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13/12/2022 | FRANCE | N°461501

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 13 décembre 2022, 461501


Par une requête enregistrée le 15 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la note de service MENH2130314C du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports du 20 décembre 2021 relative à l'affectation des personnels dans les établissements d'enseignement français en Principauté d'Andorre pour l'année scolaire 2022-2023 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
>Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention...

Par une requête enregistrée le 15 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la note de service MENH2130314C du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports du 20 décembre 2021 relative à l'affectation des personnels dans les établissements d'enseignement français en Principauté d'Andorre pour l'année scolaire 2022-2023 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre dans le domaine de l'enseignement (ensemble deux annexes), signée à Paris le 11 juillet 2013, approuvée par la loi n° 2015-854 du 15 juillet 2015, ratifiée et publiée au Journal officiel de la République française par le décret n° 2015-1190 du 25 septembre 2015 ;

- le code de l'éducation ;

- le code général de la fonction publique ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 95-313 du 21 mars 1995 ;

- l'arrêté du 16 janvier 2001 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., professeur certifié d'arts plastiques affecté au collège Luis Ortiz de Saint-Dizier (Haute-Marne) et ayant sollicité, en vain, sa mutation dans un établissement d'enseignement français de la Principauté d'Andorre en vue de se rapprocher de sa conjointe, demande l'annulation pour excès de pouvoir de la note de service du 20 décembre 2021 par laquelle le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports a défini, notamment à l'intention des recteurs d'académie, les règles et procédures relatives à l'affectation des personnels dans les établissements français en Principauté d'Andorre pour la rentrée scolaire de septembre 2022.

Sur le cadre juridique :

2. De première part, aux termes des stipulations de l'article 1er de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre dans le domaine de l'enseignement signée à Paris le 11 juillet 2013 : " Les établissements d'enseignement français dans la Principauté d'Andorre contribuent au développement de l'éducation dans la Principauté, en y assurant un enseignement français de qualité, dans le respect de l'identité andorrane. (...) ". Aux termes des stipulations de l'article 4 de cette même convention : " Pour assurer leur mission, les établissements d'enseignement français de la Principauté d'Andorre font appel à toutes les catégories de personnels de l'enseignement public qui dépendent du ministère français chargé de l'éducation nationale, qu'ils soient de nationalité française, andorrane, d'un Etat membre de l'Union européenne ou de tout Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen. / Ces personnels doivent remplir, pour exercer leurs fonctions, les conditions exigées pour exercer dans les établissements homologues de France, notamment être titulaires des titres français requis. / Une Commission nationale d'affectation des personnels de l'éducation nationale en Andorre placée auprès du ministère français chargé de l'éducation nationale examine et donne un avis sur les candidatures des personnels à un poste en Andorre. La composition et les attributions de cette commission sont définies par décret. " Aux termes de l'article 5 de cette convention : " Les personnels mentionnés à l'article 4 de la présente convention sont soumis aux règles statutaires les régissant, notamment en ce qui concerne les nominations, les mutations et la gestion des carrières, sous réserve des dispositions particulières fixées à l'article 6 de la présente convention. " Enfin, aux termes de son article 6 : " Les fonctionnaires du ministère français chargé de l'éducation nationale, ressortissants de nationalité andorrane ou ressortissants des Etats membres de l'Union européenne ainsi que de tout Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen qui résident légalement dans la Principauté, bénéficient lors de leur première affectation dans la Principauté d'Andorre d'une priorité de nomination sur un poste vacant dans les établissements d'enseignement français d'Andorre. En cas d'un départ de la Principauté et d'une demande de retour, il appartiendra à la Commission nationale d'affectation des personnels de l'éducation nationale en Andorre, prévue à l'article 4 de la présente convention, de donner un avis sur l'octroi éventuel d'une nouvelle priorité. (...) ".

3. Les stipulations, citées au point précédent, de la convention bilatérale signée le 11 juillet 2013, qui a été régulièrement introduite dans l'ordre juridique interne conformément à l'article 55 de la Constitution dès lors qu'elle a été approuvée par la loi du 15 juillet 2015 puis ratifiée et publiée au Journal officiel de la République française par le décret du 25 septembre 2015, sont dotées d'effet direct dès lors que, notamment, elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre ces deux Etats et ne requièrent pas l'intervention d'acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers.

