Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 460749, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 janvier, 11 mars et 7 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Zeop Mobile demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les décisions de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) du 14 décembre 2021, révélées par son communiqué de presse du 15 décembre 2021 relatif aux résultats des enchères principales en bande 700 MHz pour l'attribution de fréquences à La Réunion et à Mayotte, par lesquelles elle a attribué à la société Orange et à la société Telco OI un total de 10 Mhz de fréquences en bande 700 MHz, chacune, et a refusé de lui attribuer plus de 5 Mhz de fréquences, ainsi que de ce communiqué de presse.
2° Sous le n° 465105, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 18 juin, 22 août, 31 octobre et 14 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Zeop Mobile demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions n° 2022-0875, n° 2022-0876, n° 2022-0878 et n° 2022-0879 du 24 mai 2022 de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) en tant qu'elles portent sur les autorisations de fréquences dans la bande 700 Mhz ;
2°) d'enjoindre à l'ARCEP d'attribuer directement à Zeop Mobile un bloc de fréquences supplémentaire de 10 MHz dans la bande de 700 MHz ;
3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : " La directive 2018/1972/UE du 11 décembre 2018 et en particulier son article 52, doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils permettent à une autorité de régulation nationale de se borner à recourir à une consultation publique pour satisfaire à l'obligation d'évaluation prospective imposée par les dispositions précitées ' " ;
4°) de mettre à la charge de l'ARCEP la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la directive (UE) 2018/1972 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 ;
- le code des postes et des communications électroniques ;
- l'ordonnance n° 2021-650 du 26 mai 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Clément Tonon, auditeur,
- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP de Nervo, Poupet, avocat de la société Zeop Mobile, et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société réunionnaise du radio téléphone ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 novembre 2022, présentée par la société Zeop Mobile ;
Considérant ce qui suit :
1. Selon le I de l'article L. 42-1 du code des postes et des communications électroniques, l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) " attribue les autorisations d'utilisation des fréquences radioélectriques dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires tenant compte des besoins d'aménagement du territoire. (...) ". Aux termes de l'article L. 42-2 du même code : " I.- L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peut, après consultation publique, limiter, dans une mesure permettant d'assurer des conditions de concurrence effective, le nombre d'autorisations d'utilisation de fréquences. Elle motive sa décision de limiter les droits d'utilisation, notamment en prenant dûment en considération la nécessité d'apporter un maximum d'avantages aux utilisateurs et de stimuler la concurrence. Elle réexamine à intervalles réguliers ou, le cas échéant, à la demande des entreprises concernées, sa décision de limitation du nombre d'autorisations./ II.- Le ministre chargé des communications électroniques fixe, sur proposition de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse :1° Les conditions d'attribution des autorisations et les justifie ;/ 2° La durée de la procédure d'attribution, qui ne peut excéder un délai fixé par décret (...) III.- La sélection des titulaires de ces autorisations se fait par appel à candidatures sur des critères portant sur les conditions d'utilisation mentionnées au II de l'article L. 42-1 ou sur la contribution à la réalisation des objectifs mentionnés à l'article L. 32-1, ou par une procédure d'enchères dans le respect de ces objectifs et après définition de ces conditions par le ministre sur proposition de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse. (...) Le choix de la procédure de sélection des titulaires vise à promouvoir l'exercice d'une concurrence effective et répond à un ou plusieurs des objectifs suivants : 1° Renforcer la couverture ;/2° Garantir la qualité de service requise ;/ 3° Favoriser l'utilisation efficace du spectre radioélectrique, notamment en tenant compte des conditions dont sont assortis les droits d'utilisation et du montant des redevances ;/ 4° Favoriser l'innovation et le développement de l'activité économique (...) ".
2. Sur le fondement de ces dispositions, par un arrêté du 30 juillet 2021, le ministre chargé des communications électroniques a, sur proposition de l'ARCEP, fixé les modalités et les conditions d'attribution d'autorisations d'utilisation de fréquences dans les bandes 700 MHz et 3,4 - 3,8 GHz à La Réunion pour établir et exploiter un réseau radioélectrique mobile ouvert au public.
