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07/12/2022 | FRANCE | N°463524

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 07 décembre 2022, 463524


Vu la procédure suivante :

La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a saisi le tribunal administratif de Caen, en application de l'article L. 52-15 du code électoral, de sa décision du 26 janvier 2022 par laquelle elle a rejeté le compte de campagne de M. D... E... et Mme B... C..., candidats au premier tour des élections départementales, en date du 20 juin 2021, dans le canton de Granville (Manche).

Par un jugement n° 2200250 du 1er avril 2022, le tribunal administratif de Caen a jugé que la Commission nationale des comptes de campag

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Vu la procédure suivante :

La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a saisi le tribunal administratif de Caen, en application de l'article L. 52-15 du code électoral, de sa décision du 26 janvier 2022 par laquelle elle a rejeté le compte de campagne de M. D... E... et Mme B... C..., candidats au premier tour des élections départementales, en date du 20 juin 2021, dans le canton de Granville (Manche).

Par un jugement n° 2200250 du 1er avril 2022, le tribunal administratif de Caen a jugé que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques avait rejeté à bon droit le compte de campagne de M. E... et Mme C... et les a déclarés inéligibles pour une durée de trois mois.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 26 avril et le 19 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E... et Mme C... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la saisine de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ;

3°) de fixer le montant de leur remboursement forfaitaire au titre de l'article L. 52-11-1 du code électoral à la somme de 450 euros, augmentés des intérêts moratoires au taux légal à compter de la décision du 26 janvier 2022 de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ;

4°) à titre subsidiaire, dans le cas où le Conseil d'Etat jugerait que leur compte de campagne a été rejeté à bon droit, de décider qu'il n'y a pas lieu de les déclarer inéligibles ;

5°) de mettre à la charge de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code électoral ;

- la loi n° 2021-191 du 22 février 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 26 janvier 2022, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté le compte de campagne déposé par M. D... E... et Mme B... C..., candidats au premier tour des élections départementales qui s'est déroulé le 20 juin 2021, dans le canton de Granville (Manche), et leur a refusé le remboursement forfaitaire de l'Etat. M. E... et Mme C... font appel du jugement en date du 1er avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Caen, sur saisine de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques sur le fondement de l'article L. 52-15 du code électoral, a, d'une part, jugé que leur compte de campagne avait été rejeté à bon droit et, d'autre part, les a déclarés inéligibles pour une durée de trois mois.

2. Selon l'article L. 52-15 du code électoral, la Commission approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne. Lorsqu'elle a constaté que le compte de campagne n'a pas été déposé dans le délai prescrit, si le compte a été rejeté ou si, le cas échéant après réformation, il fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales, elle saisit le juge de l'élection. Aux termes du second alinéa de l'article L. 118-2 du même code : " Sans préjudice de l'article L. 52-15, lorsqu'il constate que la commission instituée par l'article L. 52-14 n'a pas statué à bon droit, le juge de l'élection fixe le montant du remboursement dû au candidat en application de l'article L. 52-11-1 ". L'article L. 118-3 de ce code dispose que : " Lorsqu'il relève une volonté de fraude ou un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, le juge de l'élection, saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, peut déclarer inéligible : / 1° Le candidat qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l'article L. 52-12 ; / 2° Le candidat dont le compte de campagne, le cas échéant après réformation, fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales ; / 3° Le candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit. (...) ". Il appartient au juge de l'élection, avant de statuer sur l'éligibilité du candidat et, le cas échéant, de fixer le montant du remboursement dû par l'Etat, de se prononcer sur le bien-fondé des motifs sur lesquels s'est fondée la Commission pour réformer ou rejeter le compte.

Sur le rejet du compte de campagne et sur l'inéligibilité de M. E... et Mme C... :

3. Les articles L. 52-4 à L. 52-6 du code électoral prévoient que tout candidat à une élection déclare un mandataire qui, sous réserve de certaines exceptions, recueille les fonds destinés au financement de la campagne et règle les dépenses engagées en vue de l'élection et qui est tenu d'ouvrir un compte de dépôt unique retraçant la totalité de ses opérations financières. En vertu de l'article L. 52-12 du même code, chaque candidat soumis au plafonnement des dépenses électorales est tenu d'établir un compte de campagne lorsqu'il a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés ou s'il a bénéficié de dons de personnes physiques. Il doit déposer à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques le compte et ses annexes, accompagné des justificatifs de ses recettes, ainsi que des factures, devis et autres documents de nature à établir le montant des dépenses, au plus tard avant 18 heures le dixième vendredi suivant le premier tour de scrutin. En l'espèce, cette date limite était fixée au vendredi 17 septembre 2021 à 18 heures par l'article 11 de la loi du 22 février 2021 portant report, de mars à juin 2021, du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique. Le même article L. 52-12 dispose que, lorsque le candidat est tenu d'établir un compte de campagne mais non de le faire présenter par un expert-comptable, il transmet à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, à l'appui du compte de campagne, les relevés du compte bancaire ouvert par son mandataire.

4. Si le relevé bancaire attestant des opérations réalisées par le mandataire est au nombre des justificatifs nécessaires à l'examen du compte de campagne, un défaut de production est susceptible d'être régularisé devant la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques jusqu'à ce que celle-ci se prononce, ainsi que, du moins lorsque le candidat avait fait présenter son compte par un expert-comptable, devant le juge de l'élection.

