Vu la procédure suivante :
Mme A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Dijon, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 14 février 2022 par lequel la présidente du centre communal d'action sociale de Sens a prononcé sa révocation et, d'autre part, d'enjoindre à la présidente du centre communal d'action sociale de la réintégrer sur son poste et de reconstituer sa carrière dans un délai de dix jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.
Par une ordonnance n°2200618 du 21 mars 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Dijon a rejeté la demande de Mme B....
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 avril, 20 avril, 17 mai et 10 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre à la charge du centre communal d'action sociale de Sens la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984;
- le décret n° 89-677 du 18 septembre 1989 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Nicolas Jau, auditeur,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de Mme A... B... et à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat du centre communal d'action sociale de Sens ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par un arrêté du 14 février 2022, la présidente du centre communal d'action sociale de Sens a prononcé la révocation de Mme B.... Par une ordonnance du 21 mars 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Dijon a rejeté la demande de Mme B... tendant, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution de cet arrêté. Mme B... se pourvoit en cassation contre cette ordonnance.
2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. / (...) La suspension prend fin au plus tard lorsqu'il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision ".
3. Aux termes de l'article 6 du décret du 18 septembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires territoriaux : " Le fonctionnaire poursuivi est convoqué par le président du conseil de discipline, quinze jours au moins avant la date de la réunion, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ". Le délai de quinze jours mentionné par ces dispositions constitue pour l'agent concerné une garantie visant à lui permettre de préparer utilement sa défense. Par suite, la méconnaissance de ce délai a pour effet de vicier la consultation du conseil de discipline, sauf s'il est établi que l'agent a été informé de la date du conseil de discipline, au moins quinze jours à l'avance, par d'autres voies.
4. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la lettre recommandée par laquelle Mme B... a été convoquée à la réunion du conseil de discipline du 25 janvier 2022 lui a été notifiée le 12 janvier 2022, soit moins de quinze jours avant la tenue de ce conseil de discipline, et qu'elle n'a pas été avisée de cette date par d'autres voies au moins quinze jours à l'avance. Dans ces conditions, il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu'en jugeant que le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure ayant conduit à l'édiction de la décision attaquée n'était pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, le juge des référés du tribunal administratif de Dijon a commis une erreur de droit. Mme B... est donc fondée à demander, pour ce motif, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
6. D'une part, la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à la situation du requérant et aux intérêts qu'il entend défendre. Il en va ainsi, alors même que cette décision n'aurait un objet ou des répercussions que purement financiers et que, en cas d'annulation, ses effets pourraient être effacés par une réparation pécuniaire. Il appartient au juge des référés, saisi d'une demande tendant à la suspension d'une telle décision, d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou, le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. Il lui appartient également, l'urgence s'appréciant objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de chaque espèce, de faire apparaître dans sa décision tous les éléments qui, eu égard notamment à l'argumentation des parties, l'ont conduit à considérer que la suspension demandée revêtait un caractère d'urgence.
7. Il résulte de l'instruction que l'arrêté du 14 février 2022, par lequel la présidente du centre communal d'action sociale de Sens a prononcé la révocation de Mme B..., a pour effet de priver celle-ci de son traitement et porte, en l'état de l'instruction, à sa situation financière une atteinte grave et immédiate. Si le centre communal d'action sociale fait valoir que l'intérêt du service s'oppose à ce que l'intéressée reprenne ses fonctions au sein du service compte tenu notamment de son comportement vexatoire et dévalorisant à l'égard de plusieurs de ses collaborateurs, l'établissement dispose d'un éventail de mesures permettant de placer l'intéressée dans une situation régulière tout en assurant le bon fonctionnement du service. Dans ces conditions, la condition d'urgence fixée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie.
8. D'autre part, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que le moyen tiré de ce que l'arrêté du 14 février 2022 a été rendu au terme d'une procédure irrégulière dès lors que le délai de convocation devant le conseil de discipline, fixé par les dispositions de l'article 6 du décret du 18 septembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires territoriaux, n'a pas été respecté est, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.
9. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à demander la suspension de l'exécution de l'arrêté contesté.
10. La suspension de l'exécution de l'arrêté du 14 février 2022 par lequel la présidente du centre communal d'action sociale de Sens a prononcé la révocation de Mme B... implique nécessairement que cette autorité procède à sa réintégration, à titre provisoire et sans préjudice de la possibilité de prendre à nouveau à son encontre une sanction disciplinaire au vu d'un avis émis régulièrement du conseil de discipline. Il lui est enjoint d'y procéder dans un délai de trois mois à compter de la présente décision, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre communal d'action sociale de Sens la somme de 3 000 euros à verser à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions du même article font obstacle à ce que la somme demandée en cassation par le centre communal d'action sociale soit mise à la charge de Mme B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 21 mars 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Dijon est annulée.
Article 2 : L'exécution de l'arrêté du 14 février 2022 de la présidente du centre communal d'action sociale de Sens prononçant la révocation de Mme B... est suspendue.
Article 3 : Il est enjoint au centre communal d'action sociale de Sens de procéder à la réintégration de Mme B... dans un délai de trois mois à compter de la présente décision, dans les conditions que celle-ci précise.
Article 4 : Le centre communal d'action sociale de Sens versera à Mme B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au centre communal d'action sociale de Sens.
Délibéré à l'issue de la séance du 13 octobre 2022 où siégeaient : M. Stéphane Verclytte, conseiller d'Etat, présidant ; M. Christian Fournier, conseiller d'Etat et M. Nicolas Jau, auditeur-rapporteur.
Rendu le 27 octobre 2022.
Le président :
Signé : M. Stéphane Verclytte
Le rapporteur :
Signé : M. Nicolas Jau
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova