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29/11/2022 | FRANCE | N°448176

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 29 novembre 2022, 448176


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 décembre 2020, 25 mars 2021 et 3 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Chambre nationale des mandataires judiciaires à la protection des majeurs, la Fédération nationale des mandataires judiciaires indépendants à la protection des majeurs et Mme B... A... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le guide ministériel relatif aux mandataires judiciaires à la protection des majeurs en date du 20 nov

embre 2020 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros a...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 décembre 2020, 25 mars 2021 et 3 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Chambre nationale des mandataires judiciaires à la protection des majeurs, la Fédération nationale des mandataires judiciaires indépendants à la protection des majeurs et Mme B... A... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le guide ministériel relatif aux mandataires judiciaires à la protection des majeurs en date du 20 novembre 2020 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 ;

- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;

- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;

- le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Gaudillère, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de la Chambre nationale des mandataires judiciaires à la protection des majeurs et autres ;

Considérant ce qui suit :

Sur les circonstances :

1. L'émergence d'un nouveau coronavirus, dit SARS-CoV-2, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l'épidémie de covid-19, modifié par un décret du 19 mars suivant, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à midi et jusqu'au 31 mars 2020. Le législateur, par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a déclaré l'état d'urgence sanitaire, sur l'ensemble du territoire national, pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. Par un décret du même jour, pris sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de cette loi, ultérieurement modifié et complété, le Premier ministre a réitéré les mesures précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. En particulier, les restrictions apportées au déplacement de toute personne hors de son domicile ont été reprises, puis prorogées jusqu'au 15 avril 2020 par un décret du 27 mars 2020 et jusqu'au 11 mai 2020 par un décret du 14 avril 2020. Enfin, l'état d'urgence sanitaire a été de nouveau déclaré par un décret du 14 octobre 2020, à compter du 17 octobre 2020, pour faire face à une seconde vague épidémique, et a été ensuite prolongé par la loi du 14 novembre 2020, jusqu'au 16 février 2021. Par un décret du 29 octobre 2020, le Premier ministre a prescrit de nouvelles mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

2. La direction générale de la cohésion sociale du ministère des solidarités et de la santé a établi et publié le 20 novembre 2020 un " Guide ministériel ", destiné à l'ensemble des mandataires judiciaires à la protection des majeurs et comportant un certain nombre de recommandations relatives à l'exercice de leur activité dans le cadre de la crise sanitaire. La Chambre nationale des mandataires judiciaires à la protection des majeurs, la Fédération nationale des mandataires judiciaires indépendants à la protection des majeurs et Mme A..., mandataire judiciaire à la protection des majeurs, demandent l'annulation pour excès de pouvoir de ce guide.

Sur la recevabilité de la requête :

3. En premier lieu, les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices. Il appartient au juge d'examiner les vices susceptibles d'affecter la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité dont il émane. Le recours formé à son encontre doit être accueilli notamment s'il fixe une règle nouvelle entachée d'incompétence, si l'interprétation du droit positif qu'il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s'il est pris en vue de la mise en œuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure.

4. Le guide attaqué a pour objet d'adresser des recommandations et consignes afin de permettre aux mandataires judiciaires à la protection des majeurs de poursuivre l'exercice de leur activité et de leurs missions en apportant une aide aux personnes protégées dans un contexte de crise sanitaire auquel elles sont particulièrement vulnérables. Si ce guide précise que, sauf dans les cas où elles renvoient à un texte législatif ou réglementaire, les préconisations qu'il contient ont la valeur de recommandations, ces dernières, dont certaines revêtent un caractère impératif, sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation de ces mandataires. Il s'ensuit que le guide attaqué peut être déféré au juge de l'excès de pouvoir.

5. Toutefois, eu égard aux moyens invoqués, qui ne sont pas dirigés contre les passages du guide qui se bornent à rappeler le contenu des textes pris dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, les conclusions de la requête doivent être regardées comme ne tendant qu'à l'annulation de certains points divisibles de ce guide.

