appliquées de Rouen à compter de cette date, pour courir à nouveau à compter du dépôt du rapport d'expertise le 4 août 2015. La demande de première instance de l'institut national des sciences appliquées de Rouen ayant été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Rouen le 30 mai 2016, elle n'était pas tardive. La fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de l'institut national des sciences appliquées de Rouen doit, par suite, être écartée.
En ce qui concerne la responsabilité :
14. En cas de dommage imputable à la conception et au fonctionnement d'un ouvrage public, les usagers peuvent rechercher directement la responsabilité solidaire des constructeurs de l'ouvrage, alors même que celui-ci a fait l'objet d'une réception définitive par le maître d'ouvrage à la date du dommage.
15. En l'espèce, il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise du 4 août 2015 que les désordres affectant l'ensemble immobilier mis à la disposition de l'institut national des sciences appliquées de Rouen consistent en des infiltrations d'eau au travers de la couverture et des modénatures situées sur les toits-terrasses. Ces infiltrations dégradent l'isolation en provoquant la chute des faux plafonds et peuvent être à l'origine de court-circuit, voire d'incendies, en cas d'infiltrations d'eau sur des circuits électriques ou des transformateurs. L'origine des désordres est l'insuffisante profondeur des chéneaux, les eaux pluviales débordant et s'infiltrant dans l'immeuble à travers la toiture, la mauvaise surveillance de la maîtrise d'œuvre d'exécution et la mauvaise exécution des travaux de reprise de la couverture.
16. Il résulte par ailleurs de l'instruction que dans le cadre d'un premier rapport d'expertise remis le 29 août 2003, l'expert avait fermement recommandé l'option consistant à surélever la toiture existante afin d'en accroître l'inclinaison et d'augmenter la taille des chéneaux, qualifiant toute autre option, et notamment celle consistant en une simple réparation des malfaçons, de " bricolage ". Malgré cette préconisation, il est constant que la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, alors-même qu'elle avait été indemnisée dans le cadre d'un protocole d'accord en date du 30 janvier 2004 conclu avec les assureurs des entreprises d'architecture et de travaux à hauteur d'une somme de 3,4 millions euros correspondant au coût des travaux préconisés par l'expert, s'est contentée de mettre en œuvre, dans le cadre d'un protocole d'accord conclu avec le rectorat de Rouen le 23 juillet 2004 et de contrats de sous-traitance conclus avec les sociétés Raimond et Miroiterie de la Risle et d'un contrat de droit privé conclu avec la société Cigétec EMPB, la solution prévoyant un simple remplacement des toitures, pour un coût de 1,15 million d'euros. Elle doit ainsi être regardée comme portant, à titre principal, la responsabilité des désordres apparus à la suite des travaux réalisés en exécution de ces contrats et qui, n'ayant pas mis un terme aux désordres constatés, ont donné lieu à la seconde expertise dont le rapport a été remis le 4 août 2015. Ce rapport estime que ces désordres trouvent également leur origine dans la mauvaise exécution des travaux de réfection de la toiture et de pose des châssis de toit par, respectivement, les sociétés Raimond et Miroiterie de la Risle et, d'autre part, dans la mauvaise surveillance exercée par la société Cigétec EMPB, maître d'œuvre.
17. Il résulte de ce qui précède que la responsabilité solidaire des sociétés Bouygues Bâtiment Grand Ouest, Raimond et Miroiterie de la Risle est engagée, sur le fondement des dommages de travaux publics, à l'égard de l'institut national des sciences appliquées de Rouen, usager du bâtiment subissant les désordres litigieux.
En ce qui concerne les préjudices :
18. En se bornant à soutenir que le coût des travaux de rénovation interne des bâtiments litigieux s'élève à la somme de 198 633,89 euros, alors que l'expert relève que l'institut national des sciences appliquées de Rouen n'a apporté " aucune justification " quant aux frais effectivement supportés et qu'il n'apporte en la présente instance aucun élément complémentaire, l'institut n'établit pas avoir conservé à sa charge le coût des travaux en cause ni, partant, la réalité du préjudice invoqué.
19. Il résulte de l'instruction que les infiltrations litigieuses sont à l'origine de la dégradation de divers matériels entreposés dans les locaux de l'institut national des sciences appliquées de Rouen référencés dans le cadre de la présence instance 1 à 13. Toutefois, l'institut produit des factures relatives à la réparation ou au remplacement des seuls appareils référencés 1, 4, 5, 6, 8 et 13 pour des montants respectifs de 3 266,49 euros, 17 940 euros, 1 310 euros, 4 650 euros, 9 685,21 euros et 4 363,01 euros, soit, au total 41 214,71 euros. La société Bouygues Bâtiment Grand Ouest n'apporte en outre aucun élément concret de nature à établir la nécessité d'affecter la valeur de ces matériels, d'un haut degré technologique, d'un coefficient de vétusté.
20. Il résulte des bulletins de salaire produits que le surcoût généré par la prolongation d'un agent contractuel, qui n'a pu mener ses travaux dans le délai initialement prévu en raison des désordres ayant affecté le bâtiment de l'institut national des sciences appliquées de Rouen de Rouen, s'élève à la somme de 29 000,51 euros.
21. Il résulte de l'instruction que, depuis la réception des travaux le 18 mai 2005, l'institut national des sciences appliquées de Rouen subit des infiltrations régulières rendant inutilisables une large partie de ses locaux. Il en résulte un préjudice de jouissance dont il sera fait une juste évaluation en lui accordant, à ce titre, une somme de 20 000 euros.
