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28/09/2022 | FRANCE | N°462637

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 28 septembre 2022, 462637


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er juillet et 24 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Hôpital Foch, la fondation ophtalmologique Adolphe de Rothschild, l'association Hôpitaux privés de Metz, la mutualité Fonction publique action santé social et le groupement de coopération sanitaire " Groupement des hôpitaux de l'Institut catholique de Lille " demandent au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur req

uête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2022-1...

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er juillet et 24 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Hôpital Foch, la fondation ophtalmologique Adolphe de Rothschild, l'association Hôpitaux privés de Metz, la mutualité Fonction publique action santé social et le groupement de coopération sanitaire " Groupement des hôpitaux de l'Institut catholique de Lille " demandent au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2022-133 du 5 février 2022 relatif à l'activité libérale des praticiens dans les établissements publics de santé, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 6152-4, L. 6154-1 et L. 6154-2 du code de la santé publique dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2021-292 du 17 mars 2021 visant à favoriser l'attractivité des carrières médicales hospitalières.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Hortense Naudascher, auditrice,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. A l'appui de leur requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 5 février 2022 relatif à l'activité libérale des praticiens dans les établissements publics de santé, l'association Hôpital Foch et autres demandent que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 6152-4, L. 6154-1 et L. 6154-2 du code de la santé publique dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2021-292 du 17 mars 2021 visant à favoriser l'attractivité des carrières médicales hospitalières.

3. En premier lieu, le décret du 5 février 2022 relatif à l'activité libérale des praticiens dans les établissements publics de santé ne contient aucune disposition prise pour l'application de l'article L. 6152-4 du code de la santé publique, en particulier du dernier alinéa de son I, contesté par les requérants, aux termes duquel " Par dérogation au 1°, les personnels mentionnés au 1° et au 2° de l'article L. 6152-1 dont la quotité de travail est inférieure ou égale à 90 % des obligations de service d'un praticien exerçant à temps plein peuvent exercer à titre professionnel une activité privée lucrative. La dérogation fait l'objet d'une déclaration au directeur de l'établissement dont l'intéressé relève pour l'exercice de ses fonctions. Les conditions d'application du présent alinéa sont fixées par voie règlementaire ". Il en résulte que l'article L. 6152-4 du code de la santé publique ne peut être regardé comme applicable au litige, au sens et pour l'application de l'article 23-5 du 7 novembre 1958.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 6154-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 17 mars 2021 visant à favoriser l'attractivité des carrières médicales hospitalières : " Les praticiens mentionnés au 1° de l'article L. 6152-1 et à l'article L. 952-21 du code de l'éducation exerçant au minimum huit demi-journées par semaine dans les établissements publics de santé sont autorisés à exercer une activité libérale dans les conditions définies au présent chapitre, sous réserve que l'exercice de cette activité n'entrave pas l'accomplissement des missions définies aux articles L. 6111-1 à L. 6111-1-4 ainsi qu'à l'article L. 6112-1 ". Aux termes de l'article L. 6154-2 du même code, dans sa rédaction issue de la même ordonnance : " I. - Peuvent exercer une activité libérale les seuls praticiens ayant adhéré à la convention régissant les rapports entre les organismes d'assurance maladie et les médecins mentionnée à l'article L. 162-5 du code de la sécurité sociale d'une part, et n'exerçant pas d'activité libérale en dehors des établissements publics de santé, d'autre part. (...) II.- L'activité libérale peut comprendre des consultations, des actes et des soins en hospitalisation ; elle est organisée de manière à garantir l'information des patients et la neutralité de leur orientation entre activité libérale et activité publique ; elle s'exerce au sein de l'établissement dans lequel le praticien a été nommé ou, dans le cas d'une activité partagée, dans les établissements du groupement hospitalier de territoire dans lesquels il exerce, à la triple condition :1° Que le praticien exerce personnellement et à titre principal une activité de même nature dans le secteur hospitalier public ; 2° Que la durée de l'activité libérale n'excède pas 20 % de la durée de service hospitalier hebdomadaire à laquelle est astreint le praticien ; 3° Que le nombre total de consultations et d'actes effectués au titre de l'activité libérale soit inférieur au nombre total de consultations et d'actes effectués au titre de l'activité publique au sein du ou des établissements dans lesquels il exerce./ Pour l'application du 2°, les praticiens hospitaliers mentionnés au 1° de l'article L. 6152-1 exerçant à hauteur de huit ou neuf demi-journées par semaine peuvent exercer une activité libérale dans la limite d'une demi-journée par semaine ; les praticiens hospitaliers exerçant à hauteur de dix demi-journées par semaine peuvent exercer une activité libérale dans la limite de deux demi-journées par semaine./ En cas d'activité partagée, l'activité libérale ne peut s'exercer que sur deux sites au maximum. Aucun lit, ni aucune installation médicotechnique ne doit être réservé à l'exercice de l'activité libérale (...) ".

5. Les requérants soutiennent que l'article L. 6154-1 et le II de l'article L. 6154-2 du code de la santé publique méconnaissent le principe d'égalité en ce qu'ils autorisent les seuls praticiens des établissements publics de santé à exercer au sein de leur établissement une activité libérale, pouvant donner lieu le cas échéant à dépassement d'honoraires, sans prévoir cette possibilité pour les praticiens des établissements de santé privés d'intérêt collectif dont la situation est, selon eux, comparable à celle des praticiens des établissements publics de santé. Ils soutiennent également que les mêmes dispositions méconnaissent la liberté contractuelle en ce qu'elles ont pour effet d'interdire aux établissements de santé privés d'intérêt collectif de conclure avec leurs praticiens des contrats de travail permettant à ceux-ci de pratiquer des dépassements d'honoraires.

6. Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. En outre, il est loisible au législateur d'apporter à la liberté contractuelle, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

7. D'une part, contrairement aux praticiens exerçant dans les établissements de santé privé d'intérêt collectif, les praticiens hospitaliers ont vocation à consacrer l'intégralité de leur carrière au secteur public et sont régis par un statut de droit public. Ce statut régit entièrement les conditions de leur rémunération, sans possibilité de dérogation par voie conventionnelle, et fixe, en dépit des assouplissements apportés sur ce point par l'ordonnance du 17 mars 2021, des règles contraignantes pour l'exercice d'activités extérieures à l'établissement public de santé, auxquelles ne sont pas soumis les médecins exerçant dans les établissements de santé privé d'intérêt collectif. Dès lors, la différence de traitement contestée entre les établissements publics de santé et les établissements de santé privé d'intérêt collectif reposent sur une différence de situation.

8. D'autre part, il résulte des dispositions citées au point 4 que l'exercice d'une activité libérale au sein des établissements publics de santé reste soumis, même à la suite des assouplissements introduits par l'ordonnance du 17 mars 2021, à des conditions restrictives. L'exercice, dans de telles conditions, d'une activité libérale vise à offrir, uniquement à titre accessoire, un complément de rémunération et de retraite aux praticiens statutaires des établissements publics de santé. Il permet d'améliorer l'attractivité des carrières hospitalières publiques et la qualité des soins prodigués dans les établissements publics de santé. La différence de traitement contestée est ainsi en rapport direct avec l'objet de la loi.

9. Il n'en résulte, pour les mêmes raisons et en tout état de cause, aucune atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle, au regard de l'objectif d'intérêt général poursuivi.

10. Par suite, la question, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux en tant qu'elle est relative aux articles L. 6154-1 et L. 6154-2 du code de la santé publique.

11. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association Hôpital Foch et autres.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association Hôpital Foch et autres.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Hôpital Foch, première dénommée, pour l'ensemble des requérants, au Premier ministre et au ministre de la santé et de la prévention.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au ministre de la transformation et de l'action publiques.

Délibéré à l'issue de la séance du 14 septembre 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et Mme Hortense Naudascher, auditrice-rapporteure.

Rendu le 28 septembre 2022.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Hortense Naudascher

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 462637
Date de la décision : 28/09/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 sep. 2022, n° 462637
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Hortense Naudascher
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:462637.20220928
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