6. En deuxième lieu, l'abrogation d'un acte administratif postérieurement à l'introduction d'une requête tendant à son annulation ne prive pas le litige de son objet, sauf lorsque cet acte n'a reçu aucun commencement d'exécution. Si le ministre des solidarités et de la santé soutient que le guide attaqué a été abrogé par un nouveau guide publié le 29 juin 2021, il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment des écritures du ministre, que le guide contesté n'aurait pas été appliqué avant son abrogation. Par suite, les conclusions aux fins d'annulation présentées par les requérantes conservent leur objet.

Sur la légalité du guide ministériel attaqué :

En ce qui concerne le cadre juridique du litige :

7. Aux termes de l'article 415 du code civil : " Les personnes majeures reçoivent la protection de leur personne et de leurs biens que leur état ou leur situation rend nécessaire (...). / Cette protection est instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne. Elle a pour finalité l'intérêt de la personne protégée. Elle favorise, dans la mesure du possible, l'autonomie de celle-ci (...) ". Aux termes de l'article 457-1 du code civil : " La personne protégée reçoit de la personne chargée de sa protection, selon des modalités adaptées à son état et sans préjudice des informations que les tiers sont tenus de lui dispenser en vertu de la loi, toutes informations sur sa situation personnelle, les actes concernés, leur utilité, leur degré d'urgence, leurs effets et les conséquences d'un refus de sa part ". Aux termes de l'article 459 du code civil : " Hors les cas prévus à l'article 458, la personne protégée prend seule les décisions relatives à sa personne dans la mesure où son état le permet. / Lorsque l'état de la personne protégée ne lui permet pas de prendre seule une décision personnelle éclairée, le juge ou le conseil de famille s'il a été constitué peut prévoir qu'elle bénéficiera, pour l'ensemble des actes relatifs à sa personne ou ceux d'entre eux qu'il énumère, de l'assistance de la personne chargée de sa protection. Au cas où cette assistance ne suffirait pas, il peut, le cas échéant après le prononcé d'une habilitation familiale ou l'ouverture d'une mesure de tutelle, autoriser la personne chargée de cette habilitation ou de cette mesure à représenter l'intéressé, y compris pour les actes ayant pour effet de porter gravement atteinte à son intégrité corporelle. Sauf urgence, en cas de désaccord entre le majeur protégé et la personne chargée de sa protection, le juge autorise l'un ou l'autre à prendre la décision, à leur demande ou d'office. / Toutefois, sauf urgence, la personne chargée de la protection du majeur ne peut, sans l'autorisation du juge ou du conseil de famille s'il a été constitué, prendre une décision ayant pour effet de porter gravement atteinte à l'intimité de la vie privée de la personne protégée. / La personne chargée de la protection du majeur peut prendre à l'égard de celui-ci les mesures de protection strictement nécessaires pour mettre fin au danger que son propre comportement ferait courir à l'intéressé. Elle en informe sans délai le juge ou le conseil de famille s'il a été constitué ". Enfin, aux termes de l'article 459-2 du code civil : " La personne protégée choisit le lieu de sa résidence. / Elle entretient librement des relations personnelles avec tout tiers, parent ou non. Elle a le droit d'être visitée et, le cas échéant, hébergée par ceux-ci (...) ".

En ce qui concerne les relations entre les mandataires judiciaires à la protection des majeurs et les personnes protégées :

8. Le guide attaqué recommande le maintien des contacts pendant la crise sanitaire entre les mandataires judiciaires à la protection des majeurs et les personnes protégées et précise que ces contacts peuvent consister en des visites à domicile ou en un suivi téléphonique, notamment lorsque la personne protégée est malade ou s'il est impossible de respecter les règles sanitaires. Il rappelle ainsi la possibilité pour les mandataires de maintenir les visites qu'ils considèrent comme indispensables à la sécurité et la prise en charge des personnes protégées dans le respect des règles sanitaires. Par suite, il n'a ni pour objet ni pour effet d'imposer le principe ou la fréquence de telles visites, et ne méconnaît pas les dispositions des articles 459 et 459-2 du code civil.

