La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/12/2022 | FRANCE | N°462393

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 09 décembre 2022, 462393


Vu les procédures suivantes :

Par une ordonnance du 14 mai 2021, le tribunal de première instance de Papeete a sursis à statuer et saisi le tribunal administratif de la Polynésie française de l'appréciation de la légalité de l'arrêté n° 642 CM du 17 avril 2014 rendant exécutoire la délibération n°18-014 CHPF du 20 février 2014 du Centre hospitalier de la Polynésie française (CHPF) fixant les nouveaux tarifs applicables pour l'année 2014.

Par un jugement n° 2100446 du 1er mars 2022, le tribunal administratif de la Polynésie française a déclaré illégal cet

arrêté.

1° Sous le n° 462393, par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistré...

Vu les procédures suivantes :

Par une ordonnance du 14 mai 2021, le tribunal de première instance de Papeete a sursis à statuer et saisi le tribunal administratif de la Polynésie française de l'appréciation de la légalité de l'arrêté n° 642 CM du 17 avril 2014 rendant exécutoire la délibération n°18-014 CHPF du 20 février 2014 du Centre hospitalier de la Polynésie française (CHPF) fixant les nouveaux tarifs applicables pour l'année 2014.

Par un jugement n° 2100446 du 1er mars 2022, le tribunal administratif de la Polynésie française a déclaré illégal cet arrêté.

1° Sous le n° 462393, par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 mars et 29 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Polynésie française demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de constater la légalité de l'arrêté n° 642 CM du 17 avril 2014 ;

3°) de mettre à la charge de la société Generali Tahiti la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 462394, par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 16 mars et 1er octobre 2022, la Polynésie française demande au Conseil d'Etat d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du 1er mars 2022 du tribunal administratif de la Polynésie française et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société Generali Tahiti au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

3° Sous le n° 462466, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 mars, 19 avril et 26 septembre 2022, le Centre hospitalier de la Polynésie française demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 1er mars 2022 du tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions présentées devant le tribunal administratif de la Polynésie française ;

3°) de mettre à la charge des défendeurs au pourvoi la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

4° Sous le n° 463025, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 avril, 25 avril et 19 octobre 2022, la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 1er mars 2022 du tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) réglant l'affaire au fond, de déclarer que l'arrêté du 17 avril 2014 est légal ;

3°) de mettre à la charge de la société Generali Tahiti la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- l'arrêté n° 999 CM du 12 septembre 1988 ;

- la délibération n° 98-163 APF du 15 octobre 1998 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Alexandra Bratos, auditrice,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Doumic-Seiller, avocat de la Présidence de la Polynésie française, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat du centre hospitalier de la Polynésie française et à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française ;

Considérant ce qui suit :

1. Le pourvoi et la requête aux fins de sursis à exécution de la Polynésie française, le pourvoi du Centre hospitalier de la Polynésie française et celui de la caisse de prévoyance sociale de Polynésie française sont dirigés contre le même jugement du tribunal administratif de Polynésie française. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Le Centre hospitalier de la Polynésie française ayant reçu communication de la requête n° 462394 et du pourvoi n° 463025, les mémoires présentés au nom de cet établissement public constituent non des interventions mais des observations en réponse à cette communication.

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'en 2017, M. C... B... a saisi le tribunal de première instance de Papeete afin de faire condamner Mme D... A... et la compagnie Generali à réparer les dommages consécutifs à l'accident qu'il a subi le 23 décembre 2014 du fait de la chute d'un portail. Mme A... et la compagnie Generali ont alors fait valoir que l'arrêté n° 642CM du 17 avril 2014, rendant exécutoire la délibération n° 18-014 CHPF du 20 février 2014 du Centre hospitalier de la Polynésie française fixant les nouveaux tarifs applicables pour l'année 2014, sur la base duquel ils étaient susceptibles de devoir réparer les préjudices subis par M. B..., était illégal. Par une ordonnance du 14 mai 2021, le tribunal civil de première instance de Papeete a transmis au tribunal administratif une question préjudicielle relative à la légalité de l'arrêté du 17 avril 2014 " au regard des principes constitutionnels d'égalité devant les charges publiques et devant le service public, ainsi qu'au principe de réparation intégrale du préjudice subi, en ce qu'il soumet les tiers responsables et leurs assureurs au paiement d'un tarif à la fois supérieur au tarif appliqué aux ressortissants de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, supérieur aux dépenses effectivement exposées par cette caisse à travers sa dotation globale et supérieur au coût réel et donc supérieur au préjudice subi ", et a sursis à statuer dans l'attente de la réponse. Par un jugement du 1er mars 2022, le tribunal administratif de la Polynésie française a jugé que les tarifs fixés par l'arrêté du 17 avril 2014 étaient manifestement surévalués et déconnectés du service rendu, que l'arrêté attaqué méconnaissait le principe d'égalité des usagers devant le service public et l'a déclaré illégal. Sous les numéros 462393, 462466 et 463025, la Polynésie française, le Centre hospitalier de la Polynésie française et la caisse de prévoyance sociale de Polynésie française demandent l'annulation de ce jugement tandis que, sous le numéro 462394, la Polynésie française demande qu'il soit sursis à son exécution.

