Vu la procédure suivante :
Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 4 octobre 2021 et 13 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la note de service du 21 septembre 2021 par laquelle la secrétaire générale du ministère de l'agriculture et de l'alimentation a défini le régime de télétravail applicable au sein de ce ministère à compter du 4 octobre 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code du travail ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 95-115 du 4 février 1995 ;
- la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 ;
- le décret n° 82-453 du 28 mai 1982 ;
- le décret n° 2016-151 du 11 février 2016 ;
- l'arrêté du 2 août 2016 portant application au ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt du décret n° 2016-151 du 11 février 2016 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique et la magistrature ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ingénieur de l'agriculture et de l'environnement exerçant en qualité de chargé de mission au sein de l'administration centrale du ministère chargé de l'agriculture, demande l'annulation pour excès de pouvoir de la note de service du 21 septembre 2021 par laquelle la secrétaire générale du ministère de l'agriculture et de l'alimentation a défini le régime de télétravail applicable au sein de ce ministère à compter du 4 octobre 2021.
Sur la légalité externe de la note de service attaquée :
2. En premier lieu, la note de service attaquée se borne à préciser les modalités pratiques de mise en œuvre du télétravail au sein du ministère chargé de l'agriculture à l'occasion du retour au régime ordinaire de télétravail défini par le décret du 11 février 2016. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que cette note instituerait incompétemment un régime spécial de télétravail.
3. En deuxième lieu, aux termes du I de l'article 7 du décret du 11 février 2016 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique et la magistrature : " Un arrêté ministériel pour la fonction publique de l'Etat, une délibération de l'organe délibérant pour la fonction publique territoriale, une décision de l'autorité investie du pouvoir de nomination pour la fonction publique hospitalière, pris après avis du comité technique ou du comité consultatif national compétent, fixe : / 1° Les activités éligibles au télétravail ; / 2° La liste et la localisation des locaux professionnels éventuellement mis à disposition par l'administration pour l'exercice des fonctions en télétravail, le nombre de postes de travail qui y sont disponibles et leurs équipements ; / 3° Les règles à respecter en matière de sécurité des systèmes d'information et de protection des données ; / 4° Les règles à respecter en matière de temps de travail, de sécurité et de protection de la santé ; / (...) ".
4. Contrairement à ce que soutient M. B..., la note de service attaquée n'a ni pour objet ni pour effet de modifier les dispositions de l'arrêté du 2 août 2016 portant application au ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt du décret n° 2016-151 du 11 février 2016 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique et la magistrature. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que le comité technique compétent aurait dû, en application du I de l'article 7 du décret du 11 février 2016, être préalablement consulté sur le contenu de la note de service attaquée.
5. En dernier lieu, aux termes de l'article 57 du décret du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique, dans sa rédaction issue du décret du 28 juin 2011 : " Le comité est consulté : / 1° Sur les projets d'aménagement importants modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail ; / 2° Sur les projets importants d'introduction de nouvelles technologies et lors de l'introduction de ces nouvelles technologies, lorsqu'elles sont susceptibles d'avoir des conséquences sur la santé et la sécurité des agents ". Il résulte de ces dispositions que le " projet important " s'entend de tout projet qui affecte de manière déterminante les conditions de santé, de sécurité ou de travail d'un nombre significatif d'agents.
6. La note de service attaquée se borne à préciser les modalités pratiques de mise en œuvre du télétravail applicables aux agents du ministère chargé de l'agriculture dans les conditions définies par le décret du 11 février 2016 et l'arrêté ministériel du 2 août 2016, jusqu'à la conclusion d'un accord ministériel sur le télétravail. Elle ne peut dès lors être regardée comme constituant un projet d'aménagement important sur lequel le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail compétent aurait dû être préalablement consulté. Le moyen tiré du défaut de consultation du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail compétent doit, par suite, être écarté.
Sur la légalité interne de la note de service attaquée :
7. En premier lieu, aux termes de l'article 5 du décret du 11 février 2016 : " L'exercice des fonctions en télétravail est accordé sur demande écrite de l'agent. Celle-ci précise les modalités d'organisation souhaitées, notamment les jours de la semaine travaillés sous cette forme ainsi que le ou les lieux d'exercice. / Le chef de service, l'autorité territoriale ou l'autorité investie du pouvoir de nomination apprécie la compatibilité de la demande avec la nature des activités exercées, l'intérêt du service et, lorsque le télétravail est organisé au domicile de l'agent, la conformité des installations aux spécifications techniques précisées par l'employeur. / (...) "
8. La note de service attaquée énonce : " la décision d'accorder ou non l'autorisation de télétravail tient compte de la nature et des caractéristiques de l'activité du demandeur, des orientations collectives régissant la communauté de travail, de l'efficacité et de la cohésion de l'organisation du travail et des équipes et des nécessités de service. L'autorisation accordée peut être plus circonscrite que la demande de l'agent ". Contrairement à ce que soutient le requérant, l'auteur de la note de service s'est borné à expliciter la condition de compatibilité du télétravail avec l'intérêt du service et n'a pas ajouté de condition supplémentaire à l'autorisation de télétravail. Par suite, le moyen tiré de ce que la note de service aurait restreint les possibilités de télétravail prévues par le décret du 11 février 2016 ne peut qu'être écarté.
9. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient M. B..., si la note de service impose de prendre en compte les " orientations collectives régissant la communauté de travail " dans l'appréciation de l'intérêt du service, elle n'a ni pour objet ni pour effet de dispenser de l'examen de la situation individuelle de chaque agent concerné.
10. En troisième lieu, l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dispose : " Des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail ".
11. Ainsi qu'il a été dit, la note de service attaquée n'a ni pour objet, ni pour effet de restreindre les possibilités de télétravail prévues par le décret du 11 février 2016. M. B... n'est dès lors pas fondé à soutenir qu'eu égard aux conditions sanitaires à la date d'édiction de cette note, elle méconnaîtrait l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983 et compromettrait la cohérence et l'efficacité des mesures de lutte contre la propagation de l'épidémie de covid-19 décidées par l'Etat.
12. En quatrième lieu, pour les mêmes motifs, le moyen tiré de ce que la note de service méconnaîtrait le principe d'égalité de traitement des agents publics en instaurant un régime de télétravail moins favorable pour les agents publics du ministère chargé de l'agriculture ne peut qu'être écarté.
13. En cinquième lieu, d'une part, le I de l'article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction alors en vigueur, prévoit que " Le fonctionnaire consacre l'intégralité de son activité professionnelle aux tâches qui lui sont confiées. (...) ". Aux termes de l'article 28 de la même loi, dans sa rédaction alors en vigueur : " Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. / Il n'est dégagé d'aucune des responsabilités qui lui incombent par la responsabilité propre de ses subordonnés ".
14. D'autre part, aux termes de l'article 2 du décret du 11 février 2016 : " Le télétravail désigne toute forme d'organisation du travail dans laquelle les fonctions qui auraient pu être exercées par un agent dans les locaux de son employeur sont réalisées hors de ces locaux de façon régulière et volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la communication. / Le télétravail est organisé au domicile de l'agent ou, éventuellement, dans des locaux professionnels distincts de ceux de son employeur public et de son lieu d'affectation. / (...) ". L'article 3 de l'arrêté du 2 août 2016 portant application au ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt du décret n° 2016-151 du 11 février 2016 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique et la magistrature prévoit : " Le télétravail peut s'exercer : / - au domicile de l'agent ; / - dans tout bâtiment de l'Etat, d'un établissement public, d'une collectivité territoriale ou d'une association dédiée mis à disposition à cet effet et dès lors qu'il est situé à proximité du domicile de l'agent ". L'article 6 du même arrêté précise : " Les jours télétravaillés définis sont fixes et non reportables. / Toutefois, à l'initiative de l'administration, des modifications peuvent être apportées ponctuellement aux jours télétravaillés pour répondre à une nécessité de service et sous réserve du respect d'un délai de prévenance de 48 heures qui peut, le cas échéant, être adapté dans l'acte individuel. / (...) ".
15. La note de service attaquée énonce : " L'agent doit déclarer le lieu d'exercice de son télétravail. Ce lieu doit permettre un retour sur site dans des délais compatibles avec un éventuel rappel sur site par l'administration, qui peut intervenir à tout moment en cas de nécessité de service ". Cette disposition se borne à expliciter une exigence s'imposant à tout agent autorisé à télétravailler pour respecter ses obligations de service, en particulier lorsqu'en application de l'article 6 de l'arrêté ministériel, une nécessité de service impose de reporter un jour télétravaillé.
16. En sixième lieu, il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient le requérant, la note de service attaquée n'impose pas illégalement une obligation de résidence, non prévue par décret en Conseil d'État dans les statuts des personnels du ministère chargé de l'agriculture. Le moyen tiré de ce que la note de service, en restreignant le choix du domicile personnel des agents du ministère chargé de l'agriculture, méconnaîtrait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut, pour les mêmes motifs, qu'être écarté.
17. En septième lieu, les dispositions de la note de service attaquée relatives à l'instruction de la demande d'autorisation de télétravail et au lieu d'exercice du télétravail, qui ne sont pas équivoques, ne méconnaissent pas, en tout état de cause, l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme.
18. En huitième lieu, en l'absence de disposition législative le prévoyant, l'article L. 1132-1 du code du travail ne trouve pas à s'appliquer aux agents publics. Dès lors, M. B... ne peut utilement invoquer sa méconnaissance par la note de service qu'il attaque.
19. En neuvième et dernier lieu, en fixant pour objectif à la politique d'aménagement et de développement du territoire, la mise en valeur et le développement équilibré de l'ensemble du territoire de la République, l'article 1er de la loi du 4 février 1995 n'a pas entendu poser un principe normatif dont la violation pourrait être utilement invoquée devant le juge de la légalité. Par suite, le moyen tiré de ce que la note de service attaquée méconnaîtrait cette disposition ne peut qu'être écarté.
20. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'acte qu'il attaque. Sa requête doit, par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur sa recevabilité, être rejetée.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Délibéré à l'issue de la séance du 13 juillet 2022 où siégeaient : M. Benoît Bohnert, assesseur, présidant ; M. Gilles Pellissier conseiller d'Etat, M. Didier Ribes, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 5 août 2022.
Le président :
Signé : M. Benoît Bohnert
Le rapporteur :
Signé : M. Didier Ribes
La secrétaire :
Signé : Mme Corinne Sak