9. Le guide invite également les mandataires judiciaires à la protection des majeurs à faire un point avec les personnes protégées sur leurs pratiques d'activités et à leur proposer la mise en place de prestations de nettoyage. Il rappelle également la nécessité de maintenir le lien avec les personnes protégées pour s'assurer notamment que le maintien à domicile se déroule dans des conditions satisfaisantes, en invitant ces mandataires à s'assurer que les personnes protégées disposent des produits nécessaires à leur alimentation et leur hygiène. En formulant de telles recommandations, le guide n'entend pas imposer à ces mandataires d'obligation supplémentaire par rapport à celles dont ils sont investis dans le cadre des missions d'information et, selon les cas, d'assistance et de représentation, qui leur sont confiées par les textes qui leur sont applicables.

10. En précisant que ces mandataires s'enquièrent de l'état du logement des personnes protégées vivant à leur domicile, le guide se borne à rappeler à ces mandataires les obligations de protection qui leur sont confiées. Il ne confère, et ne saurait d'ailleurs légalement conférer, aucun pouvoir de contrainte à ces mandataires à l'égard des personnes protégées et ne saurait, en particulier, constituer un titre pour pénétrer à leur domicile hors le consentement des personnes intéressées ou les cas d'urgence et de danger mentionnés à l'article 459 du code civil. Dans ces conditions, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le guide méconnaît le droit au respect ou à l'intimité de la vie privée des personnes protégées.

11. Enfin, la circonstance alléguée selon laquelle le guide révèlerait une méconnaissance par l'administration du métier de mandataire judiciaire à la protection des majeurs ou apparaîtrait comme infantilisant pour la compétence professionnelle de ces mandataires, en formulant des recommandations pour faire face aux difficultés psychologiques des personnes protégées, est en tout état de cause sans incidence sur sa légalité.

En ce qui concerne l'obligation pour les mandataires d'assurer leurs missions sous le contrôle de l'autorité administrative :

12. Aux termes de l'article L. 471-1 du code de l'action sociale et des familles : " Les mandataires judiciaires à la protection des majeurs exercent à titre habituel les mesures de protection des majeurs que le juge des tutelles leur confie (...) ". Aux termes de l'article 416 du code civil : " Le juge des tutelles et le procureur de la République exercent une surveillance générale des mesures de protection dans leur ressort. / Ils peuvent visiter ou faire visiter les personnes protégées et celles qui font l'objet d'une demande de protection, quelle que soit la mesure prononcée ou sollicitée. / Les personnes chargées de la protection sont tenues de déférer à leur convocation et de leur communiquer toute information qu'ils requièrent ". Et aux termes de l'article 417 du code civil : " Le juge des tutelles peut prononcer des injonctions contre les personnes chargées de la protection et condamner à l'amende civile prévue par le code de procédure civile celles qui n'y ont pas déféré. / Il peut les dessaisir de leur mission en cas de manquement caractérisé dans l'exercice de celle-ci, après les avoir entendues ou appelées. Il peut, dans les mêmes conditions, demander au procureur de la République de solliciter la radiation d'un mandataire judiciaire à la protection des majeurs de la liste prévue à l'article L. 471-2 du code de l'action sociale et des familles ".

13. Il résulte de ces dispositions que les mandataires judiciaires à la protection des majeurs ne peuvent se voir confier des mesures de protection que par le juge des contentieux de la protection, anciennement dénommé juge des tutelles, lequel exerce, avec le procureur de la République, une surveillance sur la mise en œuvre de ces mesures. Il résulte également des dispositions des articles L. 471-2, L. 472-1 et L. 472-1-1 du code de l'action sociale et des familles que ces mandataires doivent être titulaires d'un agrément et être inscrits sur une liste dressée et tenue à jour par le représentant de l'Etat dans le département. En outre, et sans préjudice des dispositions précitées des articles 416 et 417 du code civil, l'article L. 472-10 du code de l'action sociale et des familles prévoit que le représentant de l'Etat dans le département exerce un contrôle de l'activité de ces mandataires judiciaires qui peut le conduire, en cas de violation des lois et règlements ou lorsque la santé, la sécurité ou le bien-être de la personne protégée est menacé ou compromis par les conditions d'exercice de la mesure de protection judiciaire, à adresser à ces mandataires une injonction, assortie d'un délai circonstancié qu'il fixe. Il résulte de ces mêmes dispositions que s'il n'est pas satisfait à l'injonction dans le délai fixé, le représentant de l'Etat dans le département, sur avis conforme du procureur de la République ou à la demande de celui-ci, retire l'agrément délivré à un mandataire.

14. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le guide attaqué méconnaît les dispositions du code civil relatives aux compétences du juge des contentieux de la protection et du procureur de la République ou qu'il institue un empiètement de l'administration sur l'activité judiciaire pour avoir prévu que la mise en œuvre des mesures de protection judiciaire ordonnées par le juge et confiées aux mandataires judiciaires à la protection des majeurs est assurée sous la surveillance de l'autorité judiciaire et le contrôle de l'autorité administrative.

En ce qui concerne les règles relatives aux interdictions de circuler pendant les périodes de confinement :

15. Pour les mêmes raisons que celles mentionnées aux points 13 et 14, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le guide serait entaché d'illégalité en tant qu'il précise que le déplacement des mandataires judiciaires à la protection des majeurs est autorisé sur le fondement du 8° de l'article 4 du décret du 29 octobre 2020 afin de participer à une mission d'intérêt général sur demande de l'autorité administrative, cette précision n'ayant, au demeurant, pour objet que de permettre à ces mandataires de justifier d'une exception à l'interdiction faite à toute personne de se déplacer hors de son domicile pendant certaines périodes de la crise sanitaire.

16. En outre, en mentionnant les visites à domicile et les démarches administratives parmi les exemples de motifs de déplacement effectués par les mandataires judiciaires à la protection, des majeurs, le guide n'impose pas davantage à ces derniers d'effectuer des missions qui n'entreraient pas dans le champ de celles prévues par les textes qui leur sont applicables.

En ce qui concerne le paiement des charges et le versement des prestations sociales des personnes placées en curatelle simple :

17. Aux termes du premier alinéa de l'article 440 du code civil : " La personne qui, sans être hors d'état d'agir elle-même, a besoin, pour l'une des causes prévues à l'article 425, d'être assistée ou contrôlée d'une manière continue dans les actes importants de la vie civile peut être placée en curatelle ".

18. S'il résulte des dispositions de l'article 469 du même code que le curateur ne peut se substituer à la personne en curatelle pour agir en son nom, cette dernière bénéficie de l'assistance du curateur pour accomplir, selon le mandat donné par le juge des tutelles ou le conseil de famille, tout ou partie des actes relatifs à sa personne. Par suite, en invitant les mandataires judiciaires à la protection des majeurs à rappeler aux personnes bénéficiant d'une curatelle simple qu'elles doivent être à jour du paiement de leurs charges courantes et en leur recommandant de s'assurer du versement des prestations sociales auxquelles elles peuvent prétendre, le guide attaqué n'a pas pour objet ou pour effet de faire intervenir ces mandataires dans la gestion courante de la vie des personnes protégées et ne méconnaît pas l'article 440 du code civil.

En ce qui concerne la protection de la santé et de la sécurité de la personne protégée, son suivi médical et l'obligation d'alerter son médecin traitant :

19. En se bornant à rappeler la liste des lieux où le port du masque est obligatoire, le guide contesté n'impose pas aux mandataires judiciaires à la protection des majeurs de s'assurer du respect, par les personnes protégées, du port du masque dans l'ensemble de ces lieux. Il ne les contraint pas davantage à délivrer aux personnes protégées une information sur la liste de ces lieux, alors d'ailleurs, en tout état de cause, qu'une telle information pourrait relever de la mission confiée au mandataire en application de l'article 457-1 du code civil précité.

20. En recommandant à ces mandataires d'accorder une attention particulière aux personnes vulnérables à la covid-19 et en rappelant les critères retenus par le Haut conseil de la santé publique pour qualifier la vulnérabilité d'une personne, le guide se borne à fournir à ces mandataires des éléments d'appréciation permettant d'identifier, parmi les personnes protégées, celles présentant un plus grand risque de vulnérabilité à la covid-19. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le guide attaqué impose à ces mandataires une obligation de détecter ou de diagnostiquer les personnes susceptibles d'être affectées par la covid-19.

