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28/09/2022 | FRANCE | N°465405

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 28 septembre 2022, 465405


Vu la procédure suivante :

M. B... A..., à l'appui de son appel contre le jugement n° 1900847 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux n'a fait que partiellement droit à sa demande tendant à l'annulation du titre de recette émis à son encontre par le centre communal d'action sociale de Bordeaux le 24 décembre 2018, a produit un mémoire, enregistré le 3 décembre 2021 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnali

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Par une ordonnance n° 20BX02649 du 30 juin 2022, enregistrée ...

Vu la procédure suivante :

M. B... A..., à l'appui de son appel contre le jugement n° 1900847 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux n'a fait que partiellement droit à sa demande tendant à l'annulation du titre de recette émis à son encontre par le centre communal d'action sociale de Bordeaux le 24 décembre 2018, a produit un mémoire, enregistré le 3 décembre 2021 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 20BX02649 du 30 juin 2022, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la 5ème chambre de la cour administrative d'appel de Bordeaux, avant qu'il soit statué sur l'appel de M. A..., a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des deuxième et quatrième alinéas de l'article L. 521-1 du code de la construction et de l'habitation dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2005-1566 du 15 décembre 2005.

Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise, M. A... soutient que ces dispositions méconnaissent le droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le principe de responsabilité garanti par l'article 4 de même Déclaration, le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la même Déclaration, l'exigence qui en résulte de prise en compte des facultés contributives des redevables et le principe de consentement à l'impôt garanti par l'article 14 de la même Déclaration.

Par des observations en défense, enregistrées le 25 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

La question a été transmise au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au centre communal d'action sociale de Bordeaux qui n'ont pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 ;

- l'ordonnance n° 2005-1566 du 15 décembre 2005 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Joachim Bendavid, auditeur,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 511-1 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction applicable à l'espèce, issue de l'ordonnance du 15 décembre 2005 relative à la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux, ratifiée par l'article 44 de la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement : " Le maire peut prescrire la réparation ou la démolition des murs, bâtiments ou édifices quelconques lorsqu'ils menacent ruine et qu'ils pourraient, par leur effondrement, compromettre la sécurité ou lorsque, d'une façon générale, ils n'offrent pas les garanties de solidité nécessaires au maintien de la sécurité publique (...) ". Les pouvoirs ainsi reconnus au maire doivent être mis en œuvre lorsque le danger provoqué par un immeuble provient à titre prépondérant de causes qui lui sont propres.

3. D'autre part, dans leur rédaction applicable à l'espèce, issue de la même ordonnance, les deuxième et quatrième alinéas de l'article L. 521-1 du code de la construction et de l'habitation, dont la constitutionnalité est contestée par le requérant, disposent que : " Le propriétaire ou l'exploitant est tenu d'assurer le relogement ou l'hébergement des occupants ou de contribuer au coût correspondant dans les conditions prévues à l'article L. 521-3-1 dans les cas suivants : / (...) / - lorsqu'un immeuble fait l'objet d'un arrêté de péril en application de l'article L. 511-1 du présent code, si l'arrêté ordonne l'évacuation du bâtiment ou s'il est assorti d'une interdiction d'habiter ou encore si les travaux nécessaires pour mettre fin au péril rendent temporairement le logement inhabitable ". Aux termes des premier et sixième alinéas du même article, dans leur rédaction applicable : " Pour l'application du présent chapitre, l'occupant est le titulaire d'un droit réel conférant l'usage, le locataire, le sous-locataire ou l'occupant de bonne foi des locaux à usage d'habitation et de locaux d'hébergement constituant son habitation principale. / (...) Cette obligation est faite sans préjudice des actions dont dispose le propriétaire ou l'exploitant à l'encontre des personnes auxquelles l'état d'insalubrité ou de péril serait en tout ou partie imputable ". Aux termes de l'article L. 521-3-1 du même code, dans sa rédaction applicable : " I. - Lorsqu'un immeuble fait l'objet d'une interdiction temporaire d'habiter ou d'utiliser ou que son évacuation est ordonnée en application de l'article L. 511-3 ou de l'article L. 129-3, le propriétaire ou l'exploitant est tenu d'assurer aux occupants un hébergement décent correspondant à leurs besoins. / A défaut, l'hébergement est assuré dans les conditions prévues à l'article L. 521-3-2. Son coût est mis à la charge du propriétaire ou de l'exploitant. / (...) / II. - Lorsqu'un immeuble fait l'objet d'une interdiction définitive d'habiter, ainsi qu'en cas d'évacuation à caractère définitif, le propriétaire ou l'exploitant est tenu d'assurer le relogement des occupants. Cette obligation est satisfaite par la présentation à l'occupant de l'offre d'un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités. Le propriétaire ou l'exploitant est tenu de verser à l'occupant évincé une indemnité d'un montant égal à trois mois de son nouveau loyer et destinée à couvrir ses frais de réinstallation. / En cas de défaillance du propriétaire ou de l'exploitant, le relogement des occupants est assuré dans les conditions prévues à l'article L. 521-3-2. / (...) ".

