Vu la procédure suivante :
La société par actions simplifiées (SAS) KF3 Plus a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge des amendes qui lui ont été infligées sur le fondement du 3 du I de l'article 1737 du code général des impôts au titre des années 2012 et 2013. Par un jugement n° 1700260 du 4 juillet 2019, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.
Par un arrêt nos 19DA02079, 19DA02081 du 2 juillet 2020, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté la requête d'appel de la requérante.
Par un pourvoi, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 31 août et 27 novembre 2020 et le 8 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société KF3 Plus doit être regardée, dans le dernier état de ses écritures, comme demandant au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu le mémoire, enregistré le 24 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par la société, qui maintient les conclusions de sa requête et reprend les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021, notamment son article 142 ;
- la décision du 24 février 2021 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société KF3 Plus ;
- la décision n° 2021-908 QPC du Conseil constitutionnel du 26 mai 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat de la société KF3 Plus ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société KF3 Plus a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration lui a, notamment, infligé au titre des années 2012 et 2013 deux amendes à hauteur de 50 % du montant des transactions pour lesquelles elle n'avait pas délivré de facture, en application de la première phrase du 3 du I de l'article 1737 du code général des impôts, en refusant d'appliquer le taux réduit de 5 % prévu par les dispositions alors en vigueur lorsque le fournisseur apporte, dans les trente jours de la mise en demeure adressée par l'administration fiscale, la preuve que l'opération a été régulièrement comptabilisée. La société se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 2 juillet 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté son appel contre le jugement du 4 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande de décharge de ces amendes.
Sur la décision n° 2021-908 QPC du 26 mai 2021 du Conseil constitutionnel :
2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / (...). ". Aux termes de l'article 62 de la Constitution : " (...). / Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause. / Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ".
3. Par une décision n° 2021-908 QPC du 26 mai 2021, le Conseil constitutionnel a déclaré le 3 du I de l'article 1737 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités, contraire à la Constitution. Le dispositif de cette décision énonce que la déclaration d'inconstitutionnalité prend effet dans les conditions fixées à son paragraphe 13, qui précise que : " En l'espèce, l'abrogation immédiate des dispositions contestées entraînerait des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 31 décembre 2021 la date de l'abrogation des dispositions contestées. Les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité ". Il résulte de ce qui précède que, alors même que la société requérante est l'auteur de cette question prioritaire de constitutionnalité, la déclaration d'inconstitutionnalité est sans incidence sur l'issue du présent pourvoi.
4. Si la société KF3 Plus soutient qu'en lui refusant le bénéfice de l'abrogation qu'il prononce, le Conseil constitutionnel a méconnu les stipulations de l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il n'appartient pas à la juridiction administrative de connaître des décisions par lesquelles le Conseil constitutionnel, saisi sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution, met en œuvre les pouvoirs qu'il tient de son article 62.
Sur la loi répressive nouvelle plus douce :
5. En vertu de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : "La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires". Découle de ce principe la règle selon laquelle la loi répressive nouvelle doit, lorsqu'elle abroge une incrimination ou prévoit des peines moins sévères que la loi ancienne, s'appliquer aux auteurs d'infractions commises avant son entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à des décisions devenues irrévocables. Il appartient au juge du fond, saisi d'une contestation portant sur une sanction, de faire application, même d'office, d'une loi répressive nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date à laquelle l'infraction a été commise et celle à laquelle il statue. Il en va de même pour le juge de cassation si la loi nouvelle est entrée en vigueur postérieurement à la décision frappée de pourvoi.
6. Les dispositions du 3 du I de l'article 1737 du code général des impôts en vigueur à la date des faits litigieux prévoyaient l'application d'une amende non plafonnée égale à 50 % du montant de la transaction lorsque n'était pas délivrée une facture, et la réduction du taux de l'amende à 5 % de ce même montant lorsque le fournisseur apportait, dans les trente jours de la mise en demeure adressée par l'administration fiscale, la preuve que l'opération avait été régulièrement comptabilisée. Aux termes du I de l'article 1737 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 142 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 : " Entraîne l'application d'une amende égale à 50 % du montant : /(...)/ 3. De la transaction, le fait de ne pas délivrer une facture ou la note prévue à l'article 290 quinquies et de ne pas comptabiliser la transaction. Le client professionnel est solidairement tenu au paiement de cette amende, qui ne peut excéder 375 000 euros par exercice. Toutefois, lorsque la transaction a été comptabilisée, l'amende est réduite à 5 % et ne peut excéder 37 500 euros par exercice ".
7. Ces dernières dispositions, qui ont assoupli les conditions dans lesquelles le taux de 5 % peut être retenu au lieu du taux de 50 % et plafonné les montants de l'amende, constituent une loi répressive nouvelle plus douce que les dispositions antérieures dont la cour a fait application et font obstacle au maintien du dispositif de l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur le montant des amendes litigieuses.
8. Il résulte de ce qui précède que la société requérante est seulement fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il statue sur le montant des amendes.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
10. En premier lieu, dès lors que l'assiette de l'amende en litige porte sur le montant effectif de la transaction, qui doit s'entendre comme un montant " toutes taxes comprises ", la société requérante n'est pas fondée à demander que l'amende soit assise sur un montant hors taxe sur la valeur ajoutée.
11. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que les opérations de vente sans facture ayant donné lieu à l'application de l'amende prévue au 3 du 1 de l'article 1737 du code général des impôts, pour un montant de 623 598 euros au titre de l'exercice 2012 et de 636 178 euros au titre de l'exercice 2013, ont été constatées dans les écritures comptables de la société pour les deux années en litige et portées dans un compte de recettes en espèces. Dès lors, la société est fondée à soutenir que les transactions en litige ont été comptabilisées par elle et, par suite, à demander, d'une part, la réduction du taux applicable aux amendes en litige à 5 % et, d'autre part, leur plafonnement à la somme de 37 500 euros, conformément aux dispositions issues de l'article 142 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022.
12. En troisième lieu, les moyens tirés de ce que l'application des dispositions de l'article 1737 du code général des impôts dans leur rédaction en vigueur à la date des faits porterait une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et méconnaîtrait le principe de proportionnalité des peines garanti par l'article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne peuvent être utilement invoqués par la société requérante dès lors qu'ainsi qu'il a été dit au point 7, il doit être fait application des dispositions de l'article 1737 du code général des impôts dans leur rédaction en vigueur à la date de la présente décision.
13. Il résulte de ce qui précède que la société requérante est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à être déchargée du montant des amendes en litige excédant 37 500 euros au titre de chacune des années 2012 et 2013.
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 6 000 euros à verser à la société KF3 Plus au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 4 juillet 2020 est annulé en tant qu'il a statué sur le montant des amendes infligées à la société KF3 Plus au titre des années 2012 et 2013.
Article 2 : La société KF3 Plus est déchargée du montant des amendes qui lui ont été infligées excédant 37 500 euros au titre de chacune des années 2012 et 2013.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 4 juillet 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi et des demandes présentées par la société KF3 Plus devant les juges du fond est rejeté.
Article 5 : L'Etat versera à la société KF3 Plus une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiées (SAS) KF3 Plus et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.