21. En demandant à ces mandataires de présenter le dispositif mis en place par le gouvernement pour le suivi de l'épidémie de covid-19, dit de " contact tracing ", aux personnes vulnérables, de manière adaptée à leurs facultés de compréhension et en leur indiquant la possibilité d'assister ou de représenter le majeur protégé en fonction du régime de protection dont ce dernier fait l'objet, le guide se borne à rappeler à ces mandataires l'obligation d'information et de protection dont ils sont chargés et ne leur impose ainsi aucune autre obligation que celles qui leur sont applicables. Il n'a ainsi pas pour objet de substituer ces mandataires aux personnes protégées ou aux autres professionnels, notamment médicaux ou sociaux, intervenant auprès d'elles.

22. Par ailleurs, en recommandant à ces mandataires, d'une part, d'interroger les autres personnes intervenant auprès des majeurs protégés pour identifier des situations de maltraitance et, d'autre part, de solliciter un médecin pour pratiquer un examen médical d'urgence lorsque la personne protégée présente un comportement inhabituel ou des traces suspectes sur le corps, le guide n'excède pas les obligations d'information et, selon les cas, d'assistance ou de représentation, dont sont investis ces mandataires pour assurer la protection des personnes protégées. La circonstance selon laquelle le guide invite ces mandataires à immédiatement déposer plainte en cas de suspicions de violences commises à l'encontre de la personne protégée n'est pas de nature à priver cette dernière de la possibilité de procéder à un dépôt de plainte en son nom personnel. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le guide méconnaît le principe d'autonomie de la personne protégée posé par l'article 415 du code civil.

23. En outre, si le guide indique que ces mandataires doivent trouver un logement d'urgence provisoire pour la personne protégée lorsque la présence des autres occupants de son logement compromet sa sécurité, il précise également que cette démarche doit être menée avec les autres acteurs concernés, notamment les personnes en charge de l'attribution d'un logement. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que ce guide fait reposer sur ces mandataires une obligation de résultat dans l'aboutissement d'une démarche de recherche de logement.

24. Aux termes du premier alinéa de l'article 458 du code civil : " Sous réserve des dispositions particulières prévues par la loi, l'accomplissement des actes dont la nature implique un consentement strictement personnel ne peut jamais donner lieu à assistance ou représentation de la personne protégée ". Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " I. - Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé (...) / III. - L'information prévue au présent article est délivrée aux personnes majeures protégées au titre des dispositions du chapitre II du titre XI du livre Ier du code civil d'une manière adaptée à leur capacité de compréhension. / Cette information est également délivrée à la personne chargée d'une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne. Elle peut être délivrée à la personne chargée d'une mesure de protection juridique avec assistance à la personne si le majeur protégé y consent expressément ". Enfin, aux termes de l'article L. 1111-4 du même code : " Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. / Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement (...). / Le médecin a l'obligation de respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. Si, par sa volonté de refuser ou d'interrompre tout traitement, la personne met sa vie en danger, elle doit réitérer sa décision dans un délai raisonnable. (...) / Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. / Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté. (...) / Le consentement, mentionné au quatrième alinéa, de la personne majeure faisant l'objet d'une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne doit être obtenu si elle est apte à exprimer sa volonté, au besoin avec l'assistance de la personne chargée de sa protection. Lorsque cette condition n'est pas remplie, il appartient à la personne chargée de la mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne de donner son autorisation en tenant compte de l'avis exprimé par la personne protégée. Sauf urgence, en cas de désaccord entre le majeur protégé et la personne chargée de sa protection, le juge autorise l'un ou l'autre à prendre la décision. / Dans le cas où le refus d'un traitement (...) par la personne chargée de la mesure de protection juridique s'il s'agit d'un majeur faisant l'objet d'une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne, risque d'entraîner des conséquences graves pour la santé (...) du majeur protégé, le médecin délivre les soins indispensables (...) ".

