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19/08/2022 | FRANCE | N°443528

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 19 août 2022, 443528


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 31 août 2020 et le 5 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Fiatlux et M. A... B... demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les articles 1er, 2, 3, 4, 5 et 6 du décret n° 2020-797 du 29 juin 2020 relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des l

ibertés

fondamentales ;

- le code de l'organisation judiciaire ;

- le code de procéd...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 31 août 2020 et le 5 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Fiatlux et M. A... B... demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les articles 1er, 2, 3, 4, 5 et 6 du décret n° 2020-797 du 29 juin 2020 relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés

fondamentales ;

- le code de l'organisation judiciaire ;

- le code de procédure civile ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 2019-2022 du 23 mars 2019 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Vaullerin, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Fiatlux, société de droit suisse spécialisée dans l'édition de revues professionnelles consacrées notamment à la veille judiciaire et à la lutte contre la criminalité économique, et M. Bonifassi, avocat au barreau de Paris, demandent l'annulation des articles 1er à 6 du décret du 29 juin 2020 relatif à la mise à disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives, pris pour l'application des dispositions de l'article 33 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

2. Aux termes de l'article L. 10 du code de justice administrative, dans sa rédaction résultant de l'article 33 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : " Les jugements sont publics. Ils mentionnent le nom des juges qui les ont rendus. / Sous réserve des dispositions particulières qui régissent l'accès aux décisions de justice et leur publicité, les jugements sont mis à la disposition du public à titre gratuit sous forme électronique. / Par dérogation au premier alinéa, les nom et prénoms des personnes physiques mentionnées dans le jugement, lorsqu'elles sont parties ou tiers, sont occultés préalablement à la mise à la disposition du public. Lorsque sa divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage, est également occulté tout élément permettant d'identifier les parties, les tiers, les magistrats et les membres du greffe. / (...) Un décret en Conseil d'Etat fixe, pour les jugements de premier ressort, d'appel ou de cassation, les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article L. 10-1 du code de justice administrative, issu du même article 33 de la loi du 23 mars 2019 : " Les tiers peuvent se faire délivrer copie des jugements, sous réserve des demandes abusives, en particulier par leur nombre ou par leur caractère répétitif ou systématique. / Les éléments permettant d'identifier les personnes physiques mentionnées dans le jugement, lorsqu'elles sont parties ou tiers, sont occultés si leur divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage. / Un décret en Conseil d'Etat fixe, pour les décisions de premier ressort, d'appel ou de cassation, les conditions d'application du présent article ".

3. Aux termes de l'article L. 111-13 du code de l'organisation judiciaire, dans sa rédaction résultant de l'article 33 de la loi du 23 mars 2019 : " Sous réserve des dispositions particulières qui régissent l'accès aux décisions de justice et leur publicité, les décisions rendues par les juridictions judiciaires sont mises à la disposition du public à titre gratuit sous forme électronique. / Les nom et prénoms des personnes physiques mentionnées dans la décision, lorsqu'elles sont parties ou tiers, sont occultés préalablement à la mise à la disposition du public. Lorsque sa divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage, est également occulté tout élément permettant d'identifier les parties, les tiers, les magistrats et les membres du greffe. / (...) Un décret en Conseil d'Etat fixe, pour les décisions de premier ressort, d'appel ou de cassation, les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article L. 111-14 du même code, issu de la même disposition : " Les tiers peuvent se faire délivrer copie des décisions de justice par le greffe de la juridiction concernée conformément aux règles applicables en matière civile ou pénale et sous réserve des demandes abusives, en particulier par leur nombre ou par leur caractère répétitif ou systématique. / Les éléments permettant d'identifier les personnes physiques mentionnées dans la décision, lorsqu'elles sont parties ou tiers, sont occultés si leur divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage. / Un décret en Conseil d'Etat fixe, pour les décisions de premier ressort, d'appel ou de cassation, les conditions d'application du présent article ".

En ce qui concerne l'exception d'inconventionnalité des articles L. 10 et L. 10-1 du code de justice administrative et L. 111-13 et L. 111-14 du code de l'organisation judiciaire :

4. En premier lieu, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, si les stipulations de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantissent le droit de tout justiciable à ce que sa cause soit entendue publiquement et exigent que le jugement soit rendu publiquement, celles-ci ne consacrent nullement un droit à la publicité des décisions de justice pour les tiers. Dès lors, le moyen tiré de ce que ces dispositions législatives seraient incompatibles avec les stipulations de l'article 6 de la convention, en ce qu'elles prévoient l'occultation des éléments de la décision de justice relatifs à la défense des intérêts fondamentaux de la Nation, à l'identification des magistrats et membres du greffe ou de personnes physiques, doit être écarté.

5. En second lieu, si les dispositions des articles L. 10-1 du code de justice administrative et L. 111-14 du code de l'organisation judiciaire prévoient, s'agissant du régime de délivrance des copies de décisions de justice aux tiers, la possibilité de ne pas faire droit aux demandes de délivrance de copies de telles décisions jugées abusives, du fait notamment de leur nombre ou de leur caractère répétitif ou systématique, cette restriction, limitée à des cas précis et justifiée par la nécessité de garantir le bon fonctionnement de la justice, ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté de recevoir ou communiquer des informations consacrée par les stipulations de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne l'occultation des décisions de justice pour des motifs relatifs aux intérêts fondamentaux de la Nation :

6. L'article R. 741-14 du code de justice administrative, introduit par l'article 1er du décret attaqué, relatif à la mise à disposition du public, sous forme électronique, des décisions rendues par les juridictions administratives dispose, à son dernier alinéa, que le membre du Conseil d'Etat ou le magistrat compétent " peut décider l'occultation de tout élément de la décision dont la divulgation est susceptible de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ". Le quatrième alinéa de l'article R. 751-7 du même code, dans sa version résultant de l'article 2 du décret attaqué, prévoit, par ailleurs, s'agissant de la délivrance aux tiers de copies de décisions précisément identifiées, que " lorsque des éléments de la décision ont été occultés en application du dernier alinéa de l'article R. 741-14, il est procédé à la même occultation sur la copie de la décision ". En outre, l'article R. 168 du code de procédure pénale, inséré par l'article 6 du décret attaqué, relatif aux délivrances de copies de décision aux tiers, dispose également, à son second alinéa, que le procureur de la République ou le procureur général peut " décider l'occultation de certains motifs ou éléments d'identification si leur divulgation est susceptible de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou au secret en matière commerciale ou industrielle ", tandis que l'article R. 170 du même code, issu du même article 6, précise que l'autorisation préalable du procureur de la République ou du procureur général, requise pour la délivrance à des tiers de copies des décisions non définitives, des décisions rendues par les juridictions d'instruction ou de l'application des peines et des décisions rendues par les juridictions pour mineurs ou après des débats tenus à huis clos, ainsi que les copies des autres actes ou pièces d'une procédure pénale " peut n'être accordée que sous réserve de l'occultation des éléments ou des motifs de la décision qui n'ont pas à être divulgués " et est refusée " par décision motivée si la demande n'est pas justifiée par un motif légitime, si la délivrance de la copie est susceptible de porter atteinte à l'efficacité de l'enquête ou à la présomption d'innocence, ou pour l'un des motifs mentionnés à l'article R. 168 ". Enfin, le troisième alinéa de l'article R. 111-11 du code de l'organisation judiciaire issu de l'article 4 du décret attaqué dispose que " lorsque la loi ou le règlement prévoit que la délivrance d'une copie peut n'être accordée qu'après occultation de tout ou partie des motifs de la décision, celle-ci est mise à la disposition du public dans les mêmes conditions ".

7. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que le moyen tiré de ce que les dispositions attaquées méconnaîtraient l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

8. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutiennent les requérants, si le principe de la publicité des débats judiciaires est un principe général du droit dont il n'appartient qu'au législateur de déterminer, d'étendre ou de restreindre les limites, il n'en est pas de même de la publicité des décisions de justice, qui n'est pas au nombre de ces principes. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le pouvoir réglementaire aurait, pour ce motif, outrepassé le champ de sa compétence en précisant les motifs d'occultation des décisions de justice par l'introduction du critère tiré du risque d'atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation.

9. Enfin, si la préservation des intérêts fondamentaux de la Nation n'est pas au nombre des critères posés par les articles L. 10 et L. 10-1 du code de justice administrative et L. 111-13 et L. 111-14 du code de l'organisation judiciaire susceptibles de justifier l'occultation, dans les décisions juridictionnelles mises à la disposition du public sous forme électronique ou dont des copies sont délivrées à des tiers, de tout élément permettant d'identifier les personnes physiques qui y sont mentionnées, le pouvoir réglementaire était, en tout état de cause, compétent, indépendamment de toute habilitation législative, pour prévoir l'obligation d'occulter toute information figurant dans les motifs de la décision en cause dont la divulgation serait susceptible de porter atteinte à ces intérêts. D'autre part, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'objectif à valeur constitutionnelle de sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, au premier rang desquels figurent l'indépendance nationale et l'intégrité du territoire, constitue un critère suffisamment précis et pertinent pour fonder l'occultation des motifs d'une décision de justice, au regard de l'objet des dispositions réglementaires attaquées.

En ce qui concerne les autres motifs d'occultation des décisions de justice :

10. Aux termes de l'article R. 751-7 du code de justice administrative, dans sa version issue de l'article 2 du décret attaqué : " (...) Les tiers peuvent se faire délivrer, dans les conditions et limites prévues à l'article L. 10-1, une copie simple de décisions précisément identifiées. / Les éléments permettant d'identifier les personnes physiques mentionnées dans la décision, lorsqu'elles sont parties ou tiers, sont préalablement occultés si leur divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage (...) ". Aux termes de l'article 1440-1-1 du code de procédure civile, introduit par l'article 5 du décret attaqué : " Les éléments permettant d'identifier les personnes physiques mentionnées dans la décision, lorsqu'elles sont parties ou tiers, sont occultés par le greffier préalablement à la remise de la décision si leur divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage (...) ".

11. D'une part, si les requérants contestent la légalité des occultations d'informations mentionnées au point 10 au motif que celles-ci seraient de nature à porter atteinte à l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité du droit et au principe de sécurité juridique, celles-ci résultent, en tout état de cause, des dispositions précitées des articles L. 10-1 du code de justice administrative et L. 111-13 du code de l'organisation judiciaire, qui prévoient que les éléments permettant d'identifier les personnes physiques mentionnées dans la décision juridictionnelle, lorsqu'elles sont parties ou tiers, sont occultés si leur divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage.

12. D'autre part, aucune disposition ni aucun principe ne fait obstacle à ce que le pouvoir réglementaire confie aux greffiers des juridictions administratives et judiciaires compétence pour procéder aux occultations d'informations mentionnées au point 10, sans préjudice des compétences propres confiées aux magistrats administratifs et judiciaires et aux membres du Conseil d'Etat par les dispositions mentionnées au point 6.

En ce qui concerne le délai de mise à disposition du public des décisions de justice :

13. L'article R. 111-10 du code de l'organisation judiciaire, introduit par l'article 4 du décret attaqué, dispose, à son second alinéa, que " les décisions sont mises à la disposition du public dans un délai de six mois à compter de leur mise à disposition au greffe de la juridiction " tandis que le second alinéa de l'article R. 741-13 du code de justice administrative, résultant de l'article 1er du décret, prévoit que " les décisions juridictionnelles rendues par le Conseil d'Etat, les cours administratives d'appel et les tribunaux administratifs sont mises à la disposition du public dans un délai de deux mois à compter de leur date ".