4. De deuxième part, aux termes de l'article D. 911-53 du code de l'éducation : " Peuvent être affectés dans les établissements d'enseignement français de la Principauté d'Andorre les personnels de l'enseignement public de toutes catégories relevant du ministre français de l'éducation nationale, de nationalité française ou andorrane, dans les conditions fixées par la convention du 24 septembre 2003 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre dans le domaine de l'enseignement. " Aux termes de l'article D. 911-54 du même code : " Les nominations en Andorre des agents titulaires ou stagiaires visés à l'article D. 911-53 sont prononcées par le ministre français chargé de l'éducation, après avis de la commission nationale d'affectation prévue à l'annexe I de la convention du 24 septembre 2003 mentionnée à l'article D. 911-53, comprenant : / 1° Le délégué à l'enseignement en Principauté d'Andorre ; / 2° Un représentant du coprince d'Andorre ; / 3° Dix représentants du ministre de la République française chargé de l'éducation nationale ; / 4° Dix représentants des personnels désignés sur proposition des organisations syndicales des personnels de l'éducation nationale les plus représentatives. / Les règles relatives au fonctionnement de cette commission et à la désignation des représentants des personnels sont arrêtées par le ministre de la République française chargé de l'éducation. " Enfin, aux termes de l'article D. 911-55 de ce code : " Le territoire de la Principauté d'Andorre est considéré du point de vue du mouvement et de la gestion des personnels de l'éducation nationale comme une circonscription particulière. / La gestion des agents nommés en Andorre dans les conditions prévues à l'article D. 911-53 demeure assurée par l'autorité administrative qui en avait la charge avant cette nouvelle affectation. (...) ".

5. De dernière part, aux termes de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, alors applicable et depuis lors codifié aux articles L. 512-18 à L. 512-22 du code général de la fonction publique : " I. - L'autorité compétente procède aux mutations des fonctionnaires en tenant compte des besoins du service. / II. - Dans toute la mesure compatible avec le bon fonctionnement du service et sous réserve des priorités instituées à l'article 62 bis, les affectations prononcées tiennent compte des demandes formulées par les intéressés et de leur situation de famille. Priorité est donnée : / 1° Au fonctionnaire séparé de son conjoint pour des raisons professionnelles, ainsi qu'au fonctionnaire séparé pour des raisons professionnelles du partenaire avec lequel il est lié par un pacte civil de solidarité (...) ; / 2° Au fonctionnaire en situation de handicap (...) ; / 3° Au fonctionnaire qui exerce ses fonctions, pendant une durée et selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat, dans un quartier urbain où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles. / 4° Au fonctionnaire qui justifie du centre de ses intérêts matériels et moraux dans une des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution ou en Nouvelle-Calédonie ; / 5° Au fonctionnaire, y compris relevant d'une autre administration, dont l'emploi est supprimé et qui ne peut être réaffecté sur un emploi correspondant à son grade dans son service. / IV. - Les décisions de mutation tiennent compte, dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat, des lignes directrices de gestion en matière de mobilité prévues à l'article 18 de la présente loi. / Dans le cadre de ces lignes directrices, l'autorité compétente peut, sans renoncer à son pouvoir d'appréciation, définir des critères supplémentaires établis à titre subsidiaire. Elle peut notamment conférer une priorité au fonctionnaire ayant exercé ses fonctions pendant une durée minimale dans un territoire ou dans une zone rencontrant des difficultés particulières de recrutement ou au fonctionnaire ayant la qualité de proche aidant au sens de la sous-section 3 de la section 1 du chapitre II du titre IV du livre Ier de la troisième partie du code du travail. / V. - Dans les administrations ou services dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat, les mutations peuvent être prononcées dans le cadre de tableaux périodiques de mutations. Dans les administrations ou services où sont dressés des tableaux périodiques, l'autorité compétente peut procéder à un classement préalable des demandes de mutation à l'aide d'un barème rendu public. Le recours à un tel barème constitue une mesure préparatoire et ne se substitue pas à l'examen de la situation individuelle des agents. Ce classement est établi dans le respect des priorités définies au II du présent article ". Pour l'application des dispositions du 3° du II de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 précité, ont été édictés le décret du 21 mars 1995 relatif au droit de mutation prioritaire et au droit à l'avantage spécifique d'ancienneté accordés à certains agents de l'Etat affectés dans les quartiers urbains particulièrement difficiles et l'arrêté du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, du ministre de l'éducation nationale, du ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat et du ministre délégué à la ville du 16 janvier 2001 fixant la liste des écoles et des établissements d'enseignement ouvrant droit à ces avantages pour les fonctionnaires relevant du ministre chargé de l'éducation nationale.

6. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que les stipulations de l'article 5 de convention bilatérale du 11 juillet 2013 renvoient, sous réserve des priorités instituées à l'article 6 au bénéfice des fonctionnaires de l'éducation nationale soit de nationalité andorrane, soit d'une autre nationalité d'un Etat européen et résidant légalement en Principauté d'Andorre, aux dispositions statutaires applicables aux personnels de l'éducation nationale. En outre, les dispositions du 1° au 5° du II de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat prévoient que les fonctionnaires, satisfaisant au moins un des cinq critères qu'elles énoncent, bénéficient d'une priorité pour l'examen de leur demande, dans la mesure compatible avec le fonctionnement du service. Parmi ces cinq critères figurent notamment le rapprochement familial, la situation de handicap et l'exercice de fonctions dans un quartier urbain où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles. Enfin, le V de ce même article 60 dispose que lorsqu'il est recouru à un classement préalable des demandes de mutations à l'aide d'un barème, ce classement est établi dans le respect des priorités définies au II. Il s'ensuit que le mouvement d'affectation de personnels de l'éducation nationale dans les établissements d'enseignement français de la Principauté d'Andorre doit respecter tant les priorités instituées par la convention bilatérale que l'ensemble de celles prévues par le II de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984.

Sur la requête :

7. Il ressort des pièces du dossier que la note de service du 20 décembre 2021, mentionnée au point 1, a pour objet de préparer le mouvement d'affectation de personnels de l'éducation nationale dans les établissements d'enseignement français de la Principauté d'Andorre en septembre 2022. A cet effet, elle dresse la liste des postes vacants ou susceptibles de l'être dans ces établissements, les modalités de candidature, notamment pour les personnels du second degré de l'éducation nationale et, après avoir rappelé l'existence de critères de priorité fixés par la convention bilatérale du 11 juillet 2013 et l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984, expose les conditions dans lesquelles ces candidatures seront classées, à l'aide d'un barème qu'elle établit. Ce barème prévoit, pour ces mêmes personnels, que le nombre de points attribués à chaque agent qui présente sa candidature est le suivant : " 1. 1ère affectation en Andorre d'un candidat de nationalité andorrane ou résidant en Andorre : 1 000 points ; / 2. Nationalité andorrane ou résidence dans la principauté : 1 000 points ; / 3. Rapprochement de conjoint : 500 points (non cumulable avec une déclaration de résidence en Andorre) ; / 4. Formation FLE/FLS [français langue étrangère/français langue seconde] : 20 points ; / 5. Ancienneté de service : / - classe normale : 7 points par échelon (21 points minimum pour les 1er, 2e, 3e échelons) ; / - hors classe : 7 points par échelon (21 points minimum pour les 1er, 2e, 3e échelons) ; /- classe exceptionnelle : 7 points par échelon + 77 points forfaitaires dans la limite de 105 points. / 6. Stabilité dans le poste : / - 10 points par année de service dans le poste actuel ou dans le dernier poste occupé avant disponibilité ou congé 25 points par tranche de 4 années (année scolaire en cours prise en compte ". 7 points par échelon (+ un forfait si hors classe ou classe exceptionnelle) ; / 5. 10 points par année de service dans le même poste + un forfait toutes les 4 années d'ancienneté (...) ".

8. Il ressort des pièces du dossier que le barème, cité au point précédent, arrêté par la note de service attaquée, s'il reprend, outre les priorités instituées par la convention bilatérale du 11 juillet 2013, la priorité prévue par l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 pour les demandes de mutation pour rapprochement familial, ne comporte aucune bonification pour les autres priorités résultant de cet article. Compte tenu de ce qui a été dit au point 6, il a, dès lors, été institué en méconnaissance des dispositions de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984, auxquelles renvoie, notamment, l'article 5 de la convention bilatérale du 11 juillet 2013 et est, par suite, entaché, pour ce motif, d'illégalité.

9. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête, M. B... est fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la note de service qu'il attaque dont les dispositions sont indivisibles.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La note de service du 20 décembre 2021 du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports est annulée.

Article 2 : L'Etat versera à M. B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 461501
Date de la décision : 13/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 13 déc. 2022, n° 461501
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Catherine Fischer-Hirtz
Rapporteur public ?: M. Jean-François de Montgolfier

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:461501.20221213
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