25. Le guide attaqué demande aux mandataires judiciaires à la protection des majeurs de délivrer une information ou d'alerter le médecin traitant de la personne protégée lorsque l'altération des facultés de cette dernière ne lui permet pas de comprendre les consignes sanitaires et si ses conditions de vie ou le refus de se soumettre à des mesures sanitaires l'exposent à un risque particulier de contamination. Ce faisant, le guide a entendu, dans le contexte inédit et exceptionnel de l'épidémie de covid-19, traiter une situation d'urgence sanitaire mettant directement en péril la santé et parfois la vie même des personnes les plus fragiles. Dès lors, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le guide attaqué, en invoquant au demeurant une simple information délivrée au médecin sur l'existence d'une situation de particulière vulnérabilité à la contamination, méconnaîtrait les dispositions des articles 415 du code civil ou L. 1111-4 du code de la santé publique.

26. En outre, en prescrivant aux mandataires judiciaires à la protection des majeurs de faire un point avec la personne protégée sur son suivi médical, et de solliciter un avis médical si l'état de cette personne justifie une mesure forcée de soins psychiatriques, le guide attaqué n'implique nullement de la part de ces mandataires qu'ils prennent des décisions d'ordre médical à l'égard des majeurs protégés mais entend seulement, comme il l'indique explicitement, prévenir " le risque de ruptures de soins " consécutif à la pandémie, auquel les personnes fragiles sont les plus exposées. Par suite, en appelant les mandataires judiciaires à la protection des majeurs à une particulière vigilance dans ce contexte exceptionnel, le guide attaqué ne méconnaît pas les dispositions des articles 459 du code civil et L. 1111-4 du code de la santé publique.

En ce qui concerne l'obligation pour les mandataires judiciaires d'informer le juge des contentieux de la protection :

27. Aux termes de l'article 463 du code civil : " A l'ouverture de la mesure ou, à défaut, ultérieurement, le juge (...) décide des conditions dans lesquelles le curateur ou le tuteur chargé d'une mission de protection de la personne rend compte des diligences qu'il accomplit à ce titre ". Par ailleurs, aux termes du dernier alinéa de l'article 459 du code civil : " La personne chargée de la protection du majeur peut prendre à l'égard de celui-ci les mesures de protection strictement nécessaires pour mettre fin au danger que son propre comportement ferait courir à l'intéressé. Elle en informe sans délai le juge (...) ".

28. En prescrivant aux mandataires judiciaires à la protection des majeurs d'informer le juge des contentieux de la protection dans les cas mentionnés au point 25, mais également lorsqu'une visite au domicile de la personne protégée ne peut être réalisée, que ce soit en raison de la maladie de cette dernière, du placement en quarantaine du mandataire ou de l'impossibilité de respecter les règles sanitaires, le guide attaqué entend rappeler les dispositions de l'article 459 du code civil applicables lorsque la personne protégée est exposée à une situation de danger. La formulation retenue, prévoyant une information systématique du juge en pareils cas, n'est pas susceptible d'entacher d'illégalité ce guide édicté, dans un cadre temporaire et exceptionnel de crise sanitaire, pour contribuer à la protection des personnes les plus vulnérables. Par suite, le moyen tiré de ce que le guide attaqué méconnaît les dispositions des articles 415 et 459 du code civil doit être écarté.

29. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la Chambre nationale des mandataires judiciaires à la protection des majeurs, la Fédération nationale des mandataires judiciaires indépendants à la protection des majeurs et Mme B... A... doit être rejetée, y compris, par voie de conséquence, leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la Chambre nationale des mandataires judiciaires à la protection des majeurs, de la Fédération nationale des mandataires judiciaires indépendants à la protection des majeurs et de Mme A... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Chambre nationale des mandataires judiciaires à la protection des majeurs, à la Fédération nationale des mandataires judiciaires indépendants à la protection des majeurs, à Mme B... A..., au ministre de la santé et de la prévention et au ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées.

Copie en sera adressée au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 octobre 2022 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et M. David Gaudillère, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 29 novembre 2022.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

Le rapporteur :

Signé : M. David Gaudillère

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 448176
Date de la décision : 29/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 29 nov. 2022, n° 448176
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Gaudillère
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SCP DELAMARRE, JEHANNIN

Origine de la décision
Date de l'import : 01/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:448176.20221129
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