Vu la procédure suivante :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 12 août 2021 par laquelle le préfet de la Moselle a prononcé la suspension de son permis de conduire pour une durée de quatre mois et d'enjoindre à l'autorité préfectorale de lui restituer son permis de conduire. Par un jugement n° 2106237 du 19 novembre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a fait droit à sa demande.
Par un pourvoi, enregistré le 19 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les conclusions de Mme B... devant le tribunal administratif.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la route ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François Charmont, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le préfet de la Moselle a pris le 12 août 2021, sur le fondement de l'article L. 224-2 du code de la route, un arrêté suspendant, pour une durée de quatre mois, le permis de conduire de Mme B... qui avait, le 11 août, dépassé d'au moins 40 km/h la vitesse maximale autorisée. Le ministre de l'intérieur se pourvoit en cassation contre le jugement du 19 novembre 2021 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a, à la demande de Mme B..., annulé l'arrêté du préfet et lui a enjoint de restituer le permis dans un délai d'un mois.
2. D'une part, l'article L. 224-1 du code de la route prévoit que les officiers et agents de police judiciaire procèdent à la rétention à titre conservatoire d'un permis de conduire, notamment lorsque le dépassement de 40 km/h ou plus de la vitesse maximale est établi au moyen d'un appareil homologué et lorsque la véhicule est intercepté. L'article L. 224-2 du même code permet au préfet, si les mêmes conditions sont remplies, de prononcer, dans les 72 heures qui suivent, la suspension du permis pour une durée pouvant aller jusqu'à six mois.
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Les dispositions de l'article L. 121-1 ne sont pas applicables : / 1° En cas d'urgence ou de circonstances exceptionnelles ; / 2° Lorsque leur mise en œuvre serait de nature à compromettre l'ordre public ou la conduite des relations internationales ; / 3° Aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière ; / (...) ". Les modalités de la procédure contradictoire applicables aux décisions mentionnées à l'article L. 211-2 sont définies à l'article L. 122-1 du même code. La suspension d'un permis de conduire est une mesure de police qui doit être motivée en application de l'article L. 211-2 du même code.
4. Compte-tenu des conditions particulières d'urgence dans lesquelles intervient la décision par laquelle le préfet suspend un permis de conduire sur le fondement de l'article L. 224-2 du code de la route, qui doit être prise dans les 72 heures et qui a pour objet de faire obstacle à ce qu'un conducteur ayant commis un grave excès de vitesse retrouve l'usage de son véhicule, le préfet peut légalement prendre cette décision en se dispensant de procédure contradictoire en application du 1° de l'article L. 121-2 du code des relations entre le public et l'administration cité au point précédent.
5. Il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que l'arrêté attaqué avait été pris selon une procédure irrégulière après avoir retenu que le préfet de la Moselle n'apportait aucun élément, tiré notamment du comportement routier de Mme B..., de nature à faire regarder la suspension du permis de conduire de l'intéressée comme revêtant un caractère d'urgence dispensant le préfet du respect de la procédure contradictoire prévue par les dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a commis une erreur de droit qui justifie l'annulation de son jugement.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 19 novembre 2021 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Strasbourg.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme A... B....
Délibéré à l'issue de la séance du 8 septembre 2022 où siégeaient : M. Olivier Yeznikian, assesseur, présidant ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat et M. François Charmont, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 29 septembre 2022.