Sur le cadre juridique applicable au litige :

4. L'article 2 de la délibération n° 98-163 APF du 15 octobre 1998 relative à la maîtrise de l'évolution des dépenses des établissements de santé dispose que : " la prise en charge des régimes de protection sociale, des soins dispensés dans les établissements publics hospitaliers prend la forme de dotations globales (...) La dotation globale principale finance forfaitairement : / l'hospitalisation complète (...) Une dotation globale spécifique finance forfaitairement les activités d'urgence et d'évacuation sanitaire (...) Leur montant est déterminé annuellement par conventions conclues entre les régimes de protection sociale et l'établissement public hospitalier (...) Sont exclus des dispositions du présent article les soins dispensés aux ressortissants de la sécurité sociale, pour lesquels une facture spécifique intervient, selon une tarification fixée par arrêté pris en conseil des ministres ". Aux termes de l'article 61 de l'arrêté n° 999 CM du 12 septembre 1988 relatif à l'organisation, au fonctionnement et aux règles financières, budgétaires et comptables du Centre hospitalier territorial de la Polynésie française : " La détermination des prix de revient prévisionnels a pour but de préparer les propositions de tarifs applicables pour l'exercice à venir. / Ils servent de base à la détermination des prix de journée ; viennent s'y ajouter les majorations au titre : / - de provisions ; / - de charges sur exercices antérieurs ; / - de charges exceptionnelles ; / - de l'éventuel déficit du dernier exercice connu. / Les prix de journée sont fixés, sur proposition du conseil d'administration, par arrêté du conseil des ministres (...) Les propositions de prix de journée doivent être soumises au conseil des ministres avant le 15 octobre ". La délibération n° 18-014 CHPF du 20 février 2014, rendue exécutoire par l'arrêté n° 642 CM du 17 avril 2014, fixe ainsi les prix de journée d'hospitalisation et complète les tarifs des autres prestations de soins applicables aux personnes ne relevant pas du régime des salariés, du régime des non-salariés ou du régime de solidarité de la Polynésie française. Ces tarifs s'appliquent ainsi, pour l'année 2014, aux patients non ressortissants de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, correspondant essentiellement aux personnes affiliées à la sécurité sociale métropolitaine.

Sur la régularité du jugement attaqué :

5. En premier lieu, si le jugement attaqué relève que les tarifs fixés par l'arrêté attaqué ont été établis en méconnaissance de l'arrêté du conseil des ministres du 12 septembre 1988 mentionné au point 4, il résulte de ses énonciations mêmes qu'il ne s'est pas prononcé sur la question de la légalité de l'arrêté du 14 avril 2014 au regard de l'arrêté du 12 septembre 1988. Par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal administratif de la Polynésie française aurait méconnu son office en se prononçant sur une question qui ne lui était pas soumise ne peut qu'être écarté.

6. En second lieu, s'il est soutenu que le tribunal administratif aurait omis de répondre à la question de la légalité de l'arrêté du 14 avril 2014 au regard du " principe de réparation intégrale du préjudice subi ", il résulte des termes mêmes du jugement attaqué que celui-ci a considéré que les tarifs fixés par l'arrêté du 17 avril 2014 étaient manifestement surévalués et déconnectés du service rendu, répondant ainsi à la question posée par le tribunal civil de première instance de Papeete.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

7. En premier lieu, il ressort des énonciations du jugement attaqué qu'à partir de 2010, dans un contexte de forte contrainte de financement provoquée à la fois par une baisse des dotations globales de fonctionnement et une augmentation des charges auxquelles il devait faire face, le Centre hospitalier de la Polynésie française a été conduit à augmenter de manière significative les tarifs applicables aux non-ressortissants de la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, certains tarifs ayant plus que doublé. En relevant, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que cette augmentation continue provoquée par les difficultés financières de l'établissement n'était pas justifiée par une hausse des coûts de revient, ni calculée dans les conditions prévues par l'article 61 de l'arrêté du 12 septembre 1988, quand bien même les requérants détaillaient devant lui certaines charges supplémentaires auxquelles était confronté le Centre hospitalier, et qu'elle aboutissait à des tarifs devant être regardés comme manifestement surévalués et déconnectés du service rendu, le tribunal administratif de la Polynésie française, qui a suffisamment motivé son jugement, n'a pas commis d'erreur de droit.

