Vu la procédure suivante :
Par un jugement n° 1910206/6-1 du 22 janvier 2021, enregistré le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application des dispositions de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, en tant que serait concernée la sûreté de l'Etat, les conclusions de la requête de M. B... A....
Par cette requête, enregistrée le 14 mai 2019 au greffe du tribunal administratif de Paris, et un mémoire enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 25 mars 2021, M. A... demande :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision par laquelle a été rejetée sa demande d'accès aux données le concernant susceptibles de figurer dans les fichiers mis en œuvre par les services du renseignement territorial du ministère de l'intérieur ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui communiquer les données le concernant contenues dans ces fichiers dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision du Conseil d'Etat, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP L. Poulet-Odent, son avocat, au titre des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2005-1309 du 20 octobre 2005 ;
- le décret n° 2019-536 du 29 mai 2019 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une séance à huis-clos, d'une part, M. A... et la SCP L. Poulet-Odent, son avocat, et d'autre part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer et la Commission nationale de l'informatique et des libertés, qui ont été mis à même de prendre la parole avant les conclusions ;
Et après avoir entendu en séance :
- le rapport de M. Alexandre Lallet, conseiller d'Etat,
- et, hors la présence des parties, les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. En vertu de l'article 31 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l'Etat et intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique sont autorisés par arrêté du ou des ministres compétents, pris après avis motivé de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), publié avec l'arrêté autorisant le traitement. Ceux de ces traitements qui portent sur des données mentionnées au I de l'article 6 de la même loi doivent être autorisés par décret en Conseil d'Etat pris après avis motivé de la Commission, publié avec ce décret. Un décret en Conseil d'Etat peut dispenser de publication l'acte réglementaire autorisant la mise en œuvre de ces traitements. Le sens de l'avis émis par la CNIL est alors publié avec ce décret.
2. L'article L. 841-2 du code de la sécurité intérieure prévoit que le Conseil d'Etat est compétent pour connaître, dans les conditions prévues au chapitre III bis du titre VII du livre VII du code de justice administrative, des requêtes concernant la mise en œuvre du droit d'accès aux traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l'Etat et intéressant la sûreté de l'Etat ou la défense, dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat. En vertu de l'article R. 841-2 du même code, figurent notamment au nombre de ces traitements, pour les seules données intéressant la sûreté de l'Etat, les fichiers dits du " renseignement territorial " dénommés " Enquêtes administratives liées à la sécurité publique " (EASP), " Prévention des atteintes à la sécurité publique " (PASP) et " Gestion de l'information et prévention des atteintes à la sécurité publique " (GIPASP).
3. L'article L. 773-8 du code de justice administrative dispose que, lorsqu'elle traite des requêtes relatives à la mise en œuvre du droit d'accès mentionné au point 2, " la formation de jugement se fonde sur les éléments contenus, le cas échéant, dans le traitement sans les révéler ni révéler si le requérant figure ou non dans le traitement. Toutefois, lorsqu'elle constate que le traitement ou la partie de traitement faisant l'objet du litige comporte des données à caractère personnel le concernant qui sont inexactes, incomplètes, équivoques ou périmées, ou dont la collecte, l'utilisation, la communication ou la conservation est interdite, elle en informe le requérant, sans faire état d'aucun élément protégé par le secret de la défense nationale. Elle peut ordonner que ces données soient, selon les cas, rectifiées, mises à jour ou effacées. Saisie de conclusions en ce sens, elle peut indemniser le requérant ". L'article R. 773-20 du même code précise que : " Le défendeur indique au Conseil d'Etat, au moment du dépôt de ses mémoires et pièces, les passages de ses productions et, le cas échéant, de celles de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui sont protégés par le secret de la défense nationale. / Les mémoires et les pièces jointes produits par le défendeur et, le cas échéant, par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement sont communiqués au requérant, à l'exception des passages des mémoires et des pièces qui, soit comportent des informations protégées par le secret de la défense nationale, soit confirment ou infirment la mise en œuvre d'une technique de renseignement à l'égard du requérant, soit divulguent des éléments contenus dans le traitement de données, soit révèlent que le requérant figure ou ne figure pas dans le traitement. / Lorsqu'une intervention est formée, le président de la formation spécialisée ordonne, s'il y a lieu, que le mémoire soit communiqué aux parties, et à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves que celles mentionnées à l'alinéa précédent ".
4. Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier en date du 6 novembre 2017, M. B... A... a saisi la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) d'une demande d'accès aux données le concernant susceptibles de figurer dans les fichiers des services du renseignement territorial. Par deux courriers du 15 décembre 2017 et du 19 avril 2018, la présidente de la CNIL a indiqué à l'intéressé que les investigations concernant sa demande étaient toujours en cours, avant de l'informer, par un courrier en date du 12 septembre 2018, que sa demande était transférée au ministre de l'intérieur en application de l'article 32 du décret n° 2018-687 du 1er août 2018, dès lors qu'elle relevait du droit d'accès direct prévu par le chapitre XIII de la loi du 6 janvier 1978 alors applicable. Par une décision du 19 novembre 2018, le ministre de l'intérieur a informé M. A... de son refus de lui communiquer des données le concernant susceptibles de figurer dans ces mêmes fichiers, et l'a invité à exercer son droit d'accès par l'intermédiaire de la CNIL ou à saisir le tribunal administratif de Paris, conformément aux dispositions du IV de l'article 70-21 de la loi du 6 janvier 1978 alors en vigueur. M. A... a demandé l'annulation de ce refus au tribunal administratif de Paris, lequel a renvoyé au Conseil d'Etat le jugement des conclusions relatives aux données intéressant la sûreté de l'Etat susceptibles de figurer dans les fichiers du renseignement territorial en ce qui concerne le requérant.
5. En premier lieu, il ne peut être utilement soutenu, à l'appui de la contestation de la légalité d'une décision refusant l'accès aux données à caractère personnel susceptibles d'être conservées dans un traitement de données mentionné à l'article R. 841-2 du code de la sécurité intérieure, que cette décision ne serait pas suffisamment motivée.
6. En deuxième lieu, la dérogation apportée, par les dispositions citées au point 3, au caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle, qui a pour seul objet de porter à la connaissance des juges des éléments couverts par le secret de la défense nationale et qui ne peuvent dès lors être communiqués au requérant, permet à la formation spécialisée de statuer en toute connaissance de cause. Les pouvoirs dont elle est investie, pour instruire les requêtes, relever d'office toutes les illégalités qu'elle constate et enjoindre à l'administration de prendre toutes mesures utiles afin de remédier aux illégalités constatées, garantissent l'effectivité du contrôle juridictionnel de l'exercice du droit d'accès indirect aux données personnelles figurant dans des traitements intéressant la sûreté de l'Etat. Il n'en résulte, contrairement à ce qui est soutenu, aucune méconnaissance du droit au recours effectif garanti par les stipulations de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
7. En troisième et dernier lieu, le ministre de l'intérieur a communiqué au Conseil d'Etat, dans les conditions prévues à l'article R. 773-20 du code de justice administrative, les éléments susceptibles d'être relatifs à la situation de l'intéressé.
8. Il appartient à la formation spécialisée, créée par l'article L. 773-2 du code de justice administrative précité, saisie de conclusions dirigées contre le refus de communiquer les données relatives à une personne qui allègue être mentionnée dans un fichier figurant à l'article R. 841-2 du code de la sécurité intérieure, de vérifier, au vu des éléments qui lui ont été communiqués hors la procédure contradictoire, si le requérant figure ou non dans le fichier litigieux. Dans l'affirmative, il lui appartient d'apprécier si les données y figurant sont pertinentes au regard des finalités poursuivies par ce fichier, adéquates et proportionnées. Pour ce faire, elle peut relever d'office tout moyen ainsi que le prévoit l'article L. 773-5 du code de justice administrative. Lorsqu'il apparaît soit que le requérant n'est pas mentionné dans le fichier litigieux soit que les données à caractère personnel le concernant qui y figurent ne sont entachées d'aucune illégalité, la formation de jugement rejette les conclusions du requérant sans autre précision. Dans le cas où des informations relatives au requérant figurent dans le fichier litigieux et apparaissent entachées d'illégalité soit que les données à caractère personnel le concernant sont inexactes, incomplètes, équivoques ou périmées soit que leur collecte, leur utilisation, leur communication ou leur consultation est interdite, elle en informe le requérant sans faire état d'aucun élément protégé par le secret de la défense nationale. Cette circonstance, le cas échéant relevée d'office par le juge dans les conditions prévues à l'article R. 773-21 du code de justice administrative, implique nécessairement que l'autorité gestionnaire du fichier rétablisse la légalité en effaçant ou en rectifiant, dans la mesure du nécessaire, les données illégales. Dans pareil cas, doit être annulée la décision implicite refusant de procéder à un tel effacement ou à une telle rectification.
9. La formation spécialisée a procédé à l'examen des éléments fournis par le ministre. Cet examen, qui s'est déroulé selon les modalités décrites au point précédent, n'a révélé aucune illégalité, notamment au regard du droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la loi du 6 janvier 1978. Par suite, les conclusions de M. A... doivent être rejetées, y compris ses conclusions à fins d'injonction et celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 décembre 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président de la formation spécialisée, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et M. Alexandre Lallet, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 16 décembre 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Alexandre Lallet
Le secrétaire :
Signé : M. Valéry Cerandon-Merlot