14. D'une part, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. Si les requérants soutiennent que la différence entre les délais de mise à disposition du public des décisions prévus par les articles R. 741-13 du code de justice administrative et R. 111-10 du code de l'organisation judiciaire méconnaît le principe général d'égalité, cette différence de traitement, qui est justifiée par la différence de situation entre juridictions administratives et juridictions judiciaires, tant dans leurs principes d'organisation que dans leurs conditions de fonctionnement, et qui est en rapport direct avec l'objet du texte qui l'établit, n'apparaît pas, en l'espèce, manifestement disproportionnée.

15. D'autre part, si les requérants soutiennent que ces dispositions méconnaîtraient les stipulations de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en portant atteinte à un principe de mise à disposition du public des décisions de justice dans un délai raisonnable, un tel principe, à la différence du droit à toute personne à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable, n'est pas aux nombre des garanties protégées par cet article.

En ce qui concerne le régime d'autorisation préalable pour la délivrance de copies de certaines catégories de décision :

16. Aux termes de l'article R. 170 du code de procédure pénale, issu de l'article 6 du décret attaqué : " Les copies des décisions non définitives, des décisions rendues par les juridictions d'instruction ou de l'application des peines et des décisions rendues par les juridictions pour mineurs ou après des débats tenus à huis clos, ainsi que les copies des autres actes ou pièces d'une procédure pénale, ne sont délivrées aux tiers qu'avec l'autorisation préalable du procureur de la République ou du procureur général et sous réserve que le demandeur justifie d'un motif légitime. / L'autorisation peut n'être accordée que sous réserve de l'occultation des éléments ou des motifs de la décision qui n'ont pas à être divulgués. / L'autorisation est refusée par décision motivée si la demande n'est pas justifiée par un motif légitime, si la délivrance de la copie est susceptible de porter atteinte à l'efficacité de l'enquête ou à la présomption d'innocence, ou pour l'un des motifs mentionnés à l'article R. 168 ".

17. Il résulte des termes de l'article L. 111-14 du code de l'organisation judiciaire cités au point 3 que les tiers peuvent se faire délivrer copie des décisions de justice par le greffe de la juridiction concernée conformément aux règles applicables en matière civile ou pénale et sous réserve des demandes abusives, et qu'un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application de ces dispositions. En prévoyant un régime d'autorisation préalable par le procureur de la République ou le procureur général, et en précisant que le demandeur doit justifier d'un motif légitime pour les catégories de décisions énumérées à l'article R. 170 du code de procédure pénale, dont la divulgation à des tiers est notamment, eu égard à leur nature, plus fortement susceptible de porter atteinte au respect du principe de présomption d'innocence, au bon déroulement d'enquêtes en cours, au secret en matière commerciale ou industrielle ou aux intérêts des justiciables ou des tiers, le pouvoir réglementaire n'a pas excédé le champ de sa compétence, ni méconnu les dispositions législatives citées ci-dessus, ni, en tout état de cause, les stipulations de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne le pouvoir d'opposition du procureur de la République et du procureur général à la délivrance de copies de certaines décisions :

18. L'article R. 167 du code de procédure pénale, issu de l'article 6 du décret attaqué, dispose qu'en matière pénale, s'agissant des arrêts de la Cour de cassation et des décisions des juridictions de jugement du premier ou du second degré définitives et rendues publiquement à la suite d'un débat public, le procureur de la République ou le procureur général peut s'opposer, par décision spécialement motivée, à la délivrance de la copie de l'une de ces décisions " s'il apparaît que la copie est demandée dans l'intention de nuire " et lui réserve également la faculté de décider que la copie en question ne pourra être délivrée qu'après " l'occultation des éléments ou des motifs de la décision qui n'ont pas à être divulgués ".