22. En revanche, l'institut national des sciences appliquées de Rouen n'établit pas, en se bornant à invoquer sa renommée internationale et l'aspect dégradé de certaines salles au cours de la visite d'une société de financement, la réalité du préjudice de notoriété qu'elle invoque.
23. Il résulte de ce qui précède que le montant des préjudices subis par l'institut national des sciences appliquées de Rouen en lien direct avec les désordres affectant la toiture du bâtiment à la suite des travaux réceptionnés le 18 mai 2005 s'élève à la somme de 90 224,22 euros.
En ce qui concerne les appels en garantie :
24. Le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé.
25. En l'espèce, il est constant que les sociétés Raimond et Miroiterie de la Risle ont agi en qualité de sous-traitants de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, avec laquelle elles étaient liées par un contrat de droit privé. Par suite, les conclusions d'appel en garantie réciproques de ces sociétés sont portées devant une juridiction incompétente pour en connaître et ne peuvent qu'être rejetées.
26. En revanche, en l'absence de relations contractuelles entre elles, les appels en garantie mutuellement dirigés par les sociétés Raimond et Miroiterie de la Risle l'une contre l'autre relèvent de la compétence de la juridiction administrative, ainsi que les appels en garantie dirigés par les sociétés Raimond et Miroiterie de la Risle contre les sociétés I... et associés, Acaum et contre l'Etat.
27. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et eu égard à ce qui a été dit au point 16, de regarder la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest comme responsable des dommages subis par l'institut national des sciences appliquées de Rouen à hauteur de 70 %, la société Raimond, qui a participé à la réalisation des travaux de remplacement des toitures en méconnaissance des préconisations du premier rapport d'expertise, à hauteur de 20 %, la société Miroiterie de la Risle à hauteur de 5 % et l'Etat, qui ne pouvait ignorer, en signant avec la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest le protocole d'accord du 23 juillet 2004, que les travaux à venir ne correspondaient pas aux recommandations de l'expert, à hauteur de 5 %. Il y a donc lieu de condamner la société Raimond à garantir la société Miroiterie de la Risle à hauteur de 20 % et de condamner la société Miroiterie de la Risle à garantir la société Raimond à hauteur de 5 % des condamnations prononcées à leur encontre. Il y a lieu également de condamner l'Etat à garantir la société Raimond à hauteur de 5 % des condamnations prononcées à son encontre. En revanche, la responsabilité des sociétés I... et associés et Acaum n'étant pas engagée dans le cadre des travaux de reprise de la toiture, les conclusions d'appel en garantie de la société Raimond et, en tout état de cause, celles de la société Miroiterie de la Risles, nouvelles en appel, dirigées contre ces deux sociétés doivent être rejetées.
Sur les dépens :
28. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise (...). / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute personne perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. "
29. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à la charge solidaire définitive de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, de la société Raimond et de la société Miroiterie de la Risle les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 49 771,92 euros toutes taxes comprises par l'ordonnance du président du tribunal administratif de Rouen du 11 septembre 2015 susvisée.
Sur les frais liés au litige :
30. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'institut national des sciences appliquées de Rouen, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, la société Cigetec EMPB Société Nouvelle, la société Raimond et la société Miroiterie de la Risle demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
31. Les mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société I... et associés et de la société Acaum, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, la somme que demande la société Raimond au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
32. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, de la société Raimond et de la société Miroiterie de la Risle une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par l'institut national des sciences appliquées de Rouen et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1601892 du tribunal administratif de Rouen du 7 février 2019 est annulé.
Article 2 : La société Cigétec EMPB Société Nouvelle est mise hors de cause.
Article 3 : La société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, la société Raimond et la société Miroiterie de la Risle sont condamnées solidairement à verser à l'institut national des sciences appliquées de Rouen une somme de 90 224,22 euros en indemnisation des préjudices subis.
Article 4 : La société Bouygues Bâtiment Grand Ouest garantira la société Raimond et la société Miroiterie de la Risle à hauteur de 70 % des condamnations prononcées à leur encontre.
Article 5 : La société Raimond garantira la société Miroiterie de la Risle à hauteur de 20 % des condamnations prononcées à son encontre.
Article 6 : La société Miroiterie de la Risle garantira la société Raimond à hauteur de 5 % des condamnations prononcées à son encontre.
Article 7 : L'Etat garantira la société Raimond à hauteur de 5 % des condamnations prononcées à son encontre.
Article 8 : Les conclusions réciproques d'appel en garantie des sociétés Bouygues Bâtiments Grand Ouest, Raimond et Miroiterie de la Risle sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Article 9 : La société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, la société Raimond et la société Miroiterie de la Risle verseront solidairement à l'institut national des sciences appliquées de Rouen une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 10 : Les frais de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif de Rouen le 21 juin 2010, taxés et liquidés à hauteur de 49 771,92 euros, sont laissés à la charge solidaire définitive de la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, de la société Raimond et de la société Miroiterie de la Risle.
Article 11 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 12 : Le présent arrêt sera notifié à l'institut national des sciences appliquées de Rouen, à la société Bouygues Bâtiment Grand Ouest, à la société Raimond, à la société Cigetec EMPB Société nouvelle, à la société Miroiterie de la Risle, à M. A... I..., liquidateur de la société I... et associés, à Me H... G..., mandataire judiciaire de la société Acaum et à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.
N°19DA00811 10