3. En application des dispositions ainsi arrêtées, les quatre premiers blocs de 5 MHz duplex en bande 700 MHz, sur les six à attribuer, ont été dévolus, contre engagements, aux quatre opérateurs de téléphonie qui s'étaient portés candidats, la société Orange, la société SRR, la société Telco OI et la société Zeop Mobile. Les deux derniers blocs de 5 MHz duplex dans cette bande ont fait l'objet d'enchères qui se sont déroulées le 14 décembre 2021. Dans un communiqué de presse en date du 15 décembre 2021, l'ARCEP a rendu publics les résultats des enchères principales pour l'attribution de fréquences en bande 700 MHz dont il ressort que les deux derniers blocs de 5 MHz duplex ont été attribués à la société Orange et à la société Telco OI. Enfin, par quatre décisions n° 2022-0875, n° 2022-0876, n° 2022-0878 et n° 2022-0879 du 24 mai 2022, l'ARCEP a respectivement autorisé les sociétés Orange, SRR, Telco OI et Zeop Mobile à utiliser les fréquences qui leur ont été préalablement attribuées dans les bandes 700 MHz et 3,4 - 3,8 GHz à La Réunion. Les deux requêtes visées ci-dessus de la société Zeop Mobile tendent à l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, des décisions du 14 décembre 2021, révélées par le communiqué de presse du 15 décembre 2021 relatif aux résultats des enchères principales en bande 700 MHz pour l'attribution de fréquences à La Réunion et à Mayotte ainsi que ce communiqué de presse et, d'autre part, des décisions du 24 mai 2022 en tant qu'elles portent sur les autorisations de fréquences dans la bande 700 MHz. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision.
Sur les conclusions dirigées contre les décisions révélées par le communiqué de presse du 15 décembre 2021 et ce communiqué de presse :
4. Si la société Zeop Mobile demande l'annulation pour excès de pouvoir des décisions de l'ARCEP attribuant à la société Orange et à la société Telco OI, à l'issue des enchères principales, un total de 10 MHz de fréquences en bande 700 MHz chacune et refusant de lui attribuer plus de 5 MHz de fréquences dans cette même bande, ces décisions constituent des mesures préparatoires insusceptibles d'être déférées au juge de l'excès de pouvoir. Dès lors, le communiqué de presse du 15 décembre 2021, qui se borne à rendre publiques des décisions préparatoires insusceptibles de recours et n'a, par lui-même, pas d'autre effet, n'est pas susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.
5. Il résulte de ce qui précède que l'ARCEP et la société Orange sont fondées à soutenir que la requête de la société Zeop Mobile dirigée contre ces décisions et le communiqué de presse du 15 décembre 2021 les révélant ne peut qu'être rejetée comme irrecevable.
Sur les conclusions dirigées contre les décisions du 24 mai 2022 :
En ce qui concerne le moyen tiré de l'absence d'évaluation prospective objective des conditions de concurrence sur le marché :
6. Aux termes de l'article 52 de la directive 2018/1972/UE du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen : " 1. Les autorités de régulation nationales et les autres autorités compétentes favorisent une concurrence effective et évitent les distorsions de concurrence sur le marché intérieur lorsqu'elles décident d'octroyer, de modifier ou de renouveler des droits d'utilisation du spectre radioélectrique pour les réseaux et les services de communications électroniques conformément à la présente directive. (...) / 2. Lorsque les États membres octroient, modifient ou renouvellent des droits d'utilisation du spectre radioélectrique, leurs autorités de régulation nationales ou d'autres autorités compétentes peuvent, sur les conseils de l'autorité de régulation nationale, prendre des mesures appropriées, telles que : (...) / Les autorités de régulation nationales et les autres autorités compétentes, tenant compte des conditions de marché et des indicateurs de référence disponibles, fondent leurs décisions sur une évaluation prospective objective des conditions de concurrence sur le marché, de la nécessité ou non de ces mesures pour maintenir ou assurer une concurrence effective, et des effets probables de ce type de mesures sur les investissements existants et futurs réalisés par les acteurs du marché, notamment pour le déploiement de réseaux. Ce faisant, elles tiennent compte de l'approche en matière d'analyse de marché énoncée à l'article 67, paragraphe 2 ".
7. Aux termes de l'article L. 42-1-1 du code des postes et des communications électroniques : " L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peut, lorsqu'elle détermine les conditions associées à l'utilisation des fréquences ou des bandes de fréquences en application des articles L. 42 et L. 42-1, prendre des mesures appropriées pour favoriser une concurrence effective et éviter les distorsions de concurrence sur le marché intérieur, notamment : 1° Limiter la quantité de bandes du spectre radioélectrique pour lesquelles des droits d'utilisation sont octroyés à une entreprise donnée, ou dans des circonstances justifiées, assortir ces droits d'utilisation de conditions telles que la fourniture d'accès de gros ou d'itinérance nationale ou régionale, dans certaines bandes de fréquences ou certains groupes de bandes présentant des caractéristiques similaires ;/ 2° Réserver, s'il y a lieu et si cela est justifié, compte tenu d'une situation spécifique sur le marché national, une portion de bande du spectre radioélectrique ou d'un groupe de bandes en vue d'une assignation à de nouveaux entrants ;/ 3° Inclure des conditions interdisant les cessions de droits d'utilisation du spectre radioélectrique non soumises au contrôle des fusions au niveau de l'Union ou au niveau national ou assortir ces cessions de conditions, lorsque ces cessions sont susceptibles de nuire de manière significative à la concurrence ;/ 4° Modifier les droits existants, lorsque cela est nécessaire pour remédier à une distorsion de concurrence due à une cession ou à une accumulation de droits d'utilisation du spectre radioélectrique. (...) / Lorsqu'elle applique l'une des dispositions de cet article, l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse tient compte des conditions de marché, de la nécessité d'assurer une concurrence effective, des effets probables sur les investissements existants et futurs notamment pour le déploiement de réseaux (...) ".
8. Il ressort des pièces du dossier que l'ARCEP a organisé préalablement au choix de la procédure d'attribution des fréquences en cause et aux décisions contestées plusieurs consultations publiques entre les 19 décembre 2019 et 28 février 2020, celle-ci complétée par un addendum entre le 3 et le 24 avril 2020, puis entre les 18 décembre 2020 et 26 février 2021, portant sur les besoins en fréquence des opérateurs, la nécessité de mettre en place des dispositions visant à limiter les déséquilibres de fréquences en bandes basses et les modalités d'attribution des fréquences qui pouvaient être envisagées, qui lui ont notamment permis d'apprécier la dynamique concurrentielle, les conditions de marché et leurs perspectives sur le territoire concerné. La proposition du 15 juin 2021 faite au ministre, relatives aux modalités et conditions d'attribution des autorisations d'utilisation de fréquences, repose sur les analyses objectives qui ont été faites notamment à la suite de ces consultations publiques, qui ont en particulier fait apparaître la nécessité, pour la bonne utilisation des fréquences, de limiter le nombre d'autorisations sur le territoire de La Réunion, et en tire les conséquences quant au choix et aux modalités de la procédure d'attribution des fréquences sur ce territoire. Dans ces conditions, la requérante, qui ne peut utilement directement invoquer les objectifs du 2 de l'article 52 de la directive du 11 décembre 2018, qui ont été transposés en droit interne par l'ordonnance du 26 mai 2021 à l'article L. 42-1-1 du code des postes et des communications électroniques, n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que l'ARCEP n'aurait pas fondé les décisions litigieuses sur une évaluation prospective objective, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur ce point.