5. Il est constant que M. E... et Mme C... n'avaient pas joint de relevé bancaire au compte de campagne qu'ils ont déposé dans le délai rappelé au point 3. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a, par une décision en date du 26 janvier 2022, rejeté leur compte de campagne pour ce motif. Toutefois, il résulte de l'instruction que les intéressés, dont le compte de campagne a été établi par un expert-comptable, ont produit le relevé du compte bancaire utilisé devant la Commission, de même d'ailleurs qu'à l'appui de leur mémoire en défense devant le tribunal administratif. Dès lors que ce document permet de contrôler la réalité des recettes et des dépenses inscrites au compte de campagne, que celles-ci sont cohérentes avec les opérations qu'il mentionne et qu'aucune autre anomalie n'apparaît, M. E... et Mme C... sont fondés, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de leur requête, à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Caen a jugé que leur compte de campagne avait été rejeté à bon droit et les a déclarés inéligibles. Il y a lieu en conséquence d'annuler ce jugement et de rejeter la saisine de la Commission.

Sur le montant du remboursement des dépenses électorales :

6. Aux termes de l'article L. 52-11-1 du code électoral : " Les dépenses électorales des candidats aux élections auxquelles l'article L. 52-4 est applicable font l'objet d'un remboursement forfaitaire de la part de l'État égal à 47,5 % de leur plafond de dépenses. Ce remboursement ne peut excéder le montant des dépenses réglées sur l'apport personnel des candidats et retracées dans leur compte de campagne. / Le remboursement forfaitaire n'est pas versé aux candidats qui ont obtenu moins de 5 % des suffrages exprimés au premier tour de scrutin, qui ne se sont pas conformés aux prescriptions de l'article L. 52-11, qui n'ont pas déposé leur compte de campagne dans le délai prévu au II de l'article L. 52-12 ou dont le compte de campagne est rejeté pour d'autres motifs ou qui n'ont pas déposé leur déclaration de situation patrimoniale dans le délai légal et pour le scrutin concerné, s'ils sont astreints à cette obligation. (...) ".

7. M. E... et Mme C..., qui ont obtenu plus de 5 % des suffrages exprimés au premier tour du scrutin, ont droit au remboursement forfaitaire en application des dispositions citées au point précédent. S'ils demandent le remboursement d'une somme de 450 euros, correspondant au montant d'un prêt qui leur a été accordé par un mouvement politique, il ne peut être fait droit à une telle demande dès lors que le remboursement auquel ils ont droit ne peut excéder le montant total des dépenses électorales.

8. Il résulte de l'instruction que si M. E... et Mme C... ont inscrit sur leur compte de campagne les honoraires de l'expert-comptable qui a établi ce document, cette somme n'a pas le caractère d'une dépense électorale, au sens de l'article L. 52-11-1 du code électoral, cité au point 6. Par ailleurs, s'ils ont également porté à leur compte de campagne des frais correspondant à l'usage de fournitures personnelles, de leur propre matériel téléphonique et informatique, ils n'ont pas apporté d'éléments permettant de justifier de ces dépenses. En revanche, c'est à bon droit qu'ils ont inscrit sur leur compte une dépense de 193 euros pour l'impression de tracts ainsi qu'une dépense de 107 euros pour des frais de déplacement dont ils ont justifié du caractère électoral. Il s'ensuit que leurs dépenses éligibles s'élèvent à la somme de 300 euros. Ce montant étant inférieur à 47,5 % du plafond de dépenses applicable au canton, c'est à cette somme que doit être fixé le remboursement forfaitaire de l'Etat.

Sur la demande tendant au paiement des intérêts moratoires :

9. Ainsi qu'il a été dit au point 5, si M. E... et Mme C... n'avaient pas joint de relevé bancaire attestant des opérations réalisées par leur mandataire au compte de campagne qu'ils ont déposé dans le délai qui leur était imparti, ils ont produit le justificatif exigé dans le cadre de la procédure conduite par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, par un courrier du 21 janvier 2022, reçu par la Commission le 25 janvier suivant. Il s'ensuit que le droit à remboursement des dépenses électorales des requérants était né à la date de la décision de la commission statuant sur leur compte de campagne, le 26 janvier 2022. Les requérants sont dès lors fondés à demander que le montant du remboursement de leurs dépenses électorales soit assorti des intérêts au taux légal à compter de cette dernière date. En revanche, leur demande de capitalisation de ces intérêts ne peut qu'être rejetée dès lors que ces derniers ne sont pas dus au moins pour une année entière, ainsi que le prévoit l'article 1154 du code civil.

10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 1er avril 2022 est annulé.

Article 2 : La saisine de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques est rejetée.

Article 3 : Le montant du remboursement forfaitaire dû par l'Etat à M. E... et Mme C... en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral est fixé à 300 euros. Il portera intérêt au taux légal à compter du 26 janvier 2022.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. E... et Mme C... est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. D... E..., à Mme B... C..., à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 17 novembre 2022 où siégeaient : M. Alexandre Lallet, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 7 décembre 2022.

Le président :

Signé : M. Alexandre Lallet

Le rapporteur :

Signé : M. Philippe Bachschmidt

La secrétaire :

Signé : Mme Naouel Adouane


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 07 déc. 2022, n° 463524
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Philippe Bachschmidt
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier

Origine de la décision
Formation : 10ème chambre
Date de la décision : 07/12/2022
Date de l'import : 11/12/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 463524
Numéro NOR : CETATEXT000046710648 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2022-12-07;463524 ?
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