8. En deuxième lieu, il ressort des énonciations du jugement attaqué qu'en citant la décision Natiki n° 15/00162 du 18 avril 2019 de la cour d'appel de Papeete en tant qu'elle a reconnu " fiable " l'outil " programme de médicalisation des systèmes d'information " (PMSI) pour le calcul des tarifs d'hospitalisation des résidents polynésiens ressortissant de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, le tribunal administratif, qui a seulement entendu rappeler que ces tarifs, utilisés notamment pour le calcul du préjudice subi dans le cadre d'actions subrogatoires, étaient très largement inférieurs aux tarifs appliqués aux non-ressortissants, a suffisamment motivé sa décision et n'a pas entaché son jugement de dénaturation ou d'erreur de droit, alors même que des décisions judiciaires ultérieures ont retenu que l'outil PMSI pouvait aboutir lui-même à des tarifs sous-évalués, sans d'ailleurs remettre en cause le constat de la surévaluation de la tarification applicable aux non-ressortissants.

9. En troisième lieu, la fixation de tarifs différents applicables, pour un même service rendu, à diverses catégories d'usagers d'un service public implique, à moins qu'elle ne soit la conséquence nécessaire d'une loi, soit qu'il existe entre les usagers des différences de situation appréciables, soit qu'une nécessité d'intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation du service ou de l'ouvrage commande cette mesure. Elle suppose, dans l'un comme l'autre cas, que la différence de tarifs ainsi instituée ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des circonstances ou des objectifs qui la motivent. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la prise en compte d'écarts de charges entre usagers était inopérante au motif que la différence de traitement introduite par l'arrêté du 17 avril 2014 procédait d'une nécessité d'intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation du service. Ensuite, c'est par une appréciation souveraine, rappelée aux points 7 et 8, exempte de dénaturation que le tribunal a retenu que la différence de traitement introduite par l'arrêté contesté entre les ressortissants et les non-ressortissants de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, caractérisée par une augmentation constante et importante des seuls tarifs applicables à ces derniers, était d'une ampleur telle qu'elle excédait ce que permettait, eu égard aux exigences du principe d'égalité devant le service public, la prise en compte des considérations d'intérêt général tenant à la préservation des capacités de financement des missions de service publics administratif du Centre hospitalier de la Polynésie française et de la caisse de prévoyance sociale. Les requérants ne contestent d'ailleurs pas que cette augmentation, déliée du prix de revient des interventions pratiquées visait avant tout à compenser l'augmentation des charges d'exploitation du Centre hospitalier dans un contexte de baisse des dotations de fonctionnement et ne résultait pas d'une augmentation du coût des interventions.

10. Il découle de tout ce qui précède que les pourvois de la Polynésie française, du Centre hospitalier de la Polynésie française et de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française doivent être rejetés, y compris, par voie de conséquence, leurs conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Polynésie française, du Centre hospitalier de la Polynésie française et de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française la somme de 1 000 euros à verser chacun à la société Generali Tahiti au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

12. Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions aux fins de sursis à exécution de la décision attaquée.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les pourvois de la Polynésie française, du Centre hospitalier de la Polynésie française et de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française sont rejetés.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 462394 de la Polynésie française tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de la Polynésie française du 1er mars 2022.

Article 3 : La Polynésie française, le Centre hospitalier de la Polynésie française et la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française verseront chacun la somme de 1 000 euros à la société Generali Tahiti au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Polynésie française, au Centre hospitalier de Polynésie française, à la Caisse de prévoyance sociale de Polynésie française, à la société Generali Tahiti, à M. C... B... et à Mme D... A....

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au haut-commissaire de la République en Polynésie française.

Délibéré à l'issue de la séance du 25 novembre 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, Mme Isabelle Lemesle, M. Nicolas Polge, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et Mme Alexandra Bratos, auditrice-rapporteure et conseiller d'Etat.

Rendu le 9 décembre 2022.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Alexandra Bratos

La secrétaire :

Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 462393
Date de la décision : 09/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Appréciation de la légalité

Publications
Proposition de citation : CE, 09 déc. 2022, n° 462393
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Alexandra Bratos
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : SCP DOUMIC-SEILLER ; SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS ; SCP DUHAMEL - RAMEIX - GURY- MAITRE ; SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO et GOULET

Origine de la décision
Date de l'import : 11/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:462393.20221209
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award