En ce qui concerne le moyen, tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité de l'arrêté du 30 juillet 2021 :
9. La procédure définie par cet arrêté sur proposition de l'ARCEP a prévu, dans un premier temps, qu'un maximum de quatre opérateurs pourraient obtenir des blocs de fréquences de 5 MHz avec un prix de réserve nul en contrepartie d'engagements et, dans un second temps, que ces opérateurs pourraient obtenir des fréquences additionnelles au terme d'une enchère combinatoire à un tour sous pli fermé au second prix dont les modalités, qui prévoient que le lauréat emporte l'enchère au prix proposé par le deuxième plus offrant, conduisent à une modération structurelle des prix des blocs. Elle a fixé en outre, afin de prévenir le risque de déséquilibres trop importants dans les quantités de fréquences attribuées aux opérateurs mobiles qui pourraient freiner l'exercice d'une concurrence effective et loyale, des plafonds de détention de fréquences par opérateur, respectivement fixés à 100 MHz dans la bande 3,4 - 3,8 GHz pour un réseau mobile, à 15 MHz duplex dans la bande 700 MHz et à 30 MHz duplex sur la quantité de fréquences cumulées dans les bandes 700 MHz, 800 MHz et 900 MHz, dites bandes basses. En édictant ces modalités d'attribution, le ministre s'est fondé sur l'analyse de la situation concurrentielle sur le marché de La Réunion, comportant quatre opérateurs, dont la requérante, présente sur ce marché depuis 2016 et qui ne disposait pas de fréquences dans les bandes basses en raison de ses propres choix stratégiques. Il a pris en considération les différences de situations entre les candidats potentiels, tenant en particulier aux autorisations dont ils disposaient déjà, sans que le principe de non-discrimination ait, en l'espèce, rendu nécessaire la mise en place par l'autorité administrative d'une procédure d'attribution comportant un traitement spécifique favorable à la société requérante.
En ce qui concerne les autres moyens :
10. En premier lieu, la requérante ne peut utilement invoquer les dispositions des articles 3, 45 et 46 de la directive du 11 décembre 2018 relatives au principe de réduction des restrictions d'utilisation du spectre radioélectrique et aux obligations d'application du régime d'autorisation le moins onéreux possible et de recours à des critères non discriminatoires et proportionnés, lesquelles ont été transposées respectivement aux articles L. 42, L. 32-1 et L. 42-1 du code des postes et des communications électroniques, non plus que celles de l'article 9 de la directive 2002/21/CE du 7 mars 2002, laquelle était en tout état de cause abrogée à la date d'édiction des décisions attaquées.
11. En deuxième lieu, si la requérante soutient que les décisions attaquées forment, en combinaison avec les décisions du 9 septembre 2021 par lesquelles l'ARCEP a modifié les autorisations d'utilisation de fréquences des sociétés Orange et SRR en bande 900 MHz, une opération complexe, elle n'apporte, en tout état de cause, au soutien de l'affirmation selon laquelle les décisions du 9 septembre 2021 seraient illégales, aucun élément permettant d'en apprécier le bien-fondé.
12. En troisième lieu, la requérante n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que le principe de neutralité technologique aurait été méconnu, les décisions contestées n'apportant par elles-mêmes aucune restriction aux types de technologies et de services de communications électroniques déployés pour en assurer l'exploitation, la circonstance, à la supposer établie, que l'intéressée serait dans l'incapacité de développer une offre 5G en bande 700 MHz avec un seul bloc de 5MHz étant indifférente à cet égard.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le recours de la société Zeop Mobile contre les décisions du 22 mai 2022 ne peut qu'être rejeté, y compris ses conclusions à fin d'injonction, celles tendant à ce que le Conseil d'Etat ordonne une expertise et celles présentées au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Zeop Mobile une somme de 3 000 euros à verser respectivement à la société Orange et à la société réunionnaise du radiotéléphone (SRR) au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de la société Zeop Mobile sont rejetées.
Article 2 : La société Zeop Mobile versera à la société Orange, d'une part, et à la société réunionnaise du radiotéléphone (SRR), d'autre part, la somme de 3 000 euros, chacune, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Zeop Mobile, à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, à la société Orange et à la société réunionnaise du radiotéléphone.