4. En premier lieu, la propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Aux termes de son article 17 : " La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ". En l'absence de privation du droit de propriété, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les limites apportées à son exercice doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi. En outre, si le principe d'égalité devant les charges publiques, qui résulte de l'article 13 de la Déclaration de 1789, n'interdit pas au législateur de mettre à la charge de certaines catégories de personnes des charges particulières en vue d'améliorer les conditions de vie d'autres catégories de personnes, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

5. D'une part, l'obligation d'hébergement ou de relogement instituée par les dispositions contestées n'entraîne aucune privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789.

6. D'autre part, les restrictions que les dispositions contestées apportent à l'exercice du droit de propriété sont justifiées par l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent. L'obligation d'hébergement ou de relogement instituée par ces dispositions, qui, contrairement à ce qui est soutenu, ne concerne pas l'ensemble des cas où un arrêté de péril est pris, est, en vertu des dispositions de l'article L. 521-3-1 du code de la construction et de l'habitation, satisfaite, d'une part, en cas d'impossibilité temporaire d'habiter, par la prise en charge d'un hébergement décent correspondant aux besoins des occupants, lequel n'est pas nécessairement équivalent au logement dont ils ont été évincés, pour la seule période nécessaire à la réalisation, par le propriétaire ou l'exploitant, des travaux de mise en conformité prescrits par l'arrêté de péril, et, d'autre part, en cas d'impossibilité définitive d'habiter, par la présentation aux occupants de l'offre d'un logement correspondant à leurs besoins et possibilités, sans prise en charge de leur nouveau loyer mais seulement des frais liés à leur réinstallation. En outre, si, comme le fait valoir le requérant, l'obligation d'hébergement ou de relogement des occupants évincés s'impose au propriétaire ou à l'exploitant y compris dans le cas où l'état de péril de l'immeuble serait en tout ou partie imputable à d'autres personnes, d'une part, cette obligation s'impose, comme le précisent les dispositions du dernier alinéa de l'article L. 521-1 du code de la construction et de l'habitation, sans préjudice des actions dont dispose le propriétaire ou l'exploitant à l'encontre de ces personnes et, d'autre part, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, il résulte d'une jurisprudence constante que les pouvoirs reconnus au maire en vertu de l'article L. 511-1 du code de la construction et de l'habitation ne trouvent à s'appliquer que lorsque le danger provoqué par l'immeuble provient à titre prépondérant de causes qui lui sont propres. Dans ces conditions, les restrictions apportées par les dispositions contestées à l'exercice du droit de propriété ne sont pas disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi. Ainsi, M. A... n'est pas fondé à soutenir que les deuxième et quatrième alinéas de l'article L. 521-1 du code de la construction et de l'habitation méconnaissent les dispositions de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ni, pour les mêmes motifs, qu'elles méconnaissent celles de l'article 13 de la même Déclaration relatives à l'égalité devant les charges publiques ni le principe de responsabilité garanti par son article 4.

7. En second lieu, les dispositions de l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 relatives au droit dont disposent tous les citoyens de " constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée " n'instituent pas un droit ou une liberté qui puisse être invoqué, à l'occasion d'une instance devant une juridiction, à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle au sens des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance organique du 7 novembre 1958, ne présente pas de caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., à la Première ministre et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au centre communal d'action sociale de Bordeaux, au Conseil constitutionnel et à la cour administrative d'appel de Bordeaux.


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 465405
Date de la décision : 28/09/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 28 sep. 2022, n° 465405
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Joachim Bendavid
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:465405.20220928
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