19. D'une part, en prévoyant, par ces dispositions, la possibilité pour le procureur de la République ou le procureur général de refuser la délivrance de la copie de l'une de ces décisions au motif que la demande serait présentée dans l'intention de nuire et de procéder, le cas échéant, à l'occultation d'éléments ou motifs n'ayant pas à être divulgués, à savoir, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 111-14 du code de l'organisation judiciaire et de l'article R. 168 du code de procédure pénale, les éléments permettant d'identifier les personnes physiques mentionnées dans la décision si leur divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage ainsi que toute autre information dont la divulgation serait susceptible de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou au secret en matière commerciale ou industrielle, le pouvoir réglementaire, qui n'a pas excédé le champ de sa compétence, s'est fondé sur des critères suffisamment précis.

20. D'autre part, les dispositions de l'article R. 171 du code de procédure pénale issues de l'article 6 du décret attaqué prévoient notamment que les décisions prises par le procureur de la République ou le procureur général sur le fondement de l'article R. 167, qui doivent être spécialement motivées, peuvent faire l'objet d'un recours par les personnes intéressées devant le président de la chambre d'instruction dans un délai de deux mois suivant leur notification. Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, la mise en œuvre de ces dispositions par le procureur de la République ou le procureur général est soumise à un contrôle juridictionnel. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que ces dispositions méconnaîtraient les dispositions législatives relatives à la publicité des décisions de justice, ni, en tout état de cause, les stipulations de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne le droit au recours contre les décisions de refus de délivrance de copies de décisions de justice :

21. Les dispositions de l'article R. 171 du code de procédure pénale mentionnées au point précédent disposent que les décisions de refus d'autorisation de délivrance de copies de décisions non définitives, de décisions rendues par les juridictions d'instruction ou de l'application des peines et de décisions rendues par les juridictions pour mineurs ou après des débats tenus à huis clos, prises par le procureur de la République ou le procureur général sur le fondement de l'article R. 170 qui prévoit, par ailleurs, que celles-ci doivent être motivées, peuvent également être contestées par les personnes intéressées par la voie d'un recours formé devant le président de la chambre d'instruction, dans un délai de deux mois suivant leur notification. Les requérants ne sont, dès lors, pas davantage fondés à soutenir que ces dispositions méconnaîtraient le droit à un recours effectif, ni, en tout état de cause, les stipulations de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

22. Enfin, si le décret attaqué ne prévoit pas de délai à l'expiration duquel le silence gardé par le procureur de la République ou le procureur général ferait naître une décision implicite de rejet susceptible d'être contestée par la personne intéressée sur le fondement de l'article R. 171, il résulte des dispositions de l'article 802-1 du code de procédure pénale que lorsque, en application du code, une juridiction est saisie d'une demande à laquelle il doit être répondu, comme en l'espèce, par une décision motivée susceptible de recours, l'absence de réponse dans un délai de deux mois à compter de la demande effectuée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par déclaration au greffe contre récépissé permet au demandeur de présenter un recours contre la décision implicite de rejet opposée à sa demande. Les requérants ne sont, dès lors, pas fondés à soutenir que le pouvoir réglementaire aurait, en ne prévoyant pas un régime spécifique de naissance d'une décision implicite de rejet, partiellement privé d'effet les dispositions de l'article R. 171 ni, en tout état de cause, méconnu les stipulations de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

23. Il résulte de tout ce qui précède que la société Fiatlux et M. B... ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret qu'ils attaquent.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la société Fiatlux et de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Fiatlux, à M. A... B..., à la Première ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 7 juillet 2022 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et Mme Cécile Vaullerin, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 19 août 2022.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

La rapporteure :

Signé : Mme Cécile Vaullerin

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 443528
Date de la décision : 19/08/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 19 aoû. 2022, n° 443528
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Vaullerin
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck

Origine de la décision
Date de l'import : 23/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:443528.20220819
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