La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/09/2022 | FRANCE | N°458693

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 23 septembre 2022, 458693


Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nîmes d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 15 septembre 2021 par laquelle le directeur du centre hospitalier du Pays d'Aix l'a suspendue de ses fonctions et d'enjoindre à l'administration de régulariser sa situation administrative et financière dans un délai de 15 jours. Par une ordonnance n° 2103620 du 8 novembre 2021, prise par application des dispositions de l'article L. 522-3 d

u code de justice administrative, le juge des référés a rejeté sa ...

Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nîmes d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 15 septembre 2021 par laquelle le directeur du centre hospitalier du Pays d'Aix l'a suspendue de ses fonctions et d'enjoindre à l'administration de régulariser sa situation administrative et financière dans un délai de 15 jours. Par une ordonnance n° 2103620 du 8 novembre 2021, prise par application des dispositions de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, le juge des référés a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 novembre et 8 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier du Pays d'Aix la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ségolène Cavaliere, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grévy, avocat de Mme A... et à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du centre hospitalier du Pays d'Aix.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". Aux termes de l'article L. 522-3 du même code : " Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1 ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Nîmes que, par une décision du 15 septembre 2021 entrant en vigueur le jour même, le directeur du centre hospitalier du Pays d'Aix a suspendu Mme A..., aide-soignante en fonction au sein de cet établissement de santé, jusqu'à ce qu'elle satisfasse à l'obligation de vaccination contre la covid-19 prévue par l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire. Mme A... se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 8 novembre 2021 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

3. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. Il lui appartient également, l'urgence s'appréciant objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de chaque espèce, de faire apparaître dans sa décision tous les éléments qui, eu égard notamment à l'argumentation des parties, l'ont conduit à considérer que la suspension demandée revêtait un caractère d'urgence.

4. Il ressort des termes de l'ordonnance attaquée que, pour estimer que la condition d'urgence requise par les dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'était pas remplie, le juge des référés s'est fondé sur la circonstance que, si Mme A... faisait valoir que la décision litigieuse avait pour effet de la priver de rémunération alors qu'elle est chargée de famille, cette décision avait été prise en vue de satisfaire à l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé. Cette appréciation des intérêts respectifs en présence, alors qu'il ressortait des pièces du dossier que la décision de suspension portait à la situation financière de Mme A... une atteinte suffisamment grave et immédiate, est entachée de dénaturation.

5. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, Mme A... est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au titre de la procédure de référé.

Sur le droit applicable :

7. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière applicable au litige et désormais repris aux articles L. 822-1 et suivants du code général de la fonction publique : " Le fonctionnaire en activité à droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévues en application de l'article 42 ".

8. D'autre part, aux termes du I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans : / a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique (...) " et aux termes du III de l'article 14 de la même loi : " Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit (...) ".

9. Il résulte de ces dispositions que si le directeur d'un établissement de santé public peut légalement prendre une mesure de suspension à l'égard d'un agent qui ne satisfait pas à l'obligation vaccinale contre la covid-19 alors que cet agent est déjà en congé de maladie, cette mesure et la suspension de traitement qui lui est associée ne peuvent toutefois entrer en vigueur qu'à compter de la date à laquelle prend fin le congé de maladie de l'agent en question.

Sur la décision contestée en ce qu'elle prononce une suspension :

10. Il résulte de ce qui vient d'être dit que le moyen tiré de ce que la décision de suspension a été prise alors que Mme A... se trouvait en congé de maladie n'est pas de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de cette décision.

11. Si Mme A... soutient également que cette décision est signée par une autorité qui n'avait pas compétence pour la prendre, que les garanties entourant la procédure de suspension n'ont pas été respectées, que la mesure revêt le caractère d'une sanction déguisée, qu'elle se fonde sur une discrimination fondée sur l'état de santé, qu'elle viole le secret médical, que la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire et le décret du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire méconnaissent le principe d'égalité, et que le centre hospitalier ne contrôlerait pas, par ailleurs, le respect d'autres obligations vaccinales, aucun de ces autres moyens n'est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à sa légalité en ce qu'elle prononce une suspension.

Sur la date d'entrée en vigueur de la décision contestée :

12. D'une part, il résulte de ce qui a été dit au point 9 que le moyen tiré de ce que la décision prononçant la suspension de Mme A... a pris effet à compter du 15 septembre 2021, alors qu'elle était en congé de maladie depuis le 31 août précédent, est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l'entrée en vigueur de cette décision, en tant qu'elle précède la fin du congé de maladie.

13. D'autre part, il résulte de l'instruction que la décision litigieuse a pour effet de priver Mme A... de toute rémunération, préjudiciant ainsi de manière grave et immédiate à sa situation financière. Si le centre hospitalier du pays d'Aix fait valoir devant le Conseil d'Etat que la suspension de l'exécution de cette décision porterait atteinte à l'intérêt général qui s'attache à la protection de la santé, un tel motif n'est, compte tenu de ce que le congé de maladie de Mme A... a pour effet de l'éloigner de son lieu de travail, pas de nature à caractériser la nécessité d'exécuter immédiatement la décision contestée tant que l'intéressée est en congé de maladie. Par suite, la condition d'urgence exigée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie tant que Mme A... est en congé de maladie.

14. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 15 septembre 2021 suspendant Mme A... de ses fonctions, cette suspension prenant effet sous réserve qu'elle soit toujours en congé de maladie à la date de la présente décision et courant jusqu'au terme de son congé de maladie débuté le 31 août 2021, ou de tout autre congé qui lui aurait été immédiatement consécutif.

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme A... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier du Pays d'Aix la somme de 1 000 euros à verser à Mme A... au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du 8 novembre 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Nîmes est annulée.

Article 2 : L'exécution de la décision du 15 septembre 2021 du directeur du centre hospitalier du Pays d'Aix est suspendue jusqu'au terme du congé de maladie de Mme A... débuté le 31 août 2021, ou de tout autre congé qui lui aurait été immédiatement consécutif.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Nîmes est rejeté.

Article 4 : Le centre hospitalier du Pays d'Aix versera à Mme A... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier du Pays d'Aix au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et au centre hospitalier du Pays d'Aix.

Délibéré à l'issue de la séance du 1er septembre 2022 où siégeaient : Mme Fabienne Lambolez, assesseure, présidant ; M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat et Mme Ségolène Cavaliere, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 23 septembre 2022.

La présidente :

Signé : Mme Fabienne Lambolez

La rapporteure :

Signé : Mme Ségolène Cavaliere

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 458693
Date de la décision : 23/09/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 23 sep. 2022, n° 458693
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Ségolène Cavaliere
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron
Avocat(s) : SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY ; SARL LE PRADO – GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 25/